Société

Par pitié, arrêtez avec les phrases à la con sur vos fringues

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Ce matin, je me suis réveillé en retard et de mauvais poil. Tout était gris. Le ciel, ma plante sur le point de mourir, la moisissure au fond de mon box à vélo, l’énième cheveu blanc que je découvre sur ma tête. Bref, un réveil de mauvais poil comme il en existe tant d’autres.

Parmi cet océan de gris, je navigue à vue pour me frayer un chemin dans les transports en commun, bondés, comme d’hab. Les gens tirent une tronche pas possible, c’est lundi, le jour le plus déprimant de la semaine, l’été est derrière nous et j’ai absolument aucune ambition pour cette semaine qui arrive.

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La seule lueur que j’aperçois devant moi : un type, de dos, arborant un pull coloré. Comme un mirage dans la grisaille, je focalise mon attention sur lui, sans vraiment savoir pourquoi. À peine le temps de me frotter les yeux pour retirer le dernier caca d’œil resté collé malgré une douche matinale plus longue que prévue, le mec se tourne vers moi et je découvre, estomaqué, les motifs imprimés sur sa fringue : « Froid de canard » en bleu pâle sur un pull rouge tomate. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. 

En général, ce genre d’accoutrement me crispe seulement de façon intérieure, mais cette fois-ci c’en est trop. On est sans cesse exposé à une quantité sans limites de messages à caractères informatifs ou publicitaires dont on se passerait bien. J’ai pas envie de faire passer les fringues à textes  pour de la surcharge informationnelle, mais on s’en approche. Et même si l’habit ne fait pas le moine, me voilà à écrire un papier sur ça, sur vous, les gens qui trouvent les pulls à message « cools ».

L’imprimé : du marketing nul pour boomers

La sulfureuse styliste américaine Rachel Zoe a dit un jour : « Le style est une manière de dire qui vous êtes sans parler. » C’est pas forcément mon genre de citer ce type de personnage, mais quand ils ont raison, pourquoi s’en priver. Je suis pas contre l’expression personnelle, je trouve même qu’un pas de côté dans la façon de composer l’esthétique et les fringues ça peut être pas mal (coucou Desigual). Mais de là à laisser n’importe qui faire n’importe quoi, non.

En 1957, près d’un demi-siècle avant Zoe, dans un article intitulé Histoire et sociologie du vêtement, le philosophe français Roland Barthes, rappelait aussi que les sapes ne sont pas qu’un simple objet de décoration ou un basique moyen de protection contre le soleil, la pluie ou le vent. Il critiquait l’absence « de réflexion et de définition sur ce que pourrait être à un moment donné un système vestimentaire et l’ensemble axiologique qui le constitue (contraintes, interdictions, tolérances, aberrations, fantaisies, congruences, exclusions) ».

Selon lui, on devrait amener notre société à comprendre telle ou telle fringue dans sa globalité en l’inscrivant dans une logique idéologique comme un langage et on pourrait analyser comment elle s’insère dans « un système formel organisé, normatif, consacré par une société ». Cette façon d’opter pour tel ou tel choix, en tant qu’individus sociaux, au moment d’acheter un nouveau vêtement, découle d’une volonté d’identification aux yeux de la société par la consommation ou l’acquisition de tel ou tel produit commercialisé. Cependant, le bon Roland a oublié de mentionner une chose : que l’on soit plein aux as ou sans-le-sou, le manque de goût n’a pas de prix.

Pas mal de marques essayent de se donner une image « jeune » et se la jouent cool en proposant ces messages à thème. Malheureusement pour elles, il ne suffit pas d’imprimer trois mots pour créer une identité.

Le style de ringardise que représentent les sapes à message dépasse les clivages et s’applique à toutes les strates de notre société car il découle tout simplement d’une forme de science qui nous touche tou·tes dans un monde dominé par le consumérisme et l’image : le marketing. Pas mal de marques essayent de se donner une image « jeune » et se la jouent cool en proposant ces messages à thème. Malheureusement pour elles, il ne suffit pas d’imprimer trois mots pour créer une identité. On peut mentionner les pulls en laine franco-français, voire parisiano-parisiens, de chez Balzac, par exemple, avec marqué « Femmes » sur la poitrine des modèles féminins – parce que pour certain·es c’est ça, être féministe. Ou encore « Dimanche thérapie », pour les épicurien·nes de droite bon marché. Pour les adeptes du paraître, ça marche.

Inepties toujours, mais dans un autre style, on retrouve aussi un tas de messages douteux sur les t-shirts de qualité Wish qu’on peut choper sur internet, avec une bonne grosse dose de pathos. Dans ce cas, plus que de la niaiserie, je dirais qu’on se rapproche plus d’une overdose de masculinité grasse, pas classe du tout et quelque peu puante avec des jeux de mots graveleux comme « La raclette c’est bien, la levrette c’est mieux », « J’peux pas, j’ai apéro » ou encore « Burne-out » avec, en bonus, l’image d’une couille qui dépasse d’un slip. Dans tous les cas, le niveau n’est pas très élevé et si, dans une quête de sobriété mercantile, je veux bien admettre que l’absence de symbole distinctif lié à une marque – comme un logo – me plaît bien, ça reste lourd et ringard.

Endosser un humour à la limite du supportable

Laissons les cardigans bourgeois de côté et reprenons donc nos levrettes et les couilles qui dépassent pour s’attaquer au vrai problème, au-delà des doutes que soulèvent ces vêtements au niveau purement esthétique. En gros, abordons leur véritable raison d’être. Qu’on se le dise, l’humour c’est pas fait pour tout le monde. Y’en a qui sont bon·nes en dessin, d’autres en cuisine, d’autres à rien, mais par pitié, ne montrez pas au reste du monde que vous essayez de devenir le prochain clown du coin. C’est gênant pour les autres et, surtout, pour vous. Déjà, parce que l’humour ça reste quelque chose d’intime et de personnel, qui peut très bien marcher à un repas de famille, lors de votre premier date et, allez, au mieux entre collègues à la pause clope. Mais rien ne justifie le fait de partager ça avec la totalité des gens qui croisent votre chemin. Vivre en société c’est aussi s’adapter aux gens qui la composent et non unilatéralement imposer ce qu’on veut à tout le monde.

Beauf ou pas, c’est juste pas drôle. Personne n’a jamais ri à une blague Carambar, c’est pareil. C’est pas parce qu’une vanne est inscrite en police Barley Script sur un tissu bon marché – produit par le fruit de l’esclavage moderne et le travail d’enfants – que ça apportera quelconque twist à votre rodomontade. Cela dit, en règle générale, certaines typologies de blagues sont communes à des types d’humour différents ; des références plus générales et universelles. Tiens, la dernière fois, je suis tombé sur une publication scientifique qui analysait justement l’humour d’un point de vue psychosocial. Selon Christine Bonardi, maître de conférences en psychologie sociale, « même lorsqu’il n’est pas le devoir de tous, l’humour peut aussi se dissoudre dans la culture par le biais de la professionnalisation relayés plus tard par les baladins, saltimbanques, comédiens et clowns ». Donc, si vous avez envie de faire rire en vous habillant, optez directement pour le déguisement de clown, ça ira plus vite.

C’est comme si vous arrêtiez chaque passant·e pour lui faire la blague du « tire sur mon doigt ».

Même si cette envie de faire rire tout le monde peut servir d’ancrage social à la pratique de l’humour, « ce lien relève d’un “contrat social” qui régit plus largement la manière dont nous percevons le monde, les personnes qui l’habitent, les événements qui s’y déroulent, ajoute Christine Bonardi. Sous leur surface, nous recherchons explications et points de repère propres à nous donner le sentiment d’en avoir décelé les rouages, les raisons d’être ou les fonctionnements essentiels. »

Certes, l’humour aide à remettre quasi tout en question, et permet de soulever des sujets avec une approche un peu plus légère, voire assouplir le quotidien morose des gens ; il n’en reste que parfois ça peut être un flop, d’autant plus quand il est inscrit dans une logique consumériste et ostentatoire. L’humour beauf partagé sans consentement avec les gens qui vous entourent. Tenez, c’est comme si vous arrêtiez chaque passant·e pour lui faire la blague du « tire sur mon doigt ». Même si, avec un peu de chance, vous faites rire 0,1% de vos spectateur·ices (parce que oui, si vous êtes un clown, on peut considérer que votre audience est composée de spectateur·ices), il n’en restera pas moins que 99,9% auront pitié de vous et vous foutront dans la case « relous », entre Jean-Marie Bigard et les YouTubers qui commencent leurs vidéos par « Salut les abonné·es ».

Exister dans le regard (dubitatif) d’autrui

Ce besoin de faire rire ou sourire à travers votre vêtement (parce que, je vous le rappelle, vous n’avez pas les couilles ou les ovaires de devenir clown pro), traduit selon moi un besoin de reconnaissance flagrant. Si vous êtes du genre à porter des sapes à message, avouez-le, votre seul but en choisissant la pièce le matin, c’est qu’on vienne vous dire un maximum de fois au bureau ou en cours : « Hey, trop bien ton pull, haha ! ». Un peu comme un gosse à qui on vient d’acheter son premier vêtement de marque et qui met le logo bien en évidence sur la photo de classe.

Vous ne vous en rendez visiblement pas compte, plus que de la sympathie, vous créez surtout de la pitié voire de la frustration chez les gens que vous croisez. Quand je vois un vêtement à texte dans la rue, et qu’il me faut 3 secondes pour comprendre les t-shirts parodiques du type « Pink Freud » ou « Beer is calling », tout ce que je me dis c’est « Putain, pourquoi ? ».

Vous attendez quoi de la vie a part l’avis des autres ?

Mettez de côté la langue de bois, soyez clair, quel est votre but ? Que voulez-vous prouver au monde ? Twitter ne vous suffit-il pas pour faire passer des messages inutiles ? Vous attendez quoi de la vie a part l’avis des autres ?

Je ne suis pas le seul à m’être posé la question. Quelques articles ou threads Quora ont aussi pointé le phénomène. Souvent, on mentionne le fait que ces vêtements à messages peuvent être des déclencheurs de conversation, des statements niveau style perso, des déclarations au monde (« Je suis pas petite, j’ai plus les pieds sur terre que les autres »), entre autres. Dans tous les cas, j’observe que c’est très lié à l’égo, centré sur la personne qui le porte. Jamais, je n’ai vu un pull sur lequel était écrit « Si tu lis ça, sache que t’es une personne formidable ». Non, vous portez ces sapes pour satisfaire votre besoin d’exister parmi les gens normaux (comprendre : les gens pas faussement originaux). Arrêtez de me regarder dans les yeux, je ne vous donnerai pas mon approbation après avoir lu votre t-shirt.

Des phrases et des gestes complètement à côté de leurs pompes

Bon, vous me direz, c’est très subjectif et, dans une certaine mesure, on s’en fout de ce qui est marqué sur la robe, le t-shirt, le string ou la paire de chaussettes de notre voisin·e. C’est vrai, ce ne serait qu’accorder une importance trop grande à quelque chose de secondaire. Mais disons que ce je-m’en-foutisme vestimentaire dépasse bien trop souvent des limites.

À certains stades, ce n’est même plus des vannes ou des labels bourgeois ; c’est juste de la gênance pure, du genre à laisser pantois : les « Do you speak French Kiss » qui, au mieux, vous aideront à séduire les personnes qui ont le même humour que vous – soit les fameux 0,1% de tout à l’heure -, au pire vous imposeront un célibat forcé ; les « What the Phoque » dignes de l’humour franglais fatigant de yugnat999 ; ou encore les private jokes qui rappellent plutôt le hoodie personnalisé conçu à l’occasion d’un enterrement de vie de garçon craignos. Avec tout ça, c’est sûr, vous avez plus de chances qu’une personne lambda se penche dessus pour en écrire un article acerbe plutôt que quelqu’un vous arrête pour vous complimenter.

Néanmoins, si l’on s’éloigne un peu de notre société occidentale, on peut retrouver une certaine pointe d’humour second degré (millième degré, si on veut être dans l’exagération) à ces phrases bateau qu’on retrouve sur vos fringues. En effet, en Asie par exemple, des comptes Instagram reprennent les différents t-shirts qui n’ont ni queue ni tête, vus au hasard dans la rue. Comme un Où est Charlie de l’estampillage farceur. Pareil au Japon, où il n’est pas rare de trouver des vêtements qui arborent des phrases n’ayant aucun – ou peu – de sens, la faute à des traductions négligées. C’est juste cool d’avoir un truc écrit en anglais ou français. C’est peut-être les seules situations où ces vêtements ne sont pas prétentieux, donc les seules fois où, par tendresse, on pourrait les accepter.

« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde » : ressortons cet adage pour la énième fois, et réfléchissons chacun et chacune au sens de nos actions quotidiennes. Dans tous les cas, prenez la liberté de vous saper comme vous le voulez, mais n’attendez pas l’approbation de fatalistes nihilistes comme moi la prochaine fois que vous mettrez votre t-shirt « Du pain, du vin, des gros seins ». En tout cas, moi, j’en ai ras la casquette.

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