Ce que ça fait de perdre ses testicules quand on est jeune

Il y a deux ans de ça, alors que j’étais infirmière en formation, j’ai tenu entre mes mains une tumeur cancéreuse issue du testicule d’un patient âgé de 20 ans. Le jeune venait de subir une orchidectomie, à savoir l’ablation d’une partie ou de l’intégralité du testicule. Je tenais donc dans ma main une tumeur de la taille d’une noix, que le chirurgien venait tout juste de retirer. Cette vision m’a marquée à jamais : savoir qu’une si petite masse de chair pouvait mettre en danger la vie d’un individu m’a bouleversée.

En Grande-Bretagne, les hommes âgés de 15 à 49 ans souffrant d’un cancer des testicules guérissent dans 98 % des cas. Bien entendu, les choses se compliquent lorsque le cancer n’est pas détecté assez tôt – dans un tel cas de figure, le patient subira souvent une chimiothérapie très lourde, et mourra parfois.

Videos by VICE

J’ai contacté quatre jeunes hommes ayant survécu à un cancer des testicules après avoir subi une orchidectomie, ainsi que Paula Hemmingway, dont le fils est mort après avoir attendu trop longtemps en espérant que la tumeur présente sur son testicule était bénigne.

David, 29 ans, Birmingham

VICE : Peux-tu me dire en quoi ta vie a changé depuis que tu as appris que tu étais malade ?
David : On m’a diagnostiqué un cancer à 25 ans. Je suivais des études de médecine et je comptais me spécialiser en oncologie, d’ailleurs. Une tumeur avait été détectée au niveau de mon ventre, et j’avais extrêmement peur. Je ne savais même pas si c’était traitable. Le jour où mon médecin m’a fait passer un test ultrason pour savoir si c’était un cancer des testicules et qu’il a compris que oui, j’étais tellement soulagé. Les chances de survie étaient bien meilleures que pour un autre cancer. Je me souviens de mon médecin qui me disait qu’il était désolé. De mon côté, j’étais heureux !

Comprendre parfaitement quel était le mal qui me rongeait m’a beaucoup aidé, et a aidé ma famille. Nous évoluons tous dans le milieu médical, ce qui facilite les échanges. Il y avait tout de même un revers à cela : les lieux qui autrefois me paraissent accueillants devenaient terrifiants, comme l’hôpital, les rendez-vous chez mes médecins, etc. Passer du docteur au patient a été une expérience très formatrice, bien que difficile.

Comment ta famille a-t-elle réagi quand ils l’ont appris ?
Le moment où j’ai dû annoncer ça au téléphone à ma mère a été très compliqué. Toute ma famille m’a rapidement rejoint en Grande-Bretagne depuis l’Irlande, et ma mère a tenu à rester le temps de ma guérison. Les avoir près de moi m’a beaucoup aidé.

Que ressent-on quand on apprend que l’on a un cancer à 25 ans ?
Six mois avant que j’apprenne cela, l’un de mes amis avait succombé à une tumeur cérébrale. J’étais toujours en pleine période de deuil, et je réfléchissais à l’injustice de tout ça, à ma relation à Dieu, à la foi. Apprendre que j’étais également malade n’a fait qu’accentuer ces questionnements.

Le jour où j’ai appris que j’avais un cancer, je me suis dit : Michael est passé par là et en est mort, maintenant c’est à moi de vivre cela. Dans tout ce malheur, quelque chose m’a tout de même aidé : j’avais compris que la vie ne tenait à rien, et j’étais en paix avec ça.

Pauline Hemmingway, mère de David, décédé à l’âge de 31 ans

VICE : Comment David vous a-t-il appris qu’il avait un cancer, et comment avez-vous réagi ?
Pauline :
Je ne connaissais rien sur le cancer des testicules. David, lui, avait remarqué une protubérance sous sa peau, mais avait choisi de l’ignorer.

David a toujours été taiseux. Après le diagnostic, et il est retourné vivre chez moi, et semblait plus détendu. Il n’a craqué qu’une seule fois devant moi, en se mettant à pleurer – je lui avais promis que tout irait mieux. Je m’adaptais à ses changements d’humeur au quotidien.

Comment David a-t-il fait face à sa chimiothérapie ?
Il avait très peur le premier jour – tellement peur que les infirmières ont eu du mal à mettre en place l’intraveineuse à cause de sa sueur. Il passait huit heures par jour en chimiothérapie, et j’étais là d’un bout à l’autre. Il a fini par fumer du cannabis médicinal pour atténuer ses nausées, et ça a bien fonctionné.

Et que gardez-vous en tête aujourd’hui ?
Le dernier baiser échangé avec David, alors que le moniteur cardiaque indiquait que son cœur ne battait plus – c’est l’expérience la plus douloureuse qu’une mère puisse connaître. Si David avait pris soin de consulter un médecin, il serait encore en vie.

Ferg, 29 ans, Londres

VICE : Comment as-tu réagi quand tu as appris que tu étais malade ?
Ferg : J’étais un peu abattu. Dès le début, on m’a dit que mon premier scanner n’était pas bon. J’ai eu très peur, et j’avais besoin de comprendre ce qui se passait.

Qu’a changé l’ablation d’un testicule chez toi ? Te sens-tu moins « homme » qu’avant ?
Pour être honnête, je n’ai jamais pensé à ça. Il fallait que je sois opéré, et rapidement – donc ça s’est fait. Bien sûr, j’avais des questions évidentes en tête – liées à mes possibles futurs enfants et à « l’aspect » une fois l’opération conduite – mais ça ne m’a jamais obnubilé. J’ai tenu à normaliser la situation très rapidement.

Quels sont les clichés les plus récurrents en ce qui concerne le cancer des testicules ?
Certaines personnes sont persuadées qu’elles ne pourront plus avoir d’enfants ou faire l’amour, que leurs testicules seront « hors d’état de marche ». En réalité, avoir un ou deux testicules ne change pas grand-chose.

Steve Make, 39 ans, Maryland

VICE : Quand avez-vous appris que vous aviez un cancer ?
Steve :
Quand j’avais 33 ans. J’étais sous le choc. J’ai deux enfants, et je pensais que j’étais invincible, que je n’étais pas du genre à tomber malade. En fait, cela faisait quelques mois que j’avais mal dans mon testicule droit, et parfois il m’était impossible de dormir. Je me souviendrai toujours du moment où j’ai senti clairement une boule au niveau de mon testicule droit. Mon cœur s’est accéléré, et j’ai compris tout de suite ce que j’avais.

Une fois le choc encaissé, j’ai voulu me battre. Ma femme et moi-même avions lutté pour en être là où nous en étions, et il était hors de question de tout perdre.

Et qu’a changé le cancer dans votre vie ?
Ça bouleverse évidemment votre rapport à la vie, et son instabilité. En fait, plus que le cancer, c’est une sorte de syndrome de stress post-traumatique qui m’a poussé à évoluer. J’ai connu des passages très difficiles pendant deux ans, après avoir guéri. J’ai même pensé me suicider tellement j’avais perdu le contrôle de ma vie. Je me suis repris, parce que ma famille avait besoin de moi.

Et quel rapport entreteniez-vous avec vos médecins ?
Disons que ces derniers me tapaient dans le dos après chacun de mes traitements, avant de me renvoyer chez moi. Le problème, c’est que c’est surtout au niveau émotionnel que la situation était difficile à vivre – le côté physique n’était pas le pire. Je suis persuadé que l’on n’évoque que trop peu les dépressions faisant suite à des maladies graves, surtout chez les malades les plus jeunes. L’accompagnement post-guérison n’est souvent jamais envisagé, alors qu’il me paraît indispensable.

A-t-il été difficile de vivre une sexualité « normale » au cours de votre traitement ?
J’ai toujours été très intime avec ma femme, mais le cancer a mis cette intimité en pause. Après mon orchidectomie, j’ai dû passer par trois mois de chimiothérapie intensive parce que le cancer s’était propagé. J’ai fini par être opéré pour que l’on me retire un ganglion lymphatique, et c’est seulement après ça que notre vie sexuelle a redémarré tranquillement.

Mark Robert, 57 ans, Pennsylvanie

VICE : Quel âge avais-tu lors de ta première orchidectomie ?
Mark :
C’était en 1984, j’avais donc 24 ans. J’ai vécu une seconde orchidectomie à l’âge de 26 ans.

Était-il difficile de confier aux gens que l’on t’avait retiré tes testicules ?
Pas mal de gens sont persuadés qu’un homme sans testicules n’est pas vraiment un homme, et qu’il est impossible de faire l’amour. C’est totalement faux. Je me fichais complètement que l’on m’enlève mes testicules – ça n’avait rien à voir avec une quelconque « masculinité ».

Que dirais-tu à un jeune homme devant passer par cette étape ?
Qu’il ne doit pas s’inquiéter de perdre ses testicules ! Personne n’ose en parler publiquement, alors qu’il s’agit de santé publique. Je suis sûr que de nombreux hommes meurent parce qu’ils n’osent pas avouer qu’ils sont atteints d’un cancer.

Cette expérience t’a-t-elle « transformé ? »
J’ai compris que la vie n’était jamais garantie. Je remercie d’ailleurs ma femme Paula – qui avait 19 ans quand j’ai appris que j’étais malade – de m’avoir soutenu tout au long de ces années. Ça fait 34 ans que nous sommes mariés.

Milly est sur Twitter.