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L'Amérique

« Être en conflit avec la Russie n'est pas si stressant »

Sorti cette semaine aux États-Unis, le documentaire « The Final Year » braque les projecteurs sur Samantha Power, l'ambassadrice d'Obama qui a secoué l'ONU. Rencontre.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

The Final Year nous embarque dans les coulisses de l'administration Obama, pendant une année particulière, la dernière du règne. Une année pavée de crises politiques étrangères : guerre civile en Syrie, montée de Boko Haram au Nigeria, changement climatique, Corée du Nord. La montée de Trump est à peine perçue par l'administration Obama lors de la campagne électorale – jusqu’au coup dur qui va rendre ses derniers mois à la Maison-Blanche d'autant plus cruciaux.

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Voici donc un documentaire où l'on croise tout de même Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale, John Kerry, secrétaire d’État, et bien évidemment, le président lui-même. Mais une personne occupe une place centrale, c'est Samantha Power, alors ambassadrice d'Obama à l'ONU. Pur produit universitaire, intellectuelle sacrée par le Pulitzer, militante des droits de l'homme, cette experte en politique étrangère détonne dans une administration peuplée de grands stratèges politiques.

Cette femme, nous l'avons rencontrée. Pour Vice, Samantha Power revient sur son expérience à la Maison-Blanche, et sur l'avenir de la politique étrangère américaine à l'ère de Trump.

VICE : Bonjour Samantha. Qu'avez-vous ressenti lorsque vous avez regardé The Final Year ?
Samantha Power : J'ai trouvé ça motivant, inspirant. C'est comme un morceau d'histoire, comme une époque perdue. L'année 2015 par exemple, a été une réussite en termes de politique étrangère, c’était juste après la fin de l'épidémie d'Ebola, et c’est à ce moment-là que nous avons signé l'accord de Paris rétablissant les relations diplomatiques avec Cuba, l’accord nucléaire avec l’Iran. C’était génial. Mais, en 2016, il fallait essayer de maintenir en place ce qu’on avait fait jusque-là. Évidemment, les gens cherchent toujours des solutions miracle, sauf que ça n’existe pas.

Vous êtes passé de la critique politique à un poste à haute responsabilité à la Maison Blanche. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
Je suis restée concentrée sur mes objectifs. Les combats que j'ai mené le dernier jour de mon mandat étaient semblables à ceux que je menais au tout début. En quoi ai-je changé ? Je suis devenu beaucoup plus efficace lorsqu’il s’agit de mettre mes collègues d’accord sur une idée. On se rend vite compte que les discussions les plus importantes se déroulent en dehors de la salle de réunion, car c’est là que le débat politique a lieu et c'est à ce moment-là qu’on rassemble les gens, qu’on devient une équipe. La politique, c’est avant tout une question de victoire. Il s'agit d'essayer de remporter le débat, d’ériger vos idées en politiques et en lois.

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Est-ce que vous sous-entendez que les batailles internes étaient les plus difficiles ?
Absolument. À bien des égards, elles sont plus importantes et plus difficiles. Prenez l’exemple de l'épidémie d'Ebola : Obama a décidé d'envoyer des troupes et des agents de santé au cœur de la tempête. Cela a suscité un énorme débat en interne : le Congrès demandait la construction d'un mur et l’interdiction pour les agents de santé de revenir dans le pays. Mais une fois qu'Obama a pris la décision d'envoyer du personnel américain en Afrique de l'Ouest, le reste était dans la poche. Il n'y a rien de mieux que de se défendre au moment où la décision est prise et qu’on est en position de force.
Les négociations sur le climat se sont déroulées de la même façon. Il fallait décider de nos actions et de notre implication. La partie la plus stressante de mon travail en tant que membre du cabinet, ce sont les luttes internes. Il n'est pas si stressant d’être en conflit avec la Russie au sujet d’Alep. Mais il est stressant d'avoir des gros points de divergence avec ses collègues.

Lorsque vous rencontrez 50 personnes par jour, et que les personnes que vous rencontrez rencontrent elles aussi 50 personnes par jour, comment faites-vous pour que votre message soit entendu par tout le monde ?
Ça demande beaucoup de préparation. Je lisais les rapports. Je me renseignais correctement tous les matins avant de commencer la journée. La connaissance est un avantage comparatif. J'essayais aussi de toujours laisser la parole aux gens – que ce soit des ONG, des survivants ou des réfugiés – afin de m’immerger dans leur histoire pour humaniser les débats et sortir de ma zone de confort.

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Change-t-on beaucoup lorsqu’on devient une personnalité politique ?
Je suis en train d’écrire un livre à ce sujet : The Education of an Idealist. Je me sentais plus à l'aise avant de prendre mes fonctions à la Maison-Blanche. Je pouvais écrire un article pour le New-Yorker sur Darfour, le trouver très bon et espérer que Condoleezza Rice tombe dessus. Le problème, quand on est dans le feu de l’action, c'est qu’on doit lire l'article de quelqu'un d’autre si l’on veut savoir si nos idées prévalent ou pas. Si les États-Unis ne prennent pas les devants en termes de politique étrangère, on ne peut pas compter sur les autres pays pour faire avancer le débat. Encore une fois, il y a d’autres pays qui aident bien sûr, les Britanniques en particulier. Mais les États-Unis doivent être au centre du système international, de la mobilisation, des coalitions, de la construction de mouvements et des réponses politiques.

Vous aviez un large éventail d'objectifs à atteindre en matière de politique étrangère, qu’il s’agisse de la guerre civile en Syrie, la montée de Boko Haram au Nigeria, le changement climatique, en passant par à la montée en puissance de la Chine et de la Russie. On ne peut s'empêcher de comparer votre administration à celle de Trump, qui semble non seulement chercher à contrarier le reste du monde, mais aussi à ignorer de nombreuses questions de politique étrangère. Quel est, selon vous, son plus gros problème ? L’hostilité, ou l'inaction ?
Le seul algorithme que je puisse identifier dans les décisions de Trump est le suivant : « Dites-moi ce qu'Obama a fait et je ferai le contraire ». C'est un mode d’action. Se retirer de l’accord de partenariat transpacifique, c'est un mode d’action. En finir avec l'accord sur le climat, c’est un mode d’action. Puis il y a une passivité face aux conflits contemporains : aucune mobilisation, aucune aide prêtée aux Rohingya confrontés au nettoyage ethnique. Il est difficile de former des coalitions diplomatiques et de faire pression sur les gens. Il faut plus que des déclarations – il faut un sommet.

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Y a-t-il quelque chose de positif dans l'administration Trump ?
Je serai la première à dire quand Trump fera quelque chose de bien. Je suis ravie qu'il ait gracié Aya Hijazi, un prisonnier égypto-américain. J’ai moi-même soutenu sa cause pendant des mois, en vain. C’était une bonne chose à faire et je le félicite. Il a fait sortir Joshua Boyle et sa femme du Pakistan, c'est une bonne chose aussi. L’embargo contre le régime d'Assad et ses armes chimiques était aussi une bonne chose. J'aurais toutefois aimé que ces actions soient mieux réfléchies et qu’elles aient une suite. Il n’y a pas grand-chose d’autre qui me vienne à l’esprit.

Si des personnalités talentueuses se voient offrir un poste dans l'administration Trump, doivent-ils accepter selon vous ?
C'est une excellente question. Personne ne peut faire ce choix à votre place. Je ne juge pas les gens qui refusent et je ne juge pas ceux qui partent. Mais en tant que citoyenne, j’aimerais en effet voir des personnalités brillantes intégrer son administration. C’est une question controversée. Certains de mes collègues sont catégoriques : ils estiment que toute l'équipe d’économistes devrait démissionner. Mais je pense aussi que le manque total d'expérience de Trump en politique étrangère, par exemple, laisse une certaine marge de manoeuvre aux experts.

Imaginons qu’Obama ait remporté un troisième mandat et que vous soyez ambassadrice à l'ONU de nouveau, quel objectifs auriez-vous définis ?
À Cuba, par exemple, l'administration Trump est en train de défaire tout ce que nous avons fait. Je pense aussi aux réfugiés – même si les tribunaux ont aboli le « Muslim Ban » à plusieurs reprises, cela a dissuadé certains pays d’accepter de les accueillir.

Alors que faire, dans ce cas ? Prendre son mal en patience et attendre les prochaines élections ?
Je pense que les États-Unis mènent le jeu, même en ce moment. D’une certaine façon, ce que Trump dit et fait, c’est une forme de leadership – il cire les bottes des autocrates et le montre au monde entier.

@samwolfson