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Quand les chercheurs prélèvent de l'urine dans les toilettes des boîtes de nuit

Au nom de recherche en toxicologie, bien sûr.

Si vous avez l'habitude de passer la nuit en club en compagnie de la dernière drogue synthétique à la mode, vous regarderez désormais les toilettes publiques d'un œil nouveau.

Une nouvelle étude du Centre européen de veille sur l'addiction et l'usage des drogues (EMCDDA) nous fournit un aperçu d'une technique de collecte de données très particulière : exploiter les eaux usées pour surveiller les tendances en terme de consommation de drogues dans les villes. L'étude contient entre autres une section expliquant pourquoi les lieux publics constitue une ressource inestimable pour détecter l'apparition de nouvelles substances psychoactives sur le marché.

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Les chercheurs en toxicologie tentent de se représenter où, quand, et quelle est drogue est utilisée ; pour cela, ils étudient les eaux usées depuis près d'une décennie. Cela implique notamment de collecter des échantillons dans les stations d'épuration : plus la concentration d'une substance est importante dans un volume d'eau donné, plus sa consommation est répandue dans la population étudiée.

Cette méthode fonctionne remarquablement bien pour les épidémiologistes spécialisés en consommation de drogues. Cela permet de surveiller l'évolution de la consommation de cocaïne, héroïne, amphétamines, etc. En revanche, elle est beaucoup moins efficace pour détecter les drogues synthétiques récemment mises au point dans le secret des laboratoires clandestins, dont les composés sont récemment utilisés en biomédecine, et sur laquelle les autorités n'ont pas encore légiféré.

« Même les consommateurs réguliers de drogue n'ont aucune idée de ce qu'ils prennent. »

« Il y a énormément de nouveaux psychotropes résultant sur le marché. En 2014, nous avons dénombré pas moins 100 nouveaux produits, » explique Liesbeth Vandam, l'une des toxicologues ayant travaillé sur le projet. « On peut supposer que ce sont des drogues de niche. Elles sont donc très difficiles à détecter dans les eaux usées, car leur concentration est trop faible. »

Pour rendre les choses encore plus difficiles, ces substances sont constamment améliorées, et leur composition subtilement modifiée afin d'échapper aux interdictions. Les toxicologues ne savent donc pas vraiment quelles molécules ils doivent chercher dans leurs échantillons. L'auto-déclaration est également exclue, explique Vandam, puisque « même les consommateurs réguliers de drogue n'ont aucune idée de ce qu'ils prennent. »

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Mais ces 2-3 dernières années, des scientifiques se sont rapprochés, disons, de leurs sources.

Le rapport fait état d'études récentes dans lequel l'échantillonnage a été réalisé directement dans les toilettes des lieux où l'on s'attend à voir des consommateurs de drogues synthétiques. Une équipe de toxicologues de King's College et de l'Hôpital St-Thomas a testé sa technique à Londres, et dans quelques autres villes britanniques.

Dirigés par le Dr John Archer, les chercheurs ont placé des urinoirs portables (qui redirigent l'urine dans des conteneurs de 400 litres) dans les centres urbains et dans les boites de nuit. Dans ce contexte, l'urine n'est pas diluée par d'autres eaux usées ou par l'eau de pluie ; on peut donc en analyser la composition de manière très fine, et comparer les molécules détectées à une immense base de données de substances connues pour leurs effets psychotropes. Dans chaque cas, les chercheurs ont trouvé des quantités significatives de psychotropes (comme la méphédrone, la cathine et l'hordénine) dans les conteneurs d'urine.

Le rapport de l'EMCDDA précise que la technique permet de réaliser des analyses géographiques détaillées, et de repérer dans quelles zones émergent les drogues nouvelles. Enfin, la méthode permet de déterminer quelles drogues sont à la mode.

Mais ne sont pas les seules applications possibles. On imagine bien que les le prélèvement d'échantillons d'urine dans les toilettes publiques pourrait servir aux enquêtes de police et à la lutte anti-drogue en général. Pourtant, jusqu'ici, les flics n'ont pas l'air très intéressés par votre pisse (d'autant plus que la technique ne permet pas d'identifier des individus spécifiques).

« La technique n'est pas encore assez sensible pour être utilisée par les forces de l'ordre, » explique Archer. « On pourrait pourtant l'exploiter dans des contextes très différents : crime, rapports hospitaliers, etc. Mais actuellement, la police n'y songe même pas. »

Le Home Office Report britannique de 2014 sur les nouvelles drogues psychotropes explique que ces études constituent un moyen complémentaire de repérer les nouvelles substances (qui seront bientôt illégales au Royaume-Uni, grâce à une nouvelle loi).

La méthode pourrait enfin être utile pour évaluer l'efficacité de la police.

L'échantillonnage d'urine pourrait être réalisé juste avant l'action des forces de l'ordre, puis à la fin de leurs opérations, » explique Vandam. « On pourrait ainsi apprécier si ce genre d'initiative sert à quelque chose. »