Avec le Roi français de la photo de skate
Toutes les photos sont de Fred Mortagne.

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Avec le Roi français de la photo de skate

Fred Mortagne a passé sa vie à filmer et photographier Ali Boulala et consorts – on lui a donc demandé de commenter ses meilleurs clichés.
Keuj
par Keuj

Fred Mortagne a chopé le virus de la planche à roulettes alors qu'il n'était encore qu'un gamin. Dès l'école primaire, ce Lyonnais de naissance passait son temps à dévorer la presse spécialisée de l'époque – comme beaucoup de ses camarades. En grandissant, il s'est peu à peu intéressé à la vidéo. Pour se faire la main, il s'est mis à filmer ses potes – pour le délire, d'abord. D'année en année, de vidéo en vidéo, Fred a compris qu'il plaisait à pas mal de sponsors. Il s'est donc professionnalisé à l'aube de l'an 2000. Menikmati, Sorry, réalisé pour Flip et Bon appétit, pour la défunte marque lyonnaise Cliché, lui ont assuré par la suite une reconnaissance internationale.

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En parallèle des vidéos promotionnelles, « French Fred » s'est mis à la photo. Il y a découvert une dimension esthétique plus présente que dans les vidéos, basées en priorité sur la performance. Les gros plans laissèrent place aux plans plus larges, permettant de lier le skateur à son environnement. Ses clichés – en noir et blanc – sont un outil privilégié afin de faire partager la culture skate aux non-initiés. S'étalant sur une quinzaine d'années, le travail photographique de Fred Mortagne – influencé par Josef Koudelka et René Burri – a été regroupé dans un livre, Attraper au vol. Sorti d'abord aux États-Unis, l'ouvrage est désormais disponible dans l'Hexagone. J'ai demandé à son auteur, aujourd'hui âgé de 41 ans, de commenter une sélection de dix photos.

Stéphane Giret. Kickflip transfer. Lyon, 2013

Fred Mortagne : C'est le spot légendaire de l'hôtel de ville de Lyon depuis près de 30 ans. Aujourd'hui, « HDV » est menacé par des travaux d'aménagement entrepris par le maire Gérard Collomb. Le combat est engagé entre les skateurs et la mairie. Nous nous inspirons du collectif londonien Long Live South Bank, qui a réussi à préserver son spot au cœur de Londres. Celui-ci était menacé par un affreux projet de centre commercial. Nous avons récemment été reçus par la municipalité et poursuivons notre action avec grande motivation.

Jérémie Daclin. Fs pivot. 2003

Cette photo est tirée d'une session près de Chelles, en Île-de-France. Nous tournions la vidéo Bon Appétit pour la marque Cliché. Sur un spot aussi photogénique, j'ai l'habitude en toute fin de session de faire une photo ou deux. J'ai toujours très peu de temps car les mecs sont crevés.

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Jérémie a bien voulu refaire son trick pour moi. J'avais repéré ce pneu qui traînait et je m'en suis servi pour encadrer le trick et créer cette image originale. Les autres photographes présents n'avaient pas pensé à se servir d'un accessoire aussi banal. C'est une photo importante, qui m'a fait prendre conscience que j'avais des idées visuelles que d'autres n'avaient pas. D'où une forte motivation pour explorer mon potentiel photographique.

David Gonzalez. Tucson, Arizona, 2006

Quand on y réfléchit, les skateurs passent un temps incalculable par terre. C'est avant tout pour chiller. Quand ils arrivent sur un spot qui ne les intéresse pas, ils s'allongent par terre et se reposent pendant que les autres skatent. Ça crée parfois des situations assez cocasses, quand le spot se trouve par exemple dans un quartier d'affaires. Les businessmen hallucinent. Personne ne s'allonge par terre normalement. C'est sale. Mais être un skateur, c'est tomber, se traîner par terre et racler toute la saleté du sol très fréquemment. Il n'y a qu'à regarder l'état des pantalons des mecs – tout le temps déchirés. Là, c'est bien à cause d'une grosse chute que David Gonzalez fait bronzette.

Charles Collet. Kickturn. 2010

Ici, c'est typiquement le genre de spot qui t'interpelle en le découvrant dans un magazine. Il se trouve généralement au fin fond d'un désert à des milliers de kilomètres de chez toi. Là, pour une fois, il était proche de chez moi, au sud de Lyon, sur le terrain d'une entreprise de chaudronnerie. Un spot du dimanche où il faut ramper sous un grillage pour y accéder. Mais une fois là-bas, c'est le kiffe pour tout le monde. Pour skater c'est top, pour faire des images également.

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J'avais shooté une première fois en marge de mon job de cameraman. Quand j'y suis retourné trois ans plus tard pour faire des photos, j'ai réalisé tout le potentiel du spot. J'ai shooté plein de choses qui sont dans le livre. Par contre, j'y suis retourné récemment et les full pipes avaient tous disparu. RIP.

Jérémie Daclin. Tokyo, 2003

L'un de mes grands classiques, toujours lors du tournage de « Bon Appétit ». La photo a été shootée depuis le 17e étage de notre hôtel, qui surplombait ce parking désert. J'ai dû m'y reprendre à deux fois pour réussir cette photo. La première fois, je n'avais pas le bon objectif, et de toute façon l'ombre du skateur n'était pas projetée dans la bonne direction. J'ai emprunté le bon objectif à un collègue pour avoir l'ombre parfaite.

Il était impossible de communiquer avec Jérémie, hormis via quelques gestes à travers la vitre. Il fallait juste qu'il pousse de la bonne manière au bon endroit. Nous avons essayé plusieurs fois. Au final, j'ai pu constater que ça avait parfaitement fonctionné des semaines plus tard.

Osaka, Japon, 2000

Une autre photo au Japon, toujours prise depuis un hôtel, mais quelques années plus tôt. L'une de mes toutes premières photos, avec mon Nikon FM2 tout neuf, appareil que j'utilise toujours.

Cette signalétique était vraiment très intrigante. Je ne comprends toujours pas comment ça fonctionne. Étrangement, ce vélo est passé par là, de manière totalement anarchique, ce qui n'est pas du tout courant au Japon. C'est le seul cliché que j'ai pris de cette scène. Normalement, dans ce pays, les gens respectent absolument tout. C'est très strict. Un jour, lors d'un autre voyage sur place, un skateur avait oublié son appareil photo compact numérique sur un spot, en plein cœur de la ville. Il avait bien fallu 15 minutes pour se rendre compte de l'oubli. Pourtant l'appareil n'avait pas bougé, alors que c'était vraiment bondé. Il est vrai qu'un appareil photo électronique au Japon, ce n'est pas ce qui manque. Tout le monde devait déjà en avoir un !

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Javier Mendizabal. Mer Morte, Israël, 2010

Comme pour mes vidéos, j'aime voir comment les gens réagissent à mes photos lorsqu'ils les découvrent durant une exposition ou dans mon livre. Sur celle-ci, ils marquent toujours un temps d'arrêt. Elle a été réalisée très simplement mais dans certaines conditions, que l'on ne perçoit pas au premier coup d'œil. C'est là que l'effet fonctionne. Tout le monde se demande ce qui se passe, comment cette photo a été prise. J'aime bien expliquer les histoires derrière les photos mais, pour une fois, je vais m'abstenir. Par contre, vous pouvez jeter un œil à cette vidéo, dans laquelle tout est raconté.

Ali Boulala. Lyon, 2004

Voici Ali Boulala. Vous avez sûrement déjà entendu parler de lui. Un vrai personnage, en plus d'avoir été un skateur d'exception. La tentative des 25 marches à Lyon, c'est lui ! J'ai toujours adoré shooter avec Ali. Il a habité Lyon pendant quelques années, on a donc shooté pas mal de fois ensemble. Il était toujours partant pour mes idées loufoques et je pouvais lui demander des trucs qui sortaient du commun. Personne d'autre n'aurait pu faire cette photo. L'une de ses spécialités était de faire des sauts en roulant sur des trucs improbables, très étroits. Je savais que je pouvais lui demander de faire quelque chose comme ça.

Une grande partie de mon travail repose sur le fait de bien connaître les capacités de mes modèles. C'est souvent la clé d'une très bonne photo.

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Brandon Westgate. Ollie fake. Californie, 2015

J'ai attendu au moins trois ans avant de pouvoir enfin me rendre sur ce spot incroyablement photogénique. J'avais vu une photo de mon ami Geoff Rowley, skateur pro, qui évoluait dedans. Je n'arrivais pas à visualiser à quoi pouvait ressembler cet endroit dans la réalité. Ça me paraissait tellement abstrait. Pourquoi ce design ? À quoi ça sert ? Malgré toutes mes recherches, ce n'est qu'une fois là-bas que tout a enfin pris du sens.

Il s'agit en fait d'un aqueduc avec une structure en métal. Il permet de cheminer l'eau au-dessus d'une petite vallée. Ce que l'on ne peut imaginer, c'est que l'ensemble bouge fortement quand un skateur est en action. C'est un vrai simulateur de tremblement de terre. Ce jour-là, toutes les conditions étaient réunies pour réaliser cette photo, à la grande force magnétique.

Lyon, 2006

En 2006, j'ai fait le guide pour les teams Alien Workshop et Habitat, qui étaient de passage à Lyon. Ça me permettait de faire des photos – surtout d'ambiance.

En règle générale, le truc relou avec le chewing-gum, c'est quand tu marches dessus et qu'il est collé sur ta semelle. Mais le cauchemar du skateur, c'est que ça arrive sans qu'il s'en rende compte. Tu montes sur ta board et tu en mets partout sur le grip. De quoi foutre la mort à un skateur. Là, sur une roue, je n'avais jamais vu ça. C'est tout aussi relou !

Commandez sans attendre Attraper au vol de Fred Mortagne.

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