Quand j’avais 12 ans, Dan, un élève de mon collège qui prétendait avoir déjà essayé l’acide, m’a raconté l’histoire d’un type qui en avait tellement pris qu’il n’était jamais redescendu de son trip. J’avais pris ça comme un sérieux avertissement : attention au dosage ou tu deviendras un légume. Dan a utilisé le terme peu séduisant de « perché à vie ».
Il s’avère qu’il n’est pas le seul. Les redditors amateurs d’acide craignent eux aussi que leur produit chimique préféré ne les laisse perchés à vie, et ils font souvent part de rumeurs similaires à celles que j’ai entendues au cours de ma jeunesse. Apparemment, certains auraient pris de l’acide et seraient « toujours un peu ailleurs », écrit un redditor. Peut-être vous souvenez-vous qu’il est arrivé quelque chose de similaire au personnage de Devon Sawa dans SLC Punk! – la rumeur est donc assez répandue.
Videos by VICE
Certains consommateurs de LSD expérimentent ce qu’ils pensent être un trip permanent, et qui fait désormais l’objet d’un diagnostic : le « syndrome post-hallucinatoire persistant » (HPPD en anglais). Les personnes atteintes de HPPD rapportent la vision d’images rémanentes et de spectacles de lumière imaginaires, de même que des symptômes non-visuels tels que l’anxiété. Mais comme l’a souligné en 2013 Dorian Rolston du New Yorker, d’autres pathologies peuvent pousser les gens à « percevoir leur environnement de manière erronée ». Les chercheurs pensent que les « perceptions inexactes » qui apparaissent après un très long trip peuvent être confondues avec un dommage mental potentiel causé par la drogue.
Un article publié dans le journal Cell met tout de même en lumière certaines caractéristiques « persistantes » du LSD, qui n’est pas une drogue comme l’alcool – qui ne vous affecte qu’une fois dans votre sang et est ensuite rapidement éliminé par le foie. Selon cette dernière recherche, même quand l’acide est éliminé du sang depuis longtemps, il peut demeurer fixé sur les récepteurs de la sérotonine dans une partie spécifique du cerveau appelée le claustrum – une zone liée directement à la conscience – et ce pendant plusieurs jours.
Pour y voir plus clair, j’ai demandé au Dr David Nichols, professeur émérite de pharmacologie et responsable de l’étude publiée dans Cell, s’il était vraiment possible de rester perché à vie. Il m’a parlé de l’adhérence du LSD, de ses risques et de ses limites pour les utilisateurs récréatifs. Pour faire court : vous avez peu de risque de triper pour l’éternité. Nichols a également quelques bonnes nouvelles concernant le microdosage.
VICE : Votre étude démontre que l’acide peut rester collé aux récepteurs sérotoninergiques pendant plusieurs jours. Est-ce que ça peut arriver sur une durée bien plus longue ?
David Nichols : Ça relève surtout du mythe, même s’il est vrai que certaines personnes ont une prédisposition pour telle ou telle maladie mentale – la schizophrénie étant la plus connue. Ces personnes finissent tôt ou tard par développer la schizophrénie, à la fin de l’adolescence ou au début de la vingtaine. N’importe quel événement stressant peut faire apparaître la maladie. Il s’agit d’un trouble du développement dans le cortex. Par exemple, on détecte chez beaucoup d’étudiants qui entrent à la fac une schizophrénie dès le premier semestre.
De la même façon, le LSD peut déclencher l’apparition d’une psychose réelle chez les personnes prédisposées à la schizophrénie – surtout si elles en prennent beaucoup.
D’accord, mais qu’en est-il de ceux qui prennent des doses monstrueuses ?
Si vous êtes équilibré et que vous n’avez pas de prédisposition à la psychose, vous allez survivre à une grosse dose. Des patients qui avaient pris des doses massives de LSD m’ont dit : « J’ai été défoncé pendant une semaine, puis j’en suis revenu. Je pensais devenir fou, mais j’en suis revenu ».
Les personnes qui en sont victimes ont des prédispositions dès le départ. Je pense que n’importe quelle dose les aurait fait basculer.
Un syndrome post-hallucinatoire persistant est-il comparable au fait d’être perché à vie ?
Le HPPD est un phénomène plutôt rare. Il a à voir avec l’apparition d’effets visuels longtemps après que la drogue a quitté le corps. Il n’y a pour l’instant pas de traitement bien défini. Mon hypothèse – qui n’est pas prouvée – est que le HPPD est lié à une activité convulsive dans le cortex visuel.
Cela a-t-il un lien avec le LSD ?
Je ne le crois pas. Le LSD active les neurones sérotoninergiques et, normalement, il existe des mécanismes pour les empêcher d’être trop excités. Personne ne sait d’où vient le HPPD, tout comme personne ne sait pourquoi certaines personnes sont victimes de troubles convulsifs.
Dans tous les cas, vous avez découvert qu’une grosse dose pouvait faire triper quelqu’un pendant une semaine. De quelle dose parle-t-on ?
Il faut prendre de 2 000 à 3 000 microgrammes, sachant que la dose standard est de 100. Certaines personnes pressent leur pouce sur la poudre de LSD et le lèchent – Dieu sait combien ça représente. Ce sont des expériences incroyables.
Ce que nous avons découvert avec cette étude, c’est que le LSD est piégé dans le récepteur. Il n’y reste pas pour toujours, seulement pendant six ou sept heures. Mais il y reste longtemps après la chute des concentrations plasmatiques.
Quelle est la particularité du LSD à cet égard ?
C’est inhabituel. Après, peu de drogues ont été étudiées de ce point de vue. Il y a probablement beaucoup de drogues comme ça – qui ont une durée de vie plus longue dans les récepteurs. En général, ce n’est pas ce que les gens recherchent.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui se produit au niveau des récepteurs lorsque les molécules du LSD se collent à leur surface ?
Quand les molécules sont bloquées dans les récepteurs pendant une longue période, les récepteurs commencent à générer un autre type de signal, car ils essaient de s’en débarrasser. Ils ne veulent pas être stimulés trop longtemps, et ils agissent en conséquence.
Une fois que le LSD est dans le cerveau et qu’il est collé au récepteur, il n’y a aucune chance qu’il y reste pour toujours ? Ou qu’il l’endommage ?
Non. Il finit par se décoller du récepteur pour être métabolisé par le foie. Il n’endommage pas le récepteur car il n’interagit pas de manière covalente. Il ne forme pas de liens avec.
Puisque la drogue reste dans le cerveau pendant longtemps, est-ce la preuve que le microdosage du LSD fonctionne ?
Tout à fait. J’ai entendu parler de gens consommant d’autres psychédéliques en microdosage, mais le LSD est probablement le seul produit pouvant fonctionner dans cette optique car les molécules de LSD se font lentement piéger.
Merci beaucoup, David.
Suivez Mike Pearl sur Twitter.
—
Pour plus de Vice, c’est par ici.