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Avec la boulangère hors-la-loi qui cuisine des desserts à la weed

À Montréal, Betty Cracker confectionne des gâteaux infusés au cannabis en attendant la légalisation.
Photo avec l'aimable autorisation de Betty Cracker.

Au Canada, il n’y aura pas de produits comestibles à base de cannabis en vente avant 2019. Pourtant, certains n’attendent pas la légalisation pour développer et faire fleurir des activités « connexes ». C’est le cas d'une boulangère respectée de Montréal qui confectionne des desserts améliorés.

« Betty Cracker », 34 ans, se cache derrière la légendaire The Original Betty. Au cours des dix dernières années, elle a élaboré dans sa propre cuisine bon nombre de desserts infusés au cannabis. Une production assez éloignée de son précédent taf dans l’industrie de la mode.

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Avec une attitude aussi agréable que ses desserts, Betty a rapidement gagné une réputation de fournisseuse de confiance, cuisinant au moins 1 000 produits par semaine pour une vaste gamme de clients ; de la maman à plein temps cherchant son chill au patient atteint d'un cancer tentant de soulager sa douleur.

Bien qu’elle soit comblée par son travail – qui consiste à aider les autres à se sentir bien – elle craint toujours de se faire choper. Même lorsque les « comestibles » seront légalisés au Canada, elle ne pourra pas tenir de boutique privée en raison du strict monopole d’État sur la vente de cannabis et de produits dérivés.

Elle raconte ici les rouages de The Original Betty et son rêve de voir ses affaires être un jour légitimées, afin qu’elle n’ait plus à restreindre sa passion au quatre murs de sa cuisine.

VICE : D’où te vient ta passion pour le cannabis ?
Betty : Quand j’avais la vingtaine, j’étais barmaid pour payer mes études universitaires. J’étais aux premières loges pour voir les ravages de l’alcool sur mes collègues et les clients. Ça ne m’avait jamais vraiment intéressée contrairement au cannabis qui changeait mon état d’esprit avec des effets mineurs sur ma vie quotidienne.

Comment es-tu passée de l’industrie de la mode au marché noir ?
J’ai voulu trouver une façon d’accéder de façon « safe » au cannabis. J’ai commencé par organiser des événements, comme des ateliers, pour éduquer la communauté [de consommateurs]. J’ai réalisé que mon objectif était d’aider les gens, plus particulièrement ceux qui sont malades. Le bouche-à-oreille a fait son effet et la demande s’est accrue. Honnêtement, ce n’était pas mon emploi rêvé. Mais étant dans l’industrie de la mode, j’ai toujours été passionnée par les tendances et l’avant-gardisme.

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Comment obtiens-tu ton herbe ?
La première étape a été d’obtenir un permis de possession auprès de Santé Canada, qui m’a fourni un accès – plutôt que de passer par l’industrie clandestine – et la capacité de posséder plus que ce qui est permis par personne avec une prescription du médecin.

« Je me vois comme une activiste tentant de faire progresser les possibilités de transformation du cannabis. »

Quels sont tes produits les plus populaires ?
Certainement les biscuits parce que j’en ai 20 variétés. Les gens aiment aussi le maïs soufflé au caramel et les brownies, bien sûr. Pour ceux qui sont malades, je fais des desserts sans trop de sucre. Quant aux recettes, j’y vais vraiment avec les tendances, mais j'adore Ricardo ! J'ai aussi un herboriste qui me guide.

Donc, tu abuses de ton permis de possession et vends une substance inscrite à l’annexe II de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Qu'est-ce qui te différencie des dealers ?
J’ai toujours vu cette aventure comme une initiative de recherche et de développement. Je me vois comme une activiste tentant de faire progresser les possibilités de transformation du cannabis. Ma philosophie est aussi de traiter les autres de la façon dont je souhaiterais être traitée. Je ne fais que leur offrir le meilleur service qui soit. Chaque produit est fait avec la plus grande attention portée sur les détails : des ingrédients de qualité, des sacs et des autocollants « Eat me for pleasure ». Souvent, les dealers traitent les clients comme de la merde. Mais je suis toujours inquiète concernant l’illégalité de la démarche.

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Sur ce point, j’imagine que tu as connu la peur de te faire prendre.
Bien sûr. Certains m’ont décrit comme une parano. Bien que The Original Betty soit populaire, mes activités sont toujours clandestines. Par-dessus tout, je m’assure que tout est bien contrôlé et confiné pour réduire les risques. Écoute, mon but n’est pas d’avoir de nouveaux clients, mais, quand quelqu’un m’approche, je demande une référence.

Si tu te faisais prendre, quelles seraient les conséquences ?
Je peux compter sur le meilleur avocat criminel qui soit. Il me dit souvent que, si l’on considère que je n’ai pas de dossier criminel,et que la majorité de ma clientèle est composée de patients malades, je devrais être en mesure d’éviter la prison. Les autorités ont mieux à faire que d’essayer de m’attraper. Mais les conséquences pourraient être une résidence surveillée et sans doute quelques amendes. Tout ceci est encore une zone grise pour moi.

J’imagine qu’il est possible que tu demeures dans cette zone un certain temps. Pourquoi penses-tu que le gouvernement est si incertain quant aux produits comestibles à base de cannabis ?
Contrairement à l’alcool, vous ne pouvez pas toujours mesurer votre tolérance aux comestibles puisque ceux-ci n’affectent pas tout le monde de la même façon. C’est probablement de là que vient la peur : les gens peuvent tomber en « coma vert » lorsqu’ils en mangent trop.

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Prévois-tu des conséquences majeures à cause de cette décision ?
Le gouvernement sait que le marché existera aussi longtemps qu’ils fourniront du cannabis aux gens.

Même lorsque les comestibles seront légalisés en 2019, les détaillants privés seront interdits au Québec, car la Société québécoise du cannabis aura le monopole. À quoi ressemblera ton futur ?
Je vise la fusion avec un producteur commercial. Cela me donnerait l'opportunité d'appliquer mes connaissances et de donner aux gens ce qu'ils veulent. C’est ce que je dois faire pour survivre. Je suis tout à fait consciente que je n’aurai jamais de boutique : c’est notre réalité. Les monopoles, ça m’attriste. Ce sont toujours les mêmes familles qui ont tout.


Cet article a été préalablement publié sur VICE Québec.