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Pourquoi les jeunes s’en sacrent de la politique municipale, selon des experts

« Il y a une résistance au changement politique au municipal. Le maire est élu, et réélu. C’est certain que ça n’aide pas l’identification dans le phénomène de représentation, pour des jeunes. »
La Presse canadienne /Jacques Boissinot

Le torrent de posters qui a déferlé dans la nuit de jeudi pour se fixer sur les poteaux vous aura mis la puce à l'oreille : c'est vendredi que les municipalités de la province entraient officiellement en campagne électorale.

C'est une chose qui semble intéresser bien peu de milléniaux. Il n'existe pas de données officielles sur le taux de participation des jeunes aux élections municipales, mais on sait qu'ils votent moins en général, et que toute la population est moins prompte à se rendre aux urnes pour élire son maire. Ainsi, on devine que les jeunes s'en sacrent un peu.

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Est-ce surprenant? Quand on pense à la haute proportion de vieux maires au pouvoir - les deux tiers ont plus de 55 ans rapporte Le Devoir - et à leur propension à demeurer en poste très longtemps… On devine qu'il y a peut-être là de bonnes pistes de réponses.

Pour comprendre un peu mieux le phénomène, j'ai parlé à deux experts sur le sujet : Caroline Patsias, professeure de science politique à l'UQAM, et François Gélineau, doyen de la faculté de science sociale de l'Université Laval.

VICE : Pourquoi les jeunes ne votent pas?

François Gélineau : Si on extrapole de ce que l'on sait au niveau provincial et fédéral, les jeunes vont participer quand ils se sentent concernés par l'élection. Au niveau municipal, c'est plus probable qu'ils se sentent moins touchés par la politique, dans la mesure où elle tourne autour des taxes, de la collecte des ordures… toutes des réalités qui ne touchent pas nécessairement le quotidien des jeunes.

Caroline Patsias : Le municipal, c'est souvent vu comme un palier lié à toute une série de questions qui sont peut-être moins celle de la jeune génération. Ce qui revient beaucoup, c'est les familles. Si vous n'avez pas de famille, parce que vous la construisez plus ou moins vers 30 ans, il y a toute une série d'enjeux qui peuvent être moins pertinents.

Les municipalités traitent d'enjeux qui dépassent de loin les familles! Mais il n'en reste pas moins une vitrine, une devanture, qui rend plus problématique la participation des jeunes.

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Est-ce que le fait que les maires soient souvent plus âgés, et qu'ils semblent indélogeables, ça fait en sorte que les jeunes sont désintéressés de la politique?

François Gélineau: Clairement. Je ne pense pas que ce soit les personnes en soi, mais ce sont peut-être les enjeux qu'ils présentent. Par exemple, un des enjeux des dernières élections provinciales, c'était les pensions de vieillesse. Entre vous et moi, est-ce que les 18-24 ans sont touchés au premier plan par cet enjeu? Les personnes que vous décrivez comme « plus âgées » vont arriver en politique avec leurs préoccupations, qui appartiennent à leur génération. L'électorat est vieillissant. C'est normal que les enjeux débattus touchent un grand nombre d'électeurs.

Caroline Patsias : Si on regarde à l'échelle mondiale, on voit qu'il y a un « dégagez les sortants ». C'est vrai en France, c'est vrai aux États-Unis. On dirait que le Québec échappe à ce phénomène. Il y a une résistance au changement politique au municipal. Le maire est élu, et réélu. C'est certain que ça n'aide pas l'identification dans le phénomène de représentation, pour des jeunes.

Un vecteur du renouvellement du personnel politique, c'est aussi les partis politiques. Ils ont une aile jeunesse. Si vous n'avez pas de parti politique local, vous n'avez pas d'aile jeunesse. C'est encore plus dur pour les nouvelles générations de forcer les portes, de pouvoir se faire connaître, être dans le réseau qui va vous permettre d'entrer en politique.

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Est-ce qu'envisager des quotas de jeunes candidats pourrait être une avenue possible pour changer la donne?

Caroline Patsias : Il faudrait réfléchir à quel niveau on met les quotas. Et jusqu'à présent, ce qu'on a mis pour les femmes, c'est via les partis politiques. Quand on n'a pas de parti politique, c'est plus difficile à mettre en oeuvre, parce qu'on a moins de grip sur le système. Ce n'est pas impossible, mais plus difficile.

François Gélineau : Ça serait difficile à mon avis de forcer des candidatures en fonction de l'âge. Cependant, ça va forcément arriver. Les baby-boomers, à la fin des années 1990, ils occupaient 60% de l'électorat. Aux élections de 2034, ils vont représenter moins de 15 ou 20% de l'électorat. Les jeunes des générations X, Y, du millénaire vont progressivement prendre leur place.

Donc ce que vous dites, c'est que le portrait politique va changer, parce que la population va changer.

François Gélineau : Il faut. Peut-être pas aussi vite que certains le souhaitent, mais ça va se faire naturellement.

Comment pourrait-on rajeunir la politique? Est-ce que c'est par un classique « parlons d'environnement et autres enjeux qui intéressent les jeunes », ou est-ce que ça peut aller plus loin que ça?

François Gélineau : Il n'y a pas de recette magique. Ça fait des décennies qu'on cherche réponse, il y a un déclin de la participation électorale qui est observé dans la plupart des démocraties occidentales depuis la fin des années 1980. Il faut intéresser les gens. Il faut que les politiciens s'intéressent aux enjeux qui intéressent les jeunes. Lorsqu'on s'informe et qu'on parle des enjeux, on a tendance à voter davantage.

Caroline Patsias: Les jeunes, les groupes doivent penser à réinvestir les institutions. C'est dans les institutions que se prennent des décisions. Oui, il faut faire pression sur la rue, mais en même temps il faut réinvestir les institutions locales.

Je crois qu'il faut jouer sur tous les tableaux. Dès qu'on fouille le mandat des villes, on se rend compte que toute une série de politiques publiques concernent la jeunesse. L'accès aux piscines municipales, les bibliothèques, ça c'est fondamental pour les jeunes, pour une égalité dans l'éducation! Le logement, ça concerne directement les jeunes, la construction de résidences universitaires, les liens entre les universités et la ville. Il y a tous ces enjeux-là qu'on doit publiciser davantage pour faire voter les étudiants.

Mais il y a encore le problème #1 pour le vote des jeunes: vous votez là où vous vivez. Il faut être résident. À l'époque, on avait évoqué l'idée de voter sur le lieu de l'université. Si ce n'est pas fait, ça veut dire que les jeunes de se déplacer pour aller voter [en région]. C'est un argument structurel, assez fort pour les jeunes.

Ces entrevues ont été légèrement abrégées par souci de clarté et de concision.