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Sport

Les stades français vont-ils enfin chanter à la gloire des joueurs ?

Extrêmement populaires en Grande-Bretagne, les chants en l'honneur des joueurs ne sont pas dans les mœurs des supporters français. Benjamin Pavard et N’Golo Kanté vont-ils donner envie aux fans de crier leur amour pour un joueur ? Pas sûr.
Les stades français vont-ils enfin chanter à la gloire des joueurs ?
Illustrations: François Dettwiller pour VICE FR

« Nous avons Payet, Dimitri Payet ! Je ne crois pas que vous compreniez. Il est l'homme de “Super Slav” [Slaven Bilic, l'entraîneur, ndlr], il est meilleur que Zidane. Nous avons Dimitri Payet ! » On est en 2015 et l’ancien Lillois entame sa première saison à West Ham où il devient rapidement une petite sensation. Dès le mois d’octobre, dans les tribunes, les fans se mettent à chanter à sa gloire. Le Français réalise des débuts tonitruants avec le club anglais, où il a débarqué il y a seulement trois mois. Assez pour que les supporters inventent un chant en son honneur, dans un pays où la musique et la culture des pubs vont de pair avec le football, et où les hymnes pour les joueurs sont légion.

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Avant Payet, de nombreux joueurs y ont eu droit. Des figures comme le king Éric Cantona, Wayne Rooney ou Alan Shearer à des joueurs moins marquants comme Pascal Chimbonda – qui a quand même été nommé dans l’équipe type de Premier League pour la saison 2005-2006 –, ou plus récemment Alexandre LacazetteLacazette zette zette, put the ball into the net », Lacazette zette zette, met le ballon au fond des filets en VF). Cette tradition remonte aux années 60, quand les supporters de Liverpool reprenaient les morceaux des Beatles dans les stades. La suite est connue : dans tout le pays, les refrains pour les joueurs se sont popularisés, pour devenir incontournables.

La plupart des chants en Grande-Bretagne gravitent autour de l’humour. Un exemple : en 2013, les fans du club des Hearts d’Edimbourg chantaient à propos Leigh Griffiths, un joueur de l’équipe rival des Hibernians. L’attaquant écossais s’était fait arrêter par la police pour avoir volé une bouteille de soda de la marque Lucozade dans un supermarché Tesco. La réponse s’est faite dans les tribunes : « Il s’appelle Leigh Griffiths, il habite près de Lochend Way. Et est-ce qu’il paie ? Il ne paie pas, il vole chez Tesco. » Il peut aussi arriver qu’au sein d’un club, les supporters se « moquent » (de manière bienveillante) d’un de leurs joueurs, comme la chanson des supporters de Manchester United sur Romelu Lukaku qui vantait la taille de son sexe ou celle sur Laurent Koscielny qui avait exigé que les fans composent un chant à sa gloire. « Il y a une spontanéité dans les chants en Grande-Bretagne. Ils sont créés en fonction de l’actualité ou d’une histoire embarrassante qui est sortie dans la presse sur un joueur », résume Pierre-Etienne Minonzio, auteur du Petit manuel musical du football.

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En France, les hymnes sont plus proches de l’esprit latin du mouvement ultra à l’italienne que de la culture anglo-saxonne. « Nous, les chants qu’on a lancés étaient principalement pour un attaquant, car il va être décisif, ou pour le gardien, simplement car il est le plus proche de notre tribune pendant la rencontre, raconte Graouz, ultra du FC Metz. Mais ça reste exceptionnel. » Il en existe pourtant : Didier Drogba à Marseille ou encore Raí au PSG pour les plus « anciens » et plus récemment, ceux sur Mapou Yanga-Mbiwa à Lyon, Johann Carrasso à Metz ou Kevin Monnet-Paquet à Saint-Etienne. Des mélodies classiques incomparables aux paroles imaginées en Angleterre.

« On privilégie les chants pour notre ville, pour notre club ou pour notre blason » – Graouz, ultra du FC Metz

« La chanson sur Payet et celle de ‘‘Will Grigg On Fire’’ durant l’euro 2016 ont peut-être aidé à ce que le chant puisse se démocratiser en France. Mais surtout, il y a eu les délires de cet été sur Kanté et Pavard », raconte Fabien Bonnel, capo des Irrésistibles Français, groupe de supporters de l’équipe de France. Il fait référence à deux chants qui se sont propagés durant la dernière Coupe du monde en Russie. Le premier, après la « frappe de bâtard » de Benjamin Pavard face à l’Argentine, le second sur N’Golo Kanté lancé par Thomas Thouroude dans son émission « FC Thouroude ». Fabien poursuit son explication : « La chanson sur Kanté, elle fonctionne grâce à la personnalité du joueur. En plus, elle a été adoptée par l'équipe de France, qui l'a même remixée. Ça crée une communion entre le groupe France et les supporters. » Sur l’air de « Aux Champs-Élysées » de Joe Dassin, le couplet en l’honneur de N’Golo Kanté en est le symbole. Simple effet Coupe du monde comme le « Et 1, et 2, et 3 zéro » ou généralisation du chant destiné aux joueurs en France ?

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La réponse de Pierre-Etienne Minonzio est claire : « Ça n’a pas vocation à se démocratiser, car ce n’est pas dans l’ADN du supportérisme en France. » Fabien Bonnel préfère lui aussi calmer les ardeurs. « Le chant sur un joueur, ça tombe s'il y a un délire. Mais le vrai travail pour en inscrire un dans un répertoire tournera plus autour du soutien à l'équipe qu'autour des joueurs. » Une logique que l’on retrouve chez Graouz du FC Metz : « En tant qu’ultras, on privilégie les chants pour notre ville, pour notre club ou pour notre blason » En raison : dans un contexte de foot business, les joueurs sont moins fidèles à un club et l’idée de créer une chanson à la gloire d’un attaquant qui risque de partir l’année suivante ne les enchante pas. Une situation que l’on ne retrouve pas en sélection. « Il y a des égos dans les clubs et les équipes : si t'en a 10 sur 11 qui ont un chant, le onzième va faire la gueule », pointe Fabien des Irrésistibles français.

Le questionnement va en réalité plus loin : que doit représenter le chant ? Vanter ou flatter un joueur ? Faire référence à un fait, à une histoire drôle ou à une caractéristique ? « À partir du moment où l'air est sympa et où on s'amuse, la chanson marche. Concernant celle sur Benjamin Pavard, certainement que la phrase "une frappe de bâtard" a marqué les esprits », concède Fabien. L’une des raisons pour lesquelles ce chant a bien fonctionné, c’est qu’il est venu de manière spontanée dans un bar de Paris. Pour Fabien, ces chansons doivent rester des « délires » et garder un ton humoristique, comme en Grande-Bretagne.

Du côté du Borussia Dortmund, des rédacteurs de l’influent fanzine Schwatzgelb se sont interrogés sur cette genèse. Les auteurs regrettent l’époque où les chants spontanés en l’honneur de certains joueurs venaient fédérer toute une tribune, de l’ultra à la mère de famille venue partager un moment avec son fils. Au contraire certaines chansons créées par les ultras, plus complexes au niveau textuel, ne favoriseraient pas cette unité.

Certains exemples permettent d’être optimistes : au PSG, plusieurs joueurs ont leur chant. Sur l’air des « Démons de Minuit » du groupe Emile et Images, les Parisiens encouragent Cavani. Luiz Gustavo à l’OM aussi, sur une reprise de « Freed From Desire » de la chanteuse italienne Gala. Mais là encore Pierre-Etienne Minonzio tempère : « Au PSG, les chants sur Neymar et Cavani n’ont aucune parole, c’est juste un air alors qu’en Angleterre, il y a des paroles pour accompagner la mélodie. Même si c’est assez court, ils font preuve d’imagination et d’un humour assez incroyable. »

Les chants en l’honneur des footballeurs se heurtent également à des problèmes de temporalité et peuvent être rapidement datés. Vu les performances en dents de scie de Benjamin Pavard avec son club de Stuttgart, pas certains que le prochain refrain à sa gloire évoque sa frappe de bâtard.

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