De la pornographie en Amérique : un portrait de Larry Flynt
Toutes les photos sont d'Adam Ianniello, sauf mention contraire.

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De la pornographie en Amérique : un portrait de Larry Flynt

Le plus grand pervers du XX siècle a fait vaciller tous les censeurs et les pudibonds d’outre-Atlantique.

Larry Flynt, cloué dans son fauteuil roulant doré, ne quitte jamais le dernier étage d'un immeuble qui ressemble à s'y méprendre à un immense vibromasseur. Le sol de son bureau est recouvert d'un tapis dont le vert rappelle les dollars américains. D'un côté, l'on trouve une statue dorée représentant un Jules César grandeur nature ; de l'autre, une petite table basse en marbre vert et or sur laquelle repose une paire de statuettes – dorées elles aussi – qui, de loin, ressemblent à des Oscars. En fait, il s'agit de bustes de femmes nues. Sur le bureau doré de Larry sont posés deux stylos – dorés – ainsi qu'une photo – au cadre doré – où on le voit accompagné de Bill Clinton.

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À quelques mètres de là, un immense chandelier doré obstrue le passage et force les invités à se baisser. Larry est assis face à la fenêtre. Alors qu'il porte son regard en direction du Wilshire Boulevard, deux hommes corpulents vêtus de noir se baissent vers lui. L'un peigne les minces cheveux dorés de Larry tandis que l'autre se tient derrière lui et remet le col de son costume, rehaussé d'une épingle dorée sur laquelle on aperçoit une main empoignant un diamant. Larry Flynt arbore deux bagues en or sur sa main gauche et une sur son auriculaire droit. Il porte une montre en or incrustée de diamants sur un poignet et un bracelet incrusté de diamants sur l'autre. Son visage autrefois jeunot et joufflu a laissé place à des traits émaciés, et des excédents de peau s'enlacent autour de son cou pour former une sorte de collier élisabéthain.

L'homme derrière lui le soulève par les aisselles et le hisse à une hauteur de 45 centimètres au-dessus de son siège pour faciliter l'écoulement du sang vers la partie inférieure de son corps. Larry ferme les yeux et son visage pâlit pendant quelques instants. Je détourne instinctivement mon regard vers une petite table, sur laquelle j'aperçois une sculpture miniature représentant deux personnes en levrette. Son bureau n'est pas forcément distingué mais Larry Flynt s'en fout. Le pornographe le plus provocateur, le plus honni d'Amérique, aujourd'hui vieil homme au crépuscule de sa vie, n'a jamais été un homme distingué.

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À son apogée dans les années 1970, Hustler – la publication phare de Larry – finissait tous les mois dans les mains moites de près de trois millions d'individus, transgressait toutes les règles possibles et s'attirait le mépris de la droite religieuse et de la gauche féministe. Afin de mener à bien son ambition de faire chier le monde et de devenir riche par la même occasion, Larry a développé une technique coriace qui consistait à contester toutes les accusations d'obscénité à son encontre en s'appuyant principalement sur le premier amendement de la Constitution américaine – relatif à la liberté d'expression.

Larry Flynt dans sa chaise roulante

En 1978, le serial killer et suprémaciste blanc Joseph Paul Franklin lui tirait une balle dans l'estomac – Larry avait eu le malheur de faire figurer une scène de sexe interracial sur la couverture du numéro d'Hustler de décembre 1975. La balle de Franklin est venue se loger près d'un réseau de nerfs situé à quelques millimètres de sa colonne vertébrale. Larry Flynt ne peut plus marcher depuis cette agression. Pendant des années, il a combattu une souffrance atroce à l'aide d'opiacés pharmaceutiques. Dans ses mémoires, intitulés An Unseemly Man et publiés en 1996, il révélait avoir été victime de plusieurs overdoses. Il a même été déclaré cliniquement mort – deux fois. En 1984, il a passé six mois en prison. Là, ses jambes, bien qu'inertes, ont été brisées par de nouveaux agresseurs. Il a développé des escarres si sévères qu'il a fini par être hospitalisé.

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Larry Flynt est pourtant toujours vivant. Âgé de 74 ans, il a enterré tous ses rivaux. La longue liste de ses ennemis, principalement des partisans de Nixon, a diminué à mesure que ses adversaires abandonnaient ou mourraient. Pourtant, Larry Flynt n'a jamais cessé de se battre pour l'avènement d'une société dans laquelle la pornographie et la vulgarité seraient acceptées comme des faits de vie. Il a contribué à la mise en place de jurisprudences encore en vigueur. Il a gagné, même s'il n'en a pas l'air.

Les dossiers de Larry sont éparpillés sur son bureau. Le photographe qui m'accompagne lui demande de sourire. Il refuse. « J'ai beaucoup de travail », dit-il à Evan Roosevelt, la trentaine, en charge des relations publiques chez Hustler. Larry s'exprime lentement, respire bruyamment et se bat pour trouver ses mots.

Sourire ou non, le photographe commence à prendre des photos. En signe de protestation involontaire, la partie gauche du visage de Larry commence à s'affaler jusqu'à atteindre la peau excédentaire de son cou. Larry penche graduellement sa tête en arrière, ouvre sa bouche lentement, comme s'il voulait mimer une personne âgée s'endormant devant la télé.

Liz, la cinquième épouse de Larry, est appelée à la rescousse. Ancienne infirmière devenue directrice des publications chez Hustler, elle débarque pour tenter de lui redonner le sourire. « Dis argent », lui dit-elle joyeusement, en utilisant ses index pour élargir son sourire comme le ferait un élève de CM2 le jour de la photo de classe.

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Larry ferme les yeux et s'isole encore un peu plus.

De gauche à droite : Larry Flynt à 14 ans ; Larry Flynt (à droite) dans son uniforme de la Navy en Italie ; Larry Flynt avec un drapeau américain comme couche. Toutes les photos d'archives sont publiées avec l'aimable autorisation de LFP Publishing.

Larry Flynt est né en 1942 dans une cabane en rondins située au fin fond d'une forêt du Kentucky. Ses mémoires font mention d'une enfance marquée par plusieurs traumatismes sexuels et une bizarrerie latente. À l'âge de sept ans, une fille de six ans son aînée lui a caressé le pénis alors que son cousin regardait la scène. Deux ans plus tard, il a attrapé un poulet appartenant à sa grand-mère, l'a pénétré puis l'a finalement tué dans la panique. À l'âge de 15 ans, il s'est enfui de chez lui avant de croiser la route d'un homme armé se faisant passer pour un officier de police. Ce dernier l'a pris en stop, puis lui a demandé de baisser son pantalon avant de le forcer à lui pratiquer une fellation. Quelques semaines plus tard, Larry Flynt a utilisé un certificat de naissance falsifié pour rejoindre l'armée. Il a perdu sa virginité – ou ce qu'il en restait – avec une prostituée d'une quarantaine d'années lors d'une permission.

Après avoir été viré de l'armée à cause d'une réduction d'effectifs, Larry, 16 ans à l'époque, a rejoint la Marine. Dans l'attente d'un déploiement, il s'est marié avec une femme rencontrée dans un bar pour pouvoir coucher avec elle et divorcer lorsque le sexe serait de piètre qualité – ce qu'il a fait. À 19 ans, il s'est marié avec Peggy, sa petite amie de l'époque, alors enceinte d'un autre homme. Lorsque Larry a finalement quitté la Marine, le couple s'est installé à Dayton dans l'Ohio, où ils ont eu un enfant. Leur mariage, voué à l'échec après que Larry a été interné pour avoir ouvert le feu sur la mère de Peggy, a pris fin lorsque Larry a résolu un différend marital en crachant au visage de sa femme.

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Fraîchement célibataire, Larry s'est lancé dans l'entrepreneuriat et a géré quelques bars clandestins pour finalement connaître le succès avec une chaîne de bar à danseuses, les Hustler Club. En partant à la recherche de filles pour les faire danser dans ses clubs, il a rencontré Althea Leasure et est tout de suite tombé amoureux. Cette jeune adolescente fugueuse est très vite devenue un membre à part entière de son entreprise. Elle a géré les Hustler Club lorsque Larry bossait pour transformer sa newsletter en une publication nationale se définissant comme l'alternative prolo à Playboy et Penthouse. Le magazine est passé d'une publication résolument porno à un authentique magazine sensationnaliste après le numéro d'août 1975, dans lequel on pouvait admirer des photos de l'ancienne première dame Jacqueline Kennedy Onassis en tenue d'Ève. Le numéro a été un immense succès. Larry se targue d'avoir vendu un million d'exemplaires « en quelques jours », dont un au gouverneur de l'Ohio.

Avant Hustler, il n'existait que deux magazines pornographiques en Amérique : Playboy et Penthouse – qui avaient tous deux refusé les photos de Jackie Kennedy avant que Larry ne les achète. Ce lectorat était composé « d'hommes raffinés, qui apprécient la gastronomie, les beaux habits et la compagnie féminine », selon les propres termes de Hugh Hefner. Ces mecs écoutaient du jazz et lisaient Nabokov et, lorsqu'ils ne pouvaient pas avoir de rapports sexuels avec leur copine/femme, ils prenaient le temps de considérer le caractère artistique des photos de femmes à la poitrine dénudée.

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Larry n'a jamais voulu vendre du porno à ce public-là. Il vendait son canard à l'ouvrier, au mec excité qui voulait seulement se masturber et n'avait rien à foutre de l'art – en gros, à un mec comme lui.

« Larry Flynt était le Roi des ploucs », affirme Robert Ward, écrivain s'étant fait les dents dans les années 1970 en tant que figure éminente du Nouveau Journalisme. Ward a passé deux semaines en compagnie de Larry Flynt en 1976 pour un portrait vendu au New York Times. De ce temps passé avec lui, Ward en a déduit que Larry Flynt était un gars répugnant et fascinant – un magnat passé du bas-ventre oublié de la classe ouvrière américaine au sommet économique, comme une parodie de Hugh Hefner et de son libertinage intello. À l'époque, Larry arborait un pendentif en forme de vagin autour du cou. Il voyageait à bord d'un jet rose ayant appartenu à Elvis, parlait ouvertement d'orgies géantes et vivait dans un manoir au sein duquel il avait fait construire une réplique de la cabane en rondins de son enfance – sans oublier une statue de poulet, en mémoire du temps où il avait pénétré ledit poulet.

Si Ward décelait chez Larry un cynisme non feint, l'homme d'affaires était un être charmant et plutôt intelligent, dont les tendances parfois écœurantes étaient contrebalancées par un soupçon de candeur. En 1976, Larry recrutait Althea pour l'aider avec le magazine. Le couple semblait complètement dépassé. « Au cours d'une conversation, se souvient Robert Ward, Larry me disait qu'il était déprimé car il n'arrivait pas à trouver de bons écrivains pour son magazine. Il a fini par me demander quel était mon écrivain préféré. J'ai répondu "James Joyce", et Larry a cherché à entrer en contact avec lui sans savoir qu'il était mort en 1941. »

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Même s'il évoquait les sexualités « atypiques » avec la délicatesse et la finesse d'un bonimenteur de foire, Larry Flynt prenait soin de toutes les représenter.

Carolyn Bronstein est une spécialiste des médias. Elle a publié Battling Pornography, un livre qui retrace toutes les positions anti-pornographie énoncées par les mouvements féministes au cours des années 1970-1980. Comme ses confrères Hefner de Playboy et Bob Guccione de Penthouse, « Larry Flynt avait mis le doigt sur un point essentiel de la culture de l'époque, m'a-t-elle confié. Il s'est rendu compte qu'il pouvait se faire de l'argent en vendant du sexe. » Mais contrairement à ses confrères, Larry n'avait aucune tendresse particulière pour les mouvements féministes et de libération sexuelle. Carolyn Bronstein rappelle qu'il « s'adressait à des hommes qui se sentaient menacés par la révolution initiée par les femmes. Il a décelé cette colère, l'a alimentée tout en sachant qu'il pouvait se faire de l'argent dessus ». Là où Playboy faisait preuve de retenue, Hustler sombrait dans l'obscène avec délectation. Larry Flynt est convaincu que le sexe est sale, et son magazine a tout fait pour défendre cette idée.

De plus, la majorité des cartoons publiés dans Hustler ne manquaient pas d'utiliser des stéréotypes raciaux et cherchaient à choquer avant tout. « Nous ne considérerons plus les femmes comme des morceaux de viande », précisait la couverture de l'édition de juin 1978 – une citation accolée au dessin d'une femme nue piégée dans un hachoir à viande. Le magazine avait même diffusé une interview de Charles Bukowski dans laquelle l'auteur défendait certains pédophiles et violeurs avant de décrire avec précision dans les moindres aspects d'un coït surréaliste avec un escarpin vertigineux. Une colonne du magazine était dédiée à l'assassinat de politiciens, d'activistes anti-pornographie et de toutes les personnes jugées hypocrites selon le point de vue très subjectif de Larry. Cette colonne s'intitulait « le Connard du Mois » et son objectif était, selon Allan MacDonell, journaliste chez Hustler pendant de très nombreuses années, de « faire chialer la personne visée ».

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David Gordon était lui aussi journaliste chez Hustler. Il a participé à l'aventure au milieu des années 1990. « Nous étions déjà allés trop loin, nous n'avions donc plus aucune raison de nous retenir, précise-t-il. Dans un sens, j'avais l'impression de me trouver à bord d'un bateau pirate, en plein cœur d'un combat d'épées, aux côtés d'une bande de libertaires hors-la-loi. »

Le fauteuil roulant de Larry

Néanmoins, la dimension libertaire d' Hustler n'a pas frappé tout le monde, en particulier au sein des mouvements progressistes. Le contenu des magazines, souvent extrême, irritait nombre de féministes, qui protestaient contre l'irruption dans la culture mainstream d'une pornographie sous la coupe des hommes.

« Tout le monde n'est pas à l'aise avec [la pornographie]. Beaucoup de féministes des générations précédentes et même d'aujourd'hui rejettent la pornographie, notamment lorsqu'un homme contrôle sa fabrication et sa diffusion », précise Carol Queen, écrivaine, activiste, doctorante en sexologie et cofondatrice du Centre pour le sexe et la culture à San Francisco. « Le fait est que beaucoup de femmes voyaient le magazine Hustler comme un média patriarcal et violent, peu importe si c'était son intention première ou non. »

Cependant, et à sa manière toute personnelle, le contenu d'Hustler révélait au grand jour les évolutions sexuelles de son époque. Les premiers numéros montraient des pénis en érection, des scènes de sexe interracial – Playboy et Penthouse ne l'avaient jamais fait – du bondage, des plans à trois avec deux hommes, un transsexuel avant sa transition – une liste très longue, comme le rappelle l'universitaire Laura Kipnis dans son ouvrage Disgust and desire: Hustler magazine. Selon elle, le magazine était un « frisson dans le milieu hétérosexuel classique du mâle de l'époque ».

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Même s'il évoquait les sexualités « atypiques » avec la délicatesse et la finesse d'un bonimenteur de foire, Larry Flynt prenait soin de toutes les représenter, un acte assez significatif selon Carol Queen. « Bien sûr, son approche posait d'énormes problèmes, mais une telle publication donnait de la visibilité aux gens, leur permettant de mieux appréhender leur identité, leurs pratiques. » C'est là tout le paradoxe d'Hustler, poursuit Mme Queen : tout en offensant pas mal de progressistes de l'époque, le magazine de Flynt a contribué à ouvrir le débat sur de nombreux sujets.

À gauche : la commémoration du bicentenaire de la révolution américaine en 1976 selon Hustler. À droite : Larry et son célèbre t-shirt « FUCK THIS COURT »

Pendant ce temps-là, Larry poursuivait sa vie étrange et sinueuse. En 1977, il se liait d'amitié avec la sœur du président Jimmy Carter, Ruth Carter Stapleton, qui l'a converti au christianisme évangéliste. Si son épisode religieux n'a pas été un franc succès, il s'est tout de même détaché de la vulgarité coutumière d'Hustler. Il a racheté certains médias alternatifs plus « respectables » avant de recruter Paul Krassner – ancien éditeur du journal satirique Realist – et de le nommer à la tête de la rédaction d'Hustler.

Larry cherchait également à alléger sa conscience. Dans un extrait de ses mémoires, intitulés My life on the road, la féministe Gloria Steinem raconte qu'après sa conversion à l'évangélisme, Flynt l'a contactée par le biais des Carter en lui demandant solennellement de le pardonner au nom de toutes les femmes. « Si j'avais accordé l'absolution à Larry, écrit-elle, il aurait donné un million de dollars pour favoriser le vote de l'Equal Right Amendment » – une proposition d'amendement de la constitution visant à garantir de manière pérenne l'égalité des droits entre les deux sexes. Mais le penchant bien connu de Larry pour les combines publicitaires a rendu Steinem très suspicieuse. Elle a rapidement décliné cette proposition indécente.

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Au tournant des années 1980, Larry Flynt a été poursuivi à de nombreuses reprises pour obscénité, avant d'être victime d'une tentative de meurtre – qui l'a cloué dans un fauteuil. Dès lors, il est devenu de plus en plus imprévisible, en raison d'un trouble bipolaire non diagnostiqué à l'époque. De plus en plus solitaire, employant toujours plus de gardes du corps, il ne quittait que très rarement son manoir situé près du siège social d'Hustler.

Si Larry avait toujours montré un intérêt certain pour la liberté d'expression – il détestait qu'on lui dise de la fermer – c'est pendant ces années-là qu'il s'est entouré d'icônes radicales et contre culturelles. Il est devenu ami avec l'humoriste et activiste Dick Gregory, a pris de l'acide avec Timothy Leary et a demandé à Terry Southern d'écrire le scénario d'un film portant sur la vie de Jim Morrison.

« Larry parvenait à mettre en relation des gens d'horizons très différents », confirme Allan MacDonell, qui a commencé à travailler pour le magazine au printemps 1983, lorsque Larry a embrassé son image de dissident. Dans les mois qui ont suivi l'arrivée de MacDonell au magazine, Larry a diffusé une cassette de l'arrestation du magnat de l'automobile John DeLorean – qui était en fait une mise en scène organisée par le FBI – puis a intenté un procès contre le gouvernement américain pour avoir des informations au sujet de l'invasion de la Grenade avant de se présenter à la présidence comme candidat du Parti républicain – sur les conseils de Dennis Hopper, qui se cachait dans le manoir de Flynt après avoir été interné à la suite d'une tentative de suicide à la dynamite.

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Plus célèbre encore a été la tentative de Larry Flynt de défendre lui-même son cas devant la Cour Suprême – ce qui a abouti à son expulsion du tribunal après qu'il a traité les juges de « salopards » lorsque sa demande a été rejetée. Il a alors enlevé sa chemise pour laisser apparaître un t-shirt arborant la mention « FUCK THIS COURT » avant d'être conduit vers le poste de police le plus proche dans sa propre limousine qui, comme un dernier défi, était surmontée de deux drapeaux américains.

« Quand tout cela est arrivé, se souvient MacDonell, je me suis dit "putain, je travaille pour ce mec". »

Peu de temps après son numéro devant la Cour Suprême, Larry a été convoqué pour témoigner dans l'affaire John DeLorean. Il s'est présenté à l'audience avec un casque de l'armée sur la tête et un drapeau américain en guise de couche. Poursuivi pour outrage au tribunal, il n'a pas manqué de dire à l'un des juges : « Envoie mon cul en prison, enculé. »

Cette fausse publicité est au centre de l'un des arrêts les plus célèbres liés au premier amendement de l'histoire de la Cour Suprême.

L'objectif ultime de Larry était de proposer un magazine dépassant les limites du mauvais goût, ce qui lui valait d'être poursuivi – lui permettant ensuite de combattre directement les lois en vigueur. Le magnat adorait tester les limites du premier amendement et voir jusqu'où la liberté d'expression pouvait être comprise.

Un article d'Hustler sur l'asphyxie érotique a donné naissance à un procès puis à une jurisprudence établissant qu'un magazine ne saurait être tenu responsable si l'un de ses lecteurs se nuisait ou nuisait à autrui sur la base d'un article lu dans ce même magazine – c'est l'arrêt Herceg v. Hustler Magazine daté de 1987. Les services postaux ont également intenté un procès à Hustler car Flynt n'arrêtait pas d'envoyer des copies de son magazine à des membres du Congrès. Il s'en est sorti en s'appuyant sur le fait que les membres du Congrès ne pouvaient refuser des courriers venant des citoyens américains. David Gordon en rigole encore. « À une époque, si l'on devait conduire Larry quelque part, c'était à la Cour Suprême », s'amuse-t-il.

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Fidèle à ses habitudes et ses convictions, Larry s'est toujours opposé au pouvoir politique et religieux. Dans le Hustler de novembre 1983, Larry publiait une parodie d'une célèbre publicité – qui était en fait une fausse interview du télévangéliste Jerry Falwell, dans laquelle le prêcheur conservateur racontait comment il avait perdu sa virginité avec sa mère. Sachant que la couverture précédente dévoilait une femme en train de taguer « George Bush a le sida », la parodie avec Falwell ne dépassait pas les limites établies par Hustler. Le numéro aurait pu passer comme une lettre à la poste – du moins, si Falwell n'avait pas eu vent de cette fausse publicité.

« Lorsque Larry Flynt arrive dans une pièce, les gens se lèvent. Il a le charisme d'un parrain. » – Joanna Angel

« Falwell était furieux », affirme MacDonell. Dans les semaines qui ont suivi la publication de la fausse interview, Falwell a poursuivi Larry Flynt en justice et lui a réclamé la somme de 45 millions d'euros tout en demandant de l'aide à sa congrégation pour financer ses frais de justice.

« Ce mec était un charlatan », affirme Larry, non sans un soupçon d'admiration. « Il vendait de la religion et moi je vendais du porno. Nous étions tous les deux doués dans nos domaines respectifs et nous gagnions tous les deux pas mal d'argent. » En 1984, à la fin du procès, les 45 millions demandés par Falwell étaient devenus 150 000 dollars – de l'argent de poche pour Larry Flynt.

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Pourtant, Larry a refusé de payer en prétextant que la parodie et la satire se devaient d'être protégées par le premier amendement. Après deux appels infructueux en 1986, il a retenté sa chance une troisième fois en demandant à la Cour Suprême de se pencher sur l'affaire. La justice a accepté et, en 1987, il s'est de nouveau trouvé face aux membres de la plus haute juridiction des États-Unis. Cette fois-ci, il portait un costume.

« Je me souviens parfaitement de ça, me dit Larry. Lorsque je me suis assis, j'ai observé la famille de Falwell. On aurait dit une peinture de Normal Rockwell. Là, j'ai cru que tout était perdu. »

Pourtant, le pornographe a gagné via une décision unanime.

« L'arrêt de la Cour Suprême en faveur d'Hustler a été un véritable triomphe pour la liberté d'expression », a écrit le juriste Rodney Smolla peu de temps après. De son côté, William B. Turner, qui a enseigné à Berkeley et dont le livre  Figures of Speech consacre un chapitre à Larry Flynt, a déclaré que « [le cas Falwell] est très intéressant à étudier pour deux raisons. Tout d'abord, il a permis la protection de la satire et la parodie. Ensuite, il a élargi l'arrêt New York Times CO. v. Sullivan de 1964 aux cas de diffamation dans lesquels une figure publique porterait plainte suite à la publication d'un article. » Après l'arrêt Sullivan, les célébrités ou les politiciens pouvaient encore contrôler les journaux dans une certaine mesure – en limitant ce que ces derniers publiaient à leur propos. En reconnaissant l'importance de la satire, la Cour Suprême a donné raison aux outrages de Flynt.

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Les archives dans les bureaux d'Hustler

Aujourd'hui, après des décennies de lutte, Hustler n'est plus que l'ombre de lui-même. C'est à Evan Roosevelt de changer tout ça. Ce trentenaire est chargé de raviver ce titre amorphe. Il a récemment réussi à signer un contrat avec la marque de streetwear Hood By Air, une première étape nécessaire selon lui pour faire connaître Hustler à un public beaucoup plus jeune. « Le marché du divertissement pour adultes est en pleine mutation, et nous voulons changer avec lui, me dit Evan. Les personnes de moins de 30 ans ne connaissent pas forcément Hustler»

Si Larry se rend tous les jours à son bureau et conserve un rôle primordial au sein de l'entreprise, Hustler a énormément changé. La majorité des revenus de l'entreprise provient désormais de casinos, de sex-shops et d'une nouvelle génération des Hustler Club. En ce qui concerne le magazine, sa publication est inférieure à 100 000 exemplaires – seuls deux employés y bossent à plein temps.

Malgré tout, Larry Flynt est encore une icône dans le monde du porno. « Lorsque Larry Flynt arrive dans une pièce, les gens se lèvent. Il a le charisme d'un parrain », affirme la productrice, réalisatrice et actrice Joanna Angel. Et l'entreprise Hustler est toujours un acteur clé dans l'industrie.

Comme Larry dans les années 1970, Joanna Angel a épié le marché avant de trouver un créneau. Elle est la propriétaire de la maison de production BurningAngle Entertainment et est l'une des pionnières de la « pornographie alternative » – pensez à tous ces acteurs et actrices avec des tatouages et des piercings. « Quand je me suis lancée, je rêvais de monter une entreprise à la Hustler, m'a-t-elle avoué par téléphone. Ils ont été les premiers à rendre mainstream le sexe hardcore. »

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Les bagues de Larry Flynt

Larry Flynt est lui aussi devenu mainstream en 1996 grâce au film The People vs Larry Flynt – dans lequel Woody Harrelson joue le rôle du pornographe et retrace tous ses combats face à la justice pour défendre à tout prix la liberté d'expression. Sa victoire contre Falwell à la Cour Suprême est mise en avant comme étant le jour de gloire d'un type qui aura tout sacrifié pour défendre les libertés fondamentales de son pays, quand bien même celui-ci le rejetait.

Si le film n'a pas connu un succès important au box-office, des féministes très médiatisées ont accusé les producteurs d'avoir dressé un portrait élogieux d'un magnat réactionnaire. Le film a tout de même été bien reçu par la critique et Woody Harrelson a été nommé aux Oscars pour sa performance.

« Le film a permis aux gens de connaître mon histoire, c'est le principal », résume Larry Flynt.

Si The People vs. Larry Flynt a contribué à assagir l'image de Larry, Internet a rendu son magazine tout aussi inoffensif. Hustler pouvait choquer dans les années 1970-1980, mais les ordinateurs nous ont donné un accès rapide et facile à des centaines de milliers d'images plus dépravées les unes que les autres. Vos fantasmes les plus sordides sont désormais à votre portée. Hustler paraît bien daté à côté de ça et les provocations personnelles de Larry ne choquent plus grand monde.

En 1998, en plein scandale Bill Clinton, Larry publiait une publicité dans le Washington Post. Il promettait une récompense d'un million de dollars à quiconque lui fournirait les « preuves d'une relation sexuelle inappropriée avec un membre du Congrès, un Sénateur, ou n'importe quel autre haut fonctionnaire ». D'une certaine façon, cette affaire a été le chant du cygne de la longue croisade de Larry Flynt contre l'hypocrisie.

« [Les jeunes] baignent dans une culture tellement apathique qu'ils considèrent que leurs droits et leurs libertés sont acquis, sans même comprendre qu'ils pourraient les perdre en une fraction de seconde. Il ne s'agit pas d'étendre notre liberté d'expression, sinon de la conserver. » – Larry Flynt

Larry Flynt a peu à peu été délaissé, et a fait les frais des bouleversements qui ont touché la liberté d'expression avec l'avènement d'Internet. Lorsque je lui demande si les discours incitant à la haine qui prolifèrent sur les réseaux sociaux et sur Internet devraient être censurés, il me répond par une question toute sibylline. « Quand vous tuez quelqu'un, est-ce vraiment important de savoir si vous l'avez tué parce que vous le détestiez ou simplement pour vous amuser ? »

Pour Larry Flynt, le droit de choquer, piquer et offenser les gens est toujours quelque chose qui vaut la peine de se battre. « La liberté d'expression n'est pas gratuite, me dit-il. Vivre dans une société libre a un prix, et ce prix c'est de tolérer des choses que vous n'aimez pas forcément. » Il poursuit et avoue ne pas comprendre les jeunes d'aujourd'hui. « Ils baignent dans une culture tellement apathique qu'ils considèrent que leurs droits et leurs libertés sont acquis, sans même comprendre qu'ils pourraient les perdre en une fraction de seconde. Il ne s'agit pas d'étendre notre liberté d'expression, sinon de la conserver. C'est très fragile. Même notre démocratie est fragile. »

Sur son bureau, à côté d'une pile parfaitement rangée de magazines salaces, Larry a posé son livre One Nation Under Sex, qu'il a coécrit avec l'historien David Eisenbach. Celui-ci porte sur les scandales sexuels qui ont marqué l'histoire des États-Unis. Son premier chapitre propose une comparaison implicite entre Larry et Benjamin Franklin. Selon les deux auteurs, Franklin était le « premier Américain à gagner de l'argent en attirant le lecteur grâce à des publications salaces et des discussions ouvertes sur le sexe ».

J'évoque ce passage avec Larry. Espère-t-il entrer dans l'histoire en étant vu a posteriori comme un rebelle plutôt qu'un agitateur opportuniste ?

Là, il s'arrête, réfléchit puis serre les dents avant de me répondre. « Je laisse ça aux historiens. Vous trouverez sûrement mon nom dans une note de bas de page. »

Drew Millard est sur Twitter.

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