Bon, ça a l’air d’une énorme lapalissade dit comme ça, mais je tenais à ouvrir cet article en rappelant que les artistes et la drogue ont toujours fait plutôt bon ménage – du moins, si par « artistes » on entend autre chose que Banksy. De la consommation effrénée d’héroïne de Basquiat à l’alcoolisme notoire d’Hemingway, les grands du XXe siècle ont, pour la plupart, goûté aux joies des substances récréatives – récréation qui n’a duré qu’un temps, bien entendu, vu qu’ils en sont souvent morts.
Malheureusement, le fait de passer ses journées à se défoncer le crâne en attendant que l’inspiration vienne n’est pas à la portée de tous – sachant que les gens dits « normaux » ont un travail, des enfants, et une vie sociale à entretenir. Pour lutter contre cet état de fait, l’entreprise Cannabis Tours propose à ses clients de participer à un atelier de formation à la peinture intitulé Puff, Pass, and Paint. Les plus à l’aise d’entre vous avec la langue de Kurt Russell auront compris que tout l’intérêt de ce cours consiste à profiter de la récente légalisation du cannabis dans certains États américains pour en faire le cœur d’une expérience créative. Cannabis Tours propose également des ateliers de poterie, de cuisine ou encore de tricot – le tout sous l’influence de la weed, évidemment. Pour en savoir plus, je me rends aujourd’hui à une session de Puff, Pass, and Paint qui se tient à Las Vegas pour savoir si les Pollock et Warhol de demain sont là, quelque part, à dessiner rêveusement sur une toile.
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Vu que les autorités sont tout de même quelque peu critiques à l’égard du cannabis, mon cours de peinture n’a pas lieu dans une salle flamboyante située dans un mall tout neuf, mais bien dans une maison de la banlieue de Vegas louée pour l’occasion.
L’organisatrice de l’événement du jour n’est autre qu’Heidi Keyes, la cofondatrice de Puff, Pass, and Paint. Celle-ci m’accueille avec un verre de vin et un joint de Blue Dream, une variété de cannabis hybride très prisée aux États-Unis. Heidi m’indique l’endroit où je vais m’installer pour m’adonner à ma nouvelle passion. Autour de moi, des gens échangent des joints, discutent, se confient. Un type m’avoue en être à sa quatrième session. À l’entendre, la peinture lui permet de rester éloigné de l’alcool, l’une de ses tentations destructrices. Après ces quelques mondanités, on me confie une palette recouverte de plusieurs monticules de peintures de couleur différente, trois pinceaux ainsi qu’une toile vierge sur laquelle je suis censé peindre mon chef-d’œuvre ultime.
Le cours débute lorsque les gens se sentent enfin assez défoncés pour peindre sans avoir peur de se ridiculiser. Mike Cassini, notre professeur de peinture du jour, nous montre des exemples sur lesquels nous devons nous baser. Il s’agit tout d’abord de représenter des collines surmontées de champignons géants. Les instructions à suivre sont volontairement floues afin de laisser le champ libre aux peintres en herbe – tout en s’assurant que ces derniers, dont je fais partie, ne vont pas passer deux heures à se prendre pour des pointillistes incompris.
Au bout de quelques minutes, plusieurs styles picturaux cohabitent au sein de la classe. Heidi Keyes se balade dans la pièce pour encourager l’ensemble des participants, telle une institutrice avant tout là pour rasséréner ses élèves. « Hey, j’adore ce que tu as fait ! Ton utilisation de l’ombre est superbe ! », et d’autres remarques de ce genre fusent.
Si la plupart des gens présents autour de moi ne désirent pas être pris en photo à cause des stigmates entourant encore les fumeurs, je tombe tout de même sur Brandon et Ryan, un couple originaire de Détroit et d’Inglewood qui n’a aucun problème à assumer sa consommation de weed. « Ma copine est venue me voir pour me dire que ça serait cool de peindre et de fumer en même temps, alors nous voici », me résume brièvement Brandon. Un peu plus tard, il m’apprend que c’est la première fois de sa vie qu’il s’adonne à la peinture.
Au fil des minutes, le caractère unique de chaque peinture paraît de plus en plus évident. La désinhibition fait rage et les participants se laissent aller, font parler leurs tripes. De là découle l’abandon par certains de l’impératif de dessiner des champignons. À la place surgissent des formes abstraites, des tigres immenses, des êtres humains difformes.
Alors que je discute avec Brandon au sujet des possibles interprétations de nos œuvres respectives, Kristal Chamblee apparaît par le battant de la porte de la cuisine pour nous avertir que des cookies, des brownies et autres sucreries sont disponibles dans la pièce d’à-côté. Brandon et moi-même mettons quelques minutes à nous lever de nos sièges. Résultat : dans la cuisine, les pâtisseries ont été englouties sans attendre. Je masque mal ma déception mais tente de relativiser en disant à Brandon qu’après tout, c’est comme cela que vivent les vrais artistes : en crevant de faim.
L’atelier prend fin, et tous les participants se lèvent pour observer les œuvres des uns et des autres. Pas mal d’éclats de rire fusent, tandis que je me contente de chercher coûte que coûte un cookie. Nouvelle déception. Je me rapproche alors d’Heidi Keyes et évoque avec elle son rapport à l’art. « Pour moi, l’art est avant tout un moyen d’apaiser notre existence, autant dans sa dimension pratique qu’esthétique », me précise-t-elle.
Au-delà de sa volonté de normaliser le cannabis, Heidi espère que tous les participants à l’atelier « repartent détendus et inspirés, après avoir ri, fumé et rencontré des gens – et ce même s’ils jugent que leur peinture n’est pas un chef-d’œuvre ». Elle tient à préciser que « Puff, Pass and Paint n’a rien à voir avec la création d’une œuvre parfaite. Il s’agit avant tout d’une expérience destinée à explorer votre créativité sous l’empire de la weed. »
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