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"Learning to Fly" : hommage à la pire mission de GTA : San Andreas

Cette mission, c'était de la pure torture. Et je ne dis pas que finir cette putain de mission a changé ma vie, mais franchement, ce n'est pas impossible.

On ne parlait que de ça. Je pense même qu'à un moment, GTA : San Andreas était la seule chose dont on avait le droit de parler. On se racontait nos meilleures histoires et on échangeait des codes dans la cour. On passait des cours de maths entiers à s'engueuler pour savoir qui était allé le plus loin avec Denise, la copine de C.J., ou qui avait le plus progressé dans le jeu. Bref, on était des gosses, assez idiots pour s'embrouiller autour d'une question aussi épineuse que de déterminer qui avait trouvé le gode dans le commissariat en premier.

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Je me souviens du jour où j'ai eu le jeu. J'ai chopé un stylo dont je me suis servi pour ouvrir une brèche dans le plastique et en sortir le précieux boîtier. J'avais forcé ma mère à faire la queue devant le magasin toute la matinée, même si j'avais payé les 1,50$ de frais de pré-commande de ma poche. Dès que la sonnerie a retenti, j'ai couru de l'école à chez moi, et tous les autres gars de ma classe ont fait pareil.

Le jeu était cool et bizarre, intelligent et agressif. Visuellement, il n'avait rien à voir avec tout ce qu'on connaissait - c'était immense et magnifique - et la BO défonçait tout. En plus, on pouvait faire du vélo ! Tracer sur un putain de vélo ! Les vélos du jeu étaient les plus cools qui soient, et ils faisaient un bruit incroyable quand on pédalait sur le bitume brûlant et fissuré de Grove Street.

Le personnage principal du jeu, Carl Johnson aka C. J.

Alors que l'atmosphère poisseuse et claustrophobe de Los Santos laissait place à San Fierro, où les clubs de yoga et les magasins chics pullulaient, l'ambiance du jeu changeait totalement. D'un coup, l'air était propre et la lumière vous brûlait les yeux, les routes étaient longues et vallonnées, et les bâtiments grimpaient vers le ciel et vous dominaient comme des obélisques rutilants. Mais pour passer aux choses vraiment sérieuses, il fallait carrément sortir de la ville et s'enfoncer dans le désert.

À Bone County, la poussière flottait dans l'air comme un épais brouillard, les seuls coins d'ombre étaient fournis par les immenses rochers en forme de bites et de couilles, et le soleil surplombait tout tel un oeil de feu brillant dans le ciel. La nuit, le désert prenait une teinte bleue, et devenait encore plus dangereux. Et puis il y avait "Learning to Fly" et cette putain d'école d'aviation, et cet enfoiré d'agent fédéral Mike Toreno, qui vous pourrissait la vie.

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À l'école, on reconnaissait direct les gosses qui avaient atteint cette mission, avec leurs yeux hagards et leurs épaules voûtées tellement révélateurs. Tout leur enthousiasme avait été aspiré par cette horreur d'école de vol. On les reconnaissait aussi au fait qu'ils changeaient très vite de sujet : "Est-ce que quelqu'un a été jusqu'à la mission où…" "Putain sérieux, tu parles encore de San Andreas ? C'est de la merde, mec. Nul. Lâche l'affaire." Et ils ne rentraient plus chez eux en courant.

Avant cela, il y avait déjà eu des missions difficiles (je pense à toi "Wrong Side of the Tracks", putain de ta race), mais là c'était différent. C'était une douleur inédite, qui vous démoralisait totalement et vous donnait envie de laisser tomber et d'aller faire autre chose. L'école d'aviation broyait les gens.

Je me souviens de la première fois que je m'y suis frotté. J'ai foncé, et je me suis foiré direct - j'ai échoué au tout premier test au moins une dizaine de fois, sans doute bien plus encore. Je visais les petits cerceaux rouges à travers lesquels il fallait passer, mais le nez de l'avion commençait d'un coup à plonger et je m'écrasais comme une merde dans une explosion de feu rouge, orange et jaune alors que l'écran s'obscurcissait pour laisser apparaître les 6 lettres m'indiquant que mon personnage était mort - WASTED.

J'ai fini par passer les premières épreuves (qui étaient relativement faciles), mais la suite était presque impossible. C'était un peu comme apprendre à un gosse à faire du vélo avec les petites roues, puis lui donner directement les clés d'une moto de course. Même si vous étiez plutôt doué et que vous aviez beaucoup de chance, il fallait des heures et des heures de jeu pour apprendre à réaliser les cascades et les tricks imposés par la mission, qui en plus n'avaient aucune utilité dans le jeu. J'avais 13 ans, mes yeux pleuraient devant l'écran, et je jurais comme si quelqu'un m'avait coincé la bite dans une porte.

L'un des avions du jeu, qu'il vaut mieux éviter de défoncer.

Mais j'étais bien décidé à ne pas abandonner. Jusque-là, quand j'étais à l'école, je rêvais du moment où je pourrais à nouveau tracer dans une voiture de sport à travers le territoire des Ballas en écoutant "You Dropped a Bomb on Me" de The Gap Band à fond, arrosant de balles des membres de gang sapés en violet. Désormais, j'étais hanté par les images d'une version pixélisée d'un avion de la Seconde guerre mondiale se traînant lamentablement dans le ciel. Quand je fermais les yeux, je voyais des cerceaux rouges se dessiner à l'intérieur de mes paupières. J'étais obsédé.

C'est devenu une affaire personnelle. Pour la première fois dans ma courte vie, j'avais un objectif qui méritait toute mon attention. Il fallait absolument que j'en finisse avec ces putains de tests d'agilité et de dextérité pour pouvoir enfin avancer dans ce putain de jeu et ma putain de vie. J'avais décidé de rester devant l'écran jusqu'à en être venu à bout, mes mains se changeant peu à peu en pinces, les jours et les nuits se succédant sans cesse. Et je l'ai fait. J'ai fini cette saloperie de mission.

Avant cela, mon parcours scolaire et mon comportement avaient été irréguliers, disons - allant de "Très bon" à "Pas mal" en passant par "Tu vas sans doute te faire virer" - mais après avoir fini la mission, quelque chose a changé et j'ai trouvé mon cap, un peu comme l'avion de C.J. Je ne dis pas que terminer la mission de l'école d'aviation de San Andreas a changé ma vie, mais franchement, ce n'est pas impossible.