Pourquoi les astronautes brûlent leurs caleçons sales

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Pourquoi les astronautes brûlent leurs caleçons sales

Une interview du mec qui habille les astronautes.

Robert Trevino est ingénieur au sein de la division "Équipage et systèmes thermiques" de la NASA. Cela signifie donc qu'entre autres attributions, il est responsable de la tenue vestimentaire des astronautes lorsque ceux-ci partent dans l'espace. Qu'il s'agisse de simples polos en coton ou de bermudas portés à bord de l'ISS ou de textiles ignifugés et résistants aux bactéries conçus pour des missions sur Mars, Trevino et son équipe doivent réfléchir en permanence à chaque aspect de la tenue des astronautes, en termes de confort, de poids ou encore de durabilité. La question de lessive peut sembler triviale, mais elle révèle en vérité à quel point même les aspects les plus anodins du voyage spatial doivent être envisagés avec le plus grand sérieux si l'humanité entend un jour repousser ses frontières.

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J'ai longuement discuté avec Trevino de l'état actuel et des évolutions futures des vêtements spatiaux. Notre conversation a été légèrement éditée par souci de clarté.

Motherboard : À bord de la Station spatiale internationale, l'uniforme des astronautes se compose d'un polo et d'un bermuda. Ces vêtements ont-ils quelque chose de spécial ?

Non, ce sont juste des vêtements très confortables que les astronautes apprécient. La station spatiale est ce que l'on appelle un environnement atmosphérique et tempéré. L'air qu'on y trouve est comparable à celui de la Terre - 20% oxygène, 80% nitrogène - donc il n'y a pas de problèmes de flammabilité comme à bord d'Apollo ou Skylab, ou le niveau d'oxygène est bien plus élevé.

C'est peut-être une question stupide, mais où est-ce que vous achetez tous ces polos et ces bermudas ?

Nous avons un fournisseur, Lockheed Martin, qui nous fournit les vêtements. Ce sont des produits commerciaux classiques, mais nous les testons par rapport à nos besoins.

À part la flammabilité, y'a-t-il d'autres préoccupations concernant l'uniforme actuel ?

Les vêtements dont nous parlons sont portés quotidiennement, les astronautes les portent au cours de leur routine quotidienne à bord de la station - manipuler les équipements, faire des expériences, de la maintenance, ce genre de choses. Tous les membres de l'équipage doivent aussi faire au moins une heure de sport par jour. Il est nécessaire de faire de l'exercice pour limiter les effets de l'apesanteur sur le corps - atrophie musculaire, perte de calcium dans les os. Nous avons d'autres vêtements pour le sport. Ces vêtements-là proviennent aussi du commerce, mais nous cherchons à développer de nouvelles matières qui permettent de mieux respirer, d'absorber les odeurs et la sueur.

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Nous n'avons pas de système de lavage, donc l'équipage de la station spatiale porte les vêtements jusqu'à ce qu'ils sentent mauvais, puis ils les jettent à la poubelle

Les vêtements de sport sont-ils juste des survêtements ?

Quand les équipages sont assignés à une mission à bord de la station spatiale, ils se rendent dans notre labo où se trouvent toutes les tenues. Au cours de leur entraînement, ils évaluent certains vêtements, et ils choisissent ce qui leur plaît. Pour les tenues de sport, par exemple, certains peuvent préférer un t-shirt ample, tandis que d'autres préfèrent un vêtement plus serré. Presque toutes les tenues de sport sont conçues pour respirer, 100% polyester ; les shorts et les chaussettes sont en polycoton. Les sous-vêtements, c'est leur problème.

Nous n'avons pas de système de lavage, donc l'équipage de la station spatiale porte les vêtements jusqu'à ce qu'ils sentent mauvais, puis ils les jettent à la poubelle. Quand le Progress, le véhicule de transport russe, aborde la station et que sa cargaison est déchargée, on le recharge avec les déchets, qui brûlent lorsqu'il rentre dans l'atmosphère. À l'avenir, pour des missions plus lointaines, nous n'aurons pas ce luxe d'avoir des véhicules apportant des vêtements neufs. Nous avons donc mené des études pour évaluer le coût d'installer un système de lavage utilisant de l'eau et de l'électricité, par rapport au coût que représenterait le fait de simplement remplacer les vêtements, et pour l'heure il est moins coûteux de remplacer les vêtements car l'eau est une ressource trop précieuse.

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À moins que l'on trouve tellement de glace sur Mars que nous disposerons d'énormément d'eau, celle-ci sera toujours un problème. Nous souhaitons développer des vêtements bien plus antibactériens, et je travaille aussi sur des projets visant à développer des systèmes de lavage alternatifs qui ne reposent pas sur l'eau.

Nous avons essayé de mettre des vêtements dans lesquels on avait transpiré (et qui sentaient) dans une poche d'air et de les exposer au vide spatial. On a observé un recul des bactéries, mais l'odeur provient des bactéries en décomposition. Les ultraviolets sont déjà utilisés dans les hôpitaux pour désinfecter des chambres, donc nous avons mené des essais en exposant divers échantillons de matières aux ultraviolets. Nous avons une équipe qui teste des fréquences de micro-ondes et la quantité d'énergie utilisée, car nous savons que les micro-ondes tuent les bactéries, mais nous ne voulons pas abîmer les vêtements.

Même si nous ne parvenons pas à obtenir des vêtements aussi propres qu'après une lessive complète, si nous réussissons à étendre la durée de vie de ces vêtements de deux à quatre ou six semaines, nous pourrons réduire la quantité de vêtements nécessaires de moitié. Nous avons un projet ici à la NASA baptisé Logistics Reduction for Advanced Exploration Missions, au sein duquel nous cherchons des moyens de réduire la logistique pour ces missions, car quand nous irons sur Mars, nous n'aurons pas de ravitaillement en cours de mission. On parle ici potentiellement d'une mission de trois ans avec un séjour d'un an sur la surface de la planète, et il faut vraiment tout emmener. Ce serait trop cher d'envoyer des véhicules de transport chargés de vêtements.

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Quelle est la durée de vie actuelle des uniformes ?

Les astronautes ne portent pas leurs tenues de sport plus de deux semaines, mais leurs autres vêtements durent bien plus longtemps. Les astronautes reçoivent une certaine quantité de vêtements quotidiens - polos et bermudas. Il y a normalement une rotation tous les trois ou six mois. S'ils portent un polo qui leur plaît beaucoup pendant deux mois, ils finissent par le jeter.

Travaillez-vous sur des technologies intégrées aux vêtements ?

Nous faisions ça bien avant que ça devienne à la mode - prenez par exemple la combinaison spatiale. À l'intérieur de la combinaison, il y a un système de refroidissement liquide et de ventilation. En gros, ça ressemble à une sorte de caleçon long allant des chevilles aux poignets. À l'intérieur, il y a des tubes grâce auxquels on fait circuler de l'eau. Ça fonctionne comme un radiateur dans une voiture. Quand vous travaillez dans l'espace et que votre corps génère de la chaleur, il y a de l'air qui crée de la conduction à l'intérieur de la combinaison. Il faut évacuer cette chaleur. L'eau entre froide et ressort chaude. La combinaison évacue la chaleur pour le confort de l'astronaute. On installe donc des tubes dans le vêtement, et en-dessous, on place un moniteur cardiaque pour surveiller le rythme cardiaque de l'astronaute.

La combinaison spatiale va-t-elle évoluer prochainement ?

Nous travaillons beaucoup sur la combinaison. La difficulté, c'est qu'en premier lieu, elle doit fonctionner dans un environnement à 100% d'oxygène. En général, quand il s'agit d'électronique dans ce type de conditions, il faut être très prudent. Il y a de gros problèmes de sécurité. L'autre souci, c'est qu'il existe des écrans comme Google Glass ou Microvision, mais si vous installez quoi que ce soit sur le casque, vous ne pouvez pas y toucher ou l'ajuster. Il faut que ce soit installé sur la combinaison, dans le vide spatial, où les appareils sont exposés à des variations extrêmes de température. Celle-ci peut aller de -170°C à +150°C. Nous nous intéressons aux technologies - à l'intérieur ou à l'extérieur de la combinaison - qui fournissent aux astronautes les informations nécessaires concernant leur combinaison. L'oxygène restant, la batterie, leur niveau de CO2 - ils doivent avoir toutes ces informations.

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Comment obtiennent-ils ces informations à l'heure actuelle ?

Sur leur poitrine. Vous verrez toujours ce module installé sur leur poitrine, qu'on appelle Displays and Controls Module. Si l'astronaute regarde vers sa poitrine, le module ressort, 10-12 centimètres au-dessus de sa poitrine, et il est équipé d'un écran LED. En appuyant sur un bouton, on accède aux paramètres. Il y a également une check-list en plastique laminé installée sur le poignet de la combinaison. Il y a quelques années, on avait envisagé de développer une check-list électronique. On avait fait des tests à bord de la station spatiale, et on était prêts à valider l'expérience, mais à l'époque on utilisait des écrans LCD, à cristaux liquides. Il faisait beaucoup plus froid qu'on ne le pensait, et les écrans à cristaux ne résistent pas très bien au froid, donc les images disparaissaient.

Apparemment les fluides corporels sont redistribués en l'absence de gravité, ce qui fait que parfois les membres des astronautes peuvent gonfler ?

C'est exact. Notre corps a évolué pendant des millions d'années en étant confronté à une gravité constante. La gravité vous attire toujours vers le bas et tous vos fluides sont soumis à la gravité, donc quand le coeur envoie le sang jusqu'aux extrémités, il n'a pas à le repomper ensuite car la gravité s'en charge. En apesanteur, ce n'est plus le cas. La gravité n'est plus là, donc vous fluides et votre sang sont redistribués. Quand vous êtes sur Terre, avec la gravité, il y a plus de fluides dans votre abdomen que dans votre thorax ; en apesanteur, c'est différent. Les astronautes ont des migraines et la sensation d'avoir la tête dans le coton. Il y a un temps d'adaptation. Certains s'en tirent bien, d'autres ont la tête qui gonfle beaucoup. Certains ont dit qu'ils ressemblaient alors à Charlie Brown. On parle donc d'effet Charlie Brown.

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Vous travaillez là-dessus ?

Pour la combinaison spatiale, c'est très important. Il faut que la combinaison aille parfaitement aux astronautes, surtout au niveau des bras, des gants et des jambes. Les membres de l'équipage grandissent dans l'espace, entre 2,5 et 4 centimètres. Ça se passe avant tout au niveau de la colonne vertébrale, qui est compressée par la gravité mais qui se détend en apesanteur.

À quelle vitesse grandissent-ils ?

Ça se passe dès les premiers jours. Nous prenons des mesures pour les combinaisons, et nous ajoutons toujours au moins 2,5 centimètres à la taille de leur torse pour anticiper cette croissance rapide. Ça ne pose pas de problème par rapport à leurs vêtements quotidiens, car ils sont plus flexibles. Au pire, le polo sera un peu plus serré, mais rien de grave.

Un autre problème qui aura beaucoup d'applications ici sur Terre à l'avenir : en dehors de la station, quand vous faites une sorte dans l'espace, il fait entre -170°C et 150°C. Il nous faut donc bien isoler la combinaison spatiale. La technologie que nous employons actuellement, c'est du mylar aluminisé avec plusieurs couches de matière au milieu. Ça s'appelle de l'isolation multicouches. C'est comme un thermos, dans lequel il y a une couche de vide. Il n'y a rien de plus efficace, car il n'y a rien pour conduire la chaleur ou le froid vers l'intérieur. Dans la combinaison spatiale, nous avons cette isolation qui protège l'astronaute des températures extrêmes.

Le problème, c'est que l'isolation ne fonctionne que dans le vide. Ça marche sur la Lune car elle n'a pas d'atmosphère, mais sur Mars, où il y a une atmosphère de dioxyde de carbone, cette technologie ne fonctionnera pas, donc il faut réfléchir à un autre type d'isolation. On pourrait utiliser la technologie qu'il y a actuellement dans votre parka, thinsulate ou permaloc, mais c'est très encombrant et épais. Nous faisons donc des recherches sur l'isolation pour de futures combinaisons qui fonctionnerait dans une atmosphère comme celle de Mars, et nous collaborons avec une entreprise nommé Aspen Aerogels qui fabrique un matériau génial, l'aérogel, qui isole formidablement bien. C'est le matériau solide le plus léger du monde. Vous pouvez en tenir un cube dans votre main et ne pas vous en rendre compte, tellement c'est léger. Nous l'envisageons comme une sorte d'isolation flexible. Si nous parvenons à le développer, nous pourrons théoriquement remplacer 5 à 8 centimètres d'isolation thinsulate ou permaloc avec quelques millimètres d'aérogel. À l'avenir, on pourrait donc avoir des parkas aussi légères que des coupe-vent, et parfaitement isolées.

D'autres projets intéressants ?

Dans la perspective de missions pouvant durer trois ans, nous nous intéressons surtout aux questions liées au recyclage : l'air, l'eau, les vêtements, les déchets… On pourrait par exemple recycler certains plastiques pour en faire des protections anti-radiation pour les couchages des astronautes ; pour ce faire, on essaie de développer des technologies qui transforment les déchets plastiques en des sortes de palets de hockey, en les soumettant à de très hautes températures. Un autre domaine auquel nous réfléchissons beaucoup, c'est l'impression 3D : ne pourrions-nous pas utiliser les vêtements et autres déchets pour les transformer en objets utiles par ce biais ? L'idée, c'est de changer de mentalité, et de ne plus se contenter de tout jeter. Ce sera essentiel pour des missions plus longues à l'avenir.