​On a discuté avec l'homme qui a survolé l'Himalaya en parapente

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​On a discuté avec l'homme qui a survolé l'Himalaya en parapente

Entretien en haute altitude avec Antoine Girard, le premier homme à avoir survolé le Broad Peak, sommet himalayen, en parapente.

Il plane à des kilomètres du sol, seulement retenu par quelques kilos de toile et de suspentes. Depuis qu'il a découvert le parapente, Antoine Girard, un himalayiste chevronné, n'a plus lâché sa nouvelle passion. A tel point qu'en juillet 2016, à l'occasion d'un long raid de trois semaines au-dessus de la plus haute chaîne de montagnes du monde, il est devenu le premier homme au monde à survoler le sommet de Broad Peak, à 8157 mètres. Un exploit qui lui a valu d'être nommé pour le titre d'aventurier de l'année par National Geographic. Entretien tout en hauteur avec un pionnier de cette discipline encore méconnue, appelée vol bivouac.

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VICE Sports : Salut Antoine. Ça fait un mois que tu es revenu de ta dernière expédition au Kenya. Que fais-tu depuis ?
Antoine Girard : Je travaille comme professeur d'informatique à l'université de Grenoble-Alpes. Je n'ai pas vraiment le choix en fait, le parapente est loin de me rapporter assez pour que je puisse m'y consacrer à 100%. Dans l'idéal pourtant, j'aimerais bien, mais mes sponsors me permettent tout juste de financer mes aventures.

Tu ne gagnes donc pas d'argent avec le parapente ?
Très peu ! Le matériel coûte très cher : une voile de bonne qualité, c'est entre 4 000 et 6 000 euros, et j'en utilise entre deux et trois par an. Une sellette [la petite nacelle dans laquelle s'installe le parapentiste, ndlr], c'est 1 500 euros. Mais ce n'est rien à côté de la logistique. Les billets d'avion et surtout les autorisations d'expédition mangent une grande partie de mon budget.

Comment s'est passé ce dernier voyage au Kenya ?
Pas très bien, à vrai dire. J'ai adoré l'expérience, mais niveau parapente, je n'ai pas eu beaucoup de chance. J'ai d'abord passé plusieurs jours en acclimatation à courir à 2 500 mètres d'altitude pour faire des globules rouges avec pour objectif de monter en haut du Mont Kenya, à 5 200 mètres, pour lancer mon expédition. Malheureusement, le temps n'était pas clément. Dans notre sport, il y a une règle à respecter : toujours s'incliner face à la nature. Si les conditions ne sont pas réunies, que les nuages sont trop bas ou le vent trop fort, il ne faut pas forcer les choses.

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C'est d'ailleurs ce qui te passionne dans ce sport…
Totalement. J'aime cette sensation de dépendre de quelque chose de plus grand que moi. J'aime respecter les contraintes et les beautés que nous offre la nature. Le parapente est un sport plus intellectuel que physique, dans le sens où le pilotage n'a rien de très compliqué, même s'il faut maîtriser les phases de décollage et d'atterrissage. L'essentiel dans le parapente, c'est d'analyser constamment la circulation des thermiques (masses d'air chaudes qui permettent de gagner en altitude, ndlr) et d'anticiper leurs évolutions.

Comment tu fais pour distinguer les masses d'air froides et chaudes qui te permettent de monter en altitude ?
C'est assez difficile à expliquer. Ça s'acquiert avec l'expérience, mais disons que ma formation d'ingénieur m'aide, puisqu'il faut connaître les matières qui attirent ou expulsent la chaleur pour mieux se guider. Mais encore une fois, il faut s'inspirer de la nature. On observe souvent les oiseaux, on se cale dans leur sillage. Lors de mon trip au Pakistan par exemple, il m'est arrivé plusieurs fois de suivre des vautours l'espace de quelques kilomètres. C'était un moment incroyable, perdu au milieu de l'Himalaya avec ces grands oiseaux juste à côté de moi.

Justement, c'est cette expédition au Pakistan qui t'a fait connaître, puisque tu as battu le record d'altitude en parapente bivouac en juillet dernier en survolant Broad Peak. Tu t'es retrouvé à 8157 mètres d'altitude…
C'était un moment incroyable. Je devais partir avec un ami qui a dû annuler une semaine avant le départ. Du coup, j'ai passé un mois complètement seul au milieu des montagnes. C'était très dur et très long, on finit par perdre la tête. Personnellement, je me suis mis à parler à ma caméra pour lutter contre ce sentiment de solitude.

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Mis à part cet aspect, tout s'est quand même bien passé, non ?
C'est vrai que j'ai eu de bonnes conditions atmosphériques. Après, elles restaient variables. J'ai parfois du attendre 60 heures dans ma tente que le mauvais temps se lève. Sur une journée de 8 à 10 heures de vol, je faisais parfois 10 kilomètres, comme j'ai pu en faire 245 (ce qui est d'ailleurs un record au Pakistan, ndlr). Au total, j'ai parcouru 1260 kilomètres en 20 jours, et j'ai vu de très belles choses.

A quels dangers t'es-tu exposé lors de cette expédition ?
Les dangers existent à tous les niveaux. Le premier danger, c'est qu'on trouve les thermiques le long des falaises, ce qui nous pousse à frôler les montagnes. A ce moment, on peut avoir une fermeture (une déformation de la voile liée à l'angle de l'appareil par rapport à la masse d'air, ndlr) et toucher la roche… C'est d'autant plus dangereux qu'à 8 000 mètres, mon cerveau est moins irrigué donc je suis moins à même de réagir vite et bien.

Et lorsque tu te retrouvais au sol pour tes bivouacs en montagne, quels étaient les risques ?
Au Pakistan, il faut bien choisir l'endroit où on se pose. Le pays est si sauvage que si tu atterris à la va-vite, tu peux tomber sur un endroit où il faudra marcher six jours pour retrouver une habitation. Avec un sac de 35 kilos, faire 1 000 ou 1 500 mètres de dénivelé en haute altitude, ça devient une galère monstre, donc l'objectif est de se poser en altitude pour éviter de trop marcher. Les atterrissages sont critiques car c'est le moment le plus propice à la blessure, surtout qu'en haute altitude le manque de portance de l'air nous fait atterrir beaucoup plus vite que dans les Alpes et il faut prévenir tout risque. C'est pourtant ce qui m'est arrivé, je me suis fait une entorse à chaque cheville, plus un arrachement ligamentaire à l'une des deux. Je n'avais pas le choix. J'étais seul. J'ai serré les dents et j'ai marché.

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Mais quand tu pars dans ce genre d'expédition, tu as une balise GPS quand même ?
Oui bien sûr. Techniquement, je peux appeler les secours, mais au-delà de 5 000 mètres, je sais que l'hélico ne pourra pas intervenir. Je sais aussi que si je me retrouve coincé à cette altitude et que je dois attendre une équipe de secours qui vient à pied, je vais probablement passer la date de péremption avant qu'ils arrivent. C'est pour ça qu'au départ, je pars toujours du principe que je n'appellerai jamais les secours. Je me dis que si je les contacte, c'est que c'est la fin pour moi.

Avant de te lancer dans le parapente, tu es un alpiniste et un himalayiste chevronné. Qu'est-ce qui t'a poussé à changer de voie ?
Les deux vont de paire pour moi en fait. Tout a commencé avec un ami qui m'a proposé de tenter la redescente d'un 8 000 en parapente quand je grimpais dans l'Himalaya. Comme j'avais des problèmes de genoux dans les redescentes, je me suis dit que ça pouvait être une bonne idée. Et je n'ai plus lâché. J'ai commencé par les Alpes puis la Nouvelle-Zélande, et depuis je multiplie les expéditions à l'étranger.

Qu'est-ce qui te plaît là-dedans ?
J'adore la dimension intellectuelle du parapente, cette nécessité d'analyser constamment les courants d'air, c'est à la croisée des chemins parfaite entre ma formation d'ingénieur et ma passion pour la montagne. C'est un sport qui demande beaucoup de sang-froid, piloter un parapente, ça n'a rien à voir avec la conduite d'une voiture. Il faut moins se reposer sur les réflexes et plus sur une analyse constante de la situation.

Il doit aussi y avoir une dimension esthétique, voire poétique, à planer comme ça au-dessus des montagnes…
Notre sport a une dimension contemplative c'est sûr, on prend la beauté de la montagne en pleine figure. Mais il faut rester concentré, surtout à partir de 4 000 mètres, où le manque d'oxygène amoindrit les capacités cérébrales, et donc parfois la pertinence et la rapidité de certaines décisions. Ce qui ne nous empêche pas d'apprécier le spectacle.

La discipline est assez peu médiatisée en France. Êtes-vous une grosse communauté à pratiquer le parapente bivouac au long cours ?
Clairement, non. Nous sommes très peu nombreux en France, et même à l'échelle mondiale. Après c'est vrai que chez nous, le parapente est moins médiatisé. En France, quand tu sors des sports du type foot, rugby, basket et tennis, tu as beaucoup de mal à faire reconnaître ta pratique du sport comme relevant de la performance et pas du loisir. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai trouvé la plupart de mes sponsors à l'étranger.

Parmi ces pays étrangers, l'Autriche semble en pointe puisqu'elle accueille la grande messe du parapente : les X Alpes, auxquels tu as déjà participé…
Les X Alpes, c'est l'équivalent des JO du parapente, les 30 meilleurs au monde sont invités à cette course qui part de Salzbourg pour rejoindre Monaco à travers les Alpes. C'est une occasion unique de se distinguer et de trouver des sponsors justement. La compétition est très suivie en Allemagne et en Italie également. Là-bas, les gens suivent la course comme nous suivons le Vendée Globe. Lors de mes deux participations, j'ai fini troisième et quatrième. Je vais bientôt me préparer pour les prochains X Alpes, qui se tiendront au mois de juillet prochain. J'espère que cette année sera la bonne !

Toutes les photos ont été publiées avec l'aimable autorisation de l'interviewé et d'autres peuvent être consultées ici ou sur sa page Facebook.