Ceux qui auront gardé une étincelle d’espoir face aux multiples signes avant-coureurs seront finalement déçus. Après avoir maintes fois laissé planer le doute sur la réalisation de la réforme du mode de scrutin avant les prochaines élections, Justin Trudeau fait une croix définitive sur sa promesse.
C’est écrit noir sur blanc dans la lettre de mandat de la nouvelle ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, qui a été assermentée le 10 janvier, lettre signée par le premier ministre : « La modification du système électoral ne fera pas partie de votre mandat. »
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Selon le premier ministre, il n’y a avait pas de consensus réel sur le mode de votation à privilégier et, au final, peut-être même aucun consensus sur la nécessité de changer le mode de scrutin. (Une déclaration qui survient après que les Libéraux ont martelé sans cesse à la Chambre des Communes que plus de 60 % des Canadiens avaient voté en faveur de la réforme électorale, puisqu’ils avaient voté pour des partis qui la proposaient.)
Ainsi, en octobre 2019, le mode de votation sera toujours le même.
Promesse brisée
L’annonce de mercredi a suscité l’indignation des partis d’opposition à la Chambre des communes. Les mots « trahison », « tromperie » et « cynisme crasse » ont rapidement fusé de la bouche du chef sortant du NPD, Thomas Mulcair, qui a rappelé que la promesse a été répétée 1813 fois depuis l’entrée au pouvoir des Libéraux.
Par curiosité, nous avons scruté les publications des séances de la Chambre des communes et avons noté 994 interventions, étalées sur 67 pages, dans lesquelles il était question de la réforme électorale.
Résultat : selon les documents consultés, en chambre seulement, et seulement en français, les Libéraux ont promis qu’ils honoreraient leur promesse au moins 62 fois.
Des « nous avons affirmé que les élections de 2015 seraient les dernières à se tenir selon le système uninominal à un tour », « nous proposons des changements historiques au système électoral » et « nous sommes résolus à honorer cet engagement », on en lit à profusion.
Soixante-deux promesses, c’est déjà énorme. Ajoutez à cela la campagne électorale, la course à la chefferie, les points de presse, les annonces, les entrevues, les débats, les discussions et toutes les grandes promesses de changement. On ne s’en sort pas.
Dans les archives de la Chambre des communes, on recense également plus d’une vingtaine de mentions de la réalisation de la réforme du mode de scrutin qui s’apparentent à des promesses, mais dont la formulation un peu vague ne nous permet pas de les classer dans cette catégorie. On parle ici de formulations comme « faisons ce qui s’impose et travaillons en collaboration pour moderniser notre système électoral », « les Canadiens comptent sur nous » ou « nous convenons tous que les institutions démocratiques canadiennes doivent évoluer ».
Pressé par Thomas Mulcair, Justin Trudeau a répété sa promesse en Chambre pour la dernière fois le 7 décembre dernier, environ un mois et demi après qu’il a laissé entendre dans Le Devoir que la réforme pourrait ne pas voir le jour.
À nouveau poussé par le chef du NPD le 31 décembre, qui lui demandait s’il admettait avoir « abandonné sa promesse et trahi son engagement », Justin Trudeau a choisi d’éluder la question. Pour Mulcair, cette « absence de réponse » était « éloquente ».
Pas de consensus?
Le NPD a critiqué mercredi l’excuse libérale selon laquelle il n’y a pas le consensus nécessaire pour mettre en œuvre la réforme démocratique : « 90 % en faveur d’un système plus proportionnel, ça commence à ressembler à un consensus », a rétorqué Thomas Mulcair.
Le chef du NPD répondait ainsi directement au premier ministre, qui répétait pour une énième fois que les Canadiens ne s’entendaient pas sur la façon de procéder. « Nous avons consulté des centaines de milliers de Canadiens, nous avons entendu leur point de vue au sujet de la transformation de notre système électoral, et il est très clair – comme tout le monde en Chambre le sait – que moi, j’ai toujours préféré le scrutin préférentiel, et il y en a d’autres qui préfèrent la représentation proportionnelle mixte. Il n’y a donc pas de consensus », a argué Justin Trudeau.
Remarquons que le premier ministre souligne ici qu’il n’y a pas de consensus entre… son opinion et celle des autres?
Top 5 des citations désormais gênantes pour les Libéraux, maintenant que leur promesse ne tient plus
« Monsieur le Président, les Canadiens sont intelligents et raisonnables, et c’est pourquoi une très grande majorité d’entre eux ont voté pour la réforme électorale aux dernières élections. »
– Maryam Monsef, alors ministre des Institutions démocratiques, 8 juin 2016, en réponse à un député du Parti conservateur demandant si le Parti libéral jugeait les Canadiens trop simples d’esprit pour se prononcer par référendum
« Monsieur le Président, il serait peut-être utile que les conservateurs nous fournissent une liste des promesses auxquelles, selon eux, nos concitoyens ont prêté attention, et une autre des promesses qu’ils n’ont pas entendues. Nous pourrions ainsi savoir quelles promesses on nous reprochera d’avoir tenues et celles auxquelles nous ne devrions pas donner suite. Tout cela prête un peu à confusion. »
– Mark Holland, auparavant secrétaire parlementaire de la ministre des Institutions démocratiques, 2 juin 2016, en réponse à une députée du Parti conservateur qui avançait qu’un vote en faveur d’un parti n’équivaut pas à un vote envers toutes ses promesses
« Je comprends que le parti d’en face ne soit pas à l’aise avec l’idée d’entendre un large éventail d’opinions, mais ce n’est pas notre cas. »
– Maryam Monsef, 10 décembre 2015, en réponse à une énième question sur la tenue d’un référendum
« Je ne serais pas surprise que les générations de demain se penchent sur les réformes proposées dans cette motion et qu’elles les commentent à leur tour […]. Je ne serais pas surprise qu’elles y voient un pas de plus dans la marche de notre système électoral vers une plus grande intégration […]. »
– Karina Gould, désormais ministre des Institutions démocratiques, 2 juin 2016, dans un élan d’optimisme au sujet de la transformation historique du système électoral
« Monsieur le Président, le changement et une réforme attendue depuis longtemps nécessitent leadership et vision. Le gouvernement a une vision pour une démocratie plus saine et, de ce côté-ci de la Chambre, nous ne manquons pas de leadership.
– Maryam Monsef, 12 mai 2016, sur l’absence de tenue d’un référendum sur la réforme