« Tout ce qu’il me reste c’est une boîte de trois capotes, » se désole Ernesto.
Ce Vénézuélien de 28 ans a une relation longue distance avec une femme qui vit dans une autre ville. Ernesto essaie de coucher avec sa copine à chaque fois qu’ils arrivent à se voir. Mais Ernesto n’est pas bouillant à l’idée de devenir papa prochainement. Surtout dans un pays où les produits élémentaires pour les bébés sont difficiles à trouver, comme les couches.
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Du coup Ernesto — la plupart des gens interviewés pour cet article ont souhaité rester anonymes — va de pharmacie en pharmacie, de ville en ville, à la recherche de petits bouts de latex qui sont de plus en plus difficiles à trouver dans ce pays d’Amérique du sud.
La pénurie de capotes a transformé sa vie sexuelle.
« Il va falloir qu’on s’habitue à ne le faire qu’une fois par jour, limiter les câlins » nous raconte Ernesto. « À Maracaibo, Margarita, et Merida, c’est la rupture de stock. »
À force de gratter aux portes de neuf pharmacies dans deux villes différentes, il a mis la main sur trois boîtes. Ça fait 9 préservatifs en tout. À l’écouter, on comprend qu’il sera vite à court.
« Je fais hyper gaffe à chaque fois que j’en mets un. J’ai pas du tout envie d’en péter un de ceux qui me restent »
La quête des capotes — tout comme celles d’autres produits du quotidien, comme les serviettes hygiéniques, le savon, et le papier toilette — a fait naître des tensions ces derniers mois dans la vie de tous les jours au Venezuela. Le pays fait face à des pénuries de produits très problématiques. Cela est dû à des taux d’inflation qui atteignent des sommets, et par une réduction du volume de dollars américains en circulation. Le mardi 24 février un enfant de 14 ans a été tué par une balle en caoutchouc tirée par un policier pendant une manifestation dans la ville de San Cristóbal.
Les entreprises privées disent que le gouvernement aurait dû donner son aval à une redistribution de la devise américaine pour pouvoir procéder à des importations de marchandises étrangères. D’après un syndicat de l’État de Zulia, au nord-ouest du pays, on estime que 95 pour cent des business qui dépendent de devises étrangères pour leur commerce sont dans l’incapacité de disposer de ce cash.
Le Venezuela maintient un contrôle extrêmement strict des devises depuis plus de dix ans. Pour pouvoir importer des marchandises, pour pouvoir voyager à l’étranger ou même pour pouvoir acheter sur Internet, les citoyens du pays doivent d’abord demander au gouvernement d’échanger des bolivares pour des dollars ou des euros. Le marché noir des devises étrangères a ainsi explosé. Il y a quelques jours, le gouvernement a répondu à cette situation par une série de mesures nivelant quasiment les taux de change officiels et ceux pratiqués sur le marché noir.
Reste que dans le cas des produits relevant du domaine de l’alimentaire comme de la santé — des préservatifs par exemple — le taux de change restera le même qu’avant ces nouvelles dispositions. En d’autres termes, acheter des capotes ne sera pas plus simple, et toujours aussi cher.
Pour le gouvernement chaviste du président Nicolás Maduro, les pénuries sont le résultat d’une « guerre économique » menée par l’opposition politique et les classes aisées. Maduro s’en est pris à eux en dénonçant des pénuries provoquées par les « vampires de l’ultra-droite », et « les parasites de la bourgeoisie avec leurs méthodes de guerre économique. »
Les autorités ont arrêté plus tôt en février les propriétaires de Farmatodo, la plus grande chaîne pharmaceutique du pays, ils sont poursuivis pour « irrégularités » dans les approvisionnements.
Pour l’opposition, les pénuries sont le fait du gouvernement. « Le modèle économique ne marche pas parce qu’il n’autorise pas les Vénézuéliens à produire », a dit le chef de l’opposition Julio Borges dans une interview télévisée début février. « Le gouvernement entre en guerre contre le secteur privé.
Pour les Vénézuéliens, c’est parole contre parole, et cela ne les aide pas dans leur quête. VICE News a parlé à de nombreux jeunes du pays ces dernières semaines. Miguel est célibataire. Il raconte qu’il est en train de tomber à court de capotes. Mais ça n’a pas l’air de le paniquer plus que ça.
« J’en ai encore 8, peut-être 10. Juste de quoi faire face à deux ou trois rendez-vous galants, » dit Miguel. « Tant que la fille prend des contraceptifs, je ne suis pas mortifié à l’idée de ne pas trouver de préservatif sur l’étagère. »
On lui a demandé si cela ne l’embêtait pas que les pilules contraceptives ne lui soient d’aucune utilité face aux maladies sexuellement transmissibles.
« Je me dis qu’on se retrouve tous face à ce risque à un moment ou à un autre, » répond-il. « Surtout si vous ne tirez pas votre coup souvent. »
Juan est un homosexuel de 24 ans. Lui, exprime son inquiétude. Juan et son partenaire considèrent le préservatif comme une condition sine qua non de leur vie sexuelle.
«Si on n’en a pas, mon partenaire sait que ce jour-là on ne fera rien du tout, » dit Juan.
Il ajoute que cette pénurie, eh bien c’est « presque une castration ». Incapable de mettre la main sur une capote, Juan dit que lui et son compagnon ont récemment dû se résigner à s’embrasser, se caresser, et « finir en mode manuel ».
Le 20 février, la sécurité sociale du pays a annoncé qu’elle allait distribuer 18 millions de préservatifs cette année. Mais on ne sait pas encore quand. Ni où. Ni comment.
Il y a environ 100 000 personnes séropositives au Venezuela. Cela représente 0,6 pour cent de la population d’après les Nations Unies.
« Il n’y a pas de campagnes d’informations au Venezuela pour prévenir les grossesses non désirées, les malades sexuellement transmissibles, le VIH » explique à VICE News Fernando Reyna, chef d’une ONG appelée Stop VIH.
« Ils ont disparu, » nous raconte Rebecca. « Et les pilules contraceptives c’est une autre histoire. L’année dernière j’ai dû changer de marque trois fois, parce qu’ils n’avaient plus les miennes. »
Pénurie donc de préservatifs et de pilules. Dans un pays qui présente déjà des chiffres élevés de grossesses chez les adolescentes. D’après des chiffres de la Banque Mondiale, derrière le Guyana, le Venezuela est le pays d’Amérique du Sud qui présentait en 2012 le taux le plus haut de jeunes filles enceintes entre 15 et 19 ans.
Au Venezuela, l’avortement est interdit, sauf dans le cas où la vie de la mère est menacée.
Nous avons visité différentes pharmacies et magasins de Caracas. La chasse était ouverte pour les capotes. Aucune trace. Nulle part. En fait, les endroits où l’on trouvait habituellement des préservatifs étaient tout simplement vides, ou alors on avait mis des shampoings à la place.
« On n’a rien reçu depuis novembre, » raconte un magasinier du supermarché Los Palos Grandes, dans un quartier très passant de Caracas.
« Il y a trois jours, on en a reçu quelques-uns, ils sont partis immédiatement. Ça faisait longtemps qu’on n’en avait pas vus, » nous a dit un autre magasinier, cette fois dans un quartier de la classe moyenne de la même ville, à Sabana Grande.
Et enfin, on en a trouvé une boîte à un prix complètement délirant, à El Cafetal. Dans un quartier huppé de la ville de Caracas.
Un paquet de trois, de la marque Playboy. Ça coutait 120 bolivars, 17 euros, au taux de change officiel.
Un restaurant du coin vendait aussi des préservatifs. La marque était générique, un sobre « USA ».
« J’ai jamais vu cette marque avant. Franchement je n’oserai pas m’enfiler ça, »dit Isaac, un autre jeune vénézuélien.
Comme pour d’autres produits du quotidien, les Vénézuéliens font appel à des amis vivant à l’étranger ou des amis qui vont en vacances à l’étranger. On ne demande plus de ramener des bouquins, une crème hydratante spéciale, ou une bouteille d’huile d’olive comme avant. Non, aujourd’hui on demande des médicaments, des tampons, et maintenant des capotes.
« Une vie de couple sans relation sexuelle, ça n’a pas de sens, » pense Antonio..
« Un pote m’a ramené une boîte de 36 de Miami, » nous raconte Ana. « Ça expire en 2018, donc j’ai pas mal de temps devant moi si je me retrouve célibataire. »
« J’ai rapporté plein de boîtes de Las Vegas. Je les ai vues et je n’y ai pas réfléchi à deux fois […] C’est un investissement pour le futur, » explique Diego.
Ricardo a demandé à une amie au Panama de lui en prendre. « Je vais la payer avec une carte cadeau achetée sur Amazon. Je ne peux pas la payer autrement.»
D’autres n’ont pas ces accès à l’étranger.
« J’en ai acheté plein en 2014, quand on en trouvait encore. Quand je serais à court, faudra que je devienne abstinent, jusqu’à ce que j’en retrouve, » dit Juan. « J’ai appris à m’adapter à l’inadaptable, à faire avec les cycles menstruels, à me limiter, à respirer… C’est le pain aujourd’hui, la famine demain. C’est une nécessité, un droit humain. »
« L’alternative ? C’est d’aller se promener dans des endroits publics, pour ne pas penser à baiser, » blague Juan. « La prochaine étape, ce sera le sexe tantrique, et beaucoup de karaté ».
Suivez Alicia Hernandez sur Twitter @por_puesto.