Ma première expérience éprouvante liée au cinéma a eu lieu un samedi après-midi d’automne 1984. Ma famille et moi avions déménagé dans un quartier du sud ouest de Philadelphie et c’est là que les choses ont commencé à devenir bizarres. Mes parents étaient en plein divorce, et la maison était devenue un lieu de tension et de mauvaises vibrations. Le mignon petit garçon que j’étais un ou deux ans plus tôt était en train de devenir une terreur hyperactive ; mes crises de colère étaient régulières et je menais la vie dure à tous les autres gosses. Pendant cette période, j’étais uniquement préoccupé par le fait d’être mortel et je devenais obsédé par l’idée de mort imminente qui me guettait. Je ne dormais plus. Les journées étaient déjà éprouvantes mais une fois la nuit venue, une peur absolue me hantait. Tout partait en vrille dans ma tête, c’était atroce, puis Phantasm est arrivé…
J’avais déjà vu des films avant mais regarder Phantasm sur la chaîne WPHL 17 avec mon père en cet après midi d’automne a complètement retourné mon cerveau d’enfant de 4 ans, à un niveau que Bernard et Bianca ou quelconque autre connerie Disney n’atteindra jamais. Pour ceux qui n’auraient jamais vu ce chef d’œuvre surréaliste et terrifiant de Don Coscarelli, voilà un bref résumé du synopsis : un entrepreneur de pompes funèbres (The Tall Man magnifiquement interprété par Angus Scrimm) débarque dans une petite ville et des gens commencent bientôt à disparaître. Deux frères orphelins et le conducteur d’un camion de glaces commencent à avoir des soupçons. Un tas de trucs bizarres et mystérieux ont lieu, impliquant des devins, des diapasons, des arbres nains, des poignards, des fusils, des doigts amputés qui se transforment en guêpes géantes, en portails vers d’autres dimensions, des robots aussi complets qu’un couteau suisse, qui volent et qui tuent des gens, et ce putain d’Angus Scrimm, qui se pavane dans son putain de costume noir avec ses putains de cheveux gominés plaqués en arrière, avec son putain de regard noir toujours en train de dire « BOY ».
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Vous me suivez toujours ?
Attention spoiler. En fait, The Tall Man est un alien ou une connerie du style qui a été envoyé sur terre pour récolter des humains et les transformer en nains obèses esclaves pour travailler sur sa planète. Finalement, la créature tombe dans un puits et le plus jeune des deux frères se réveille dans son lit, et réalise que tout ca n’était qu’un rêve. Le conducteur du camion est toujours en vie mais son frère est mort dans un accident de voiture avec ses parents quelques semaines plus tôt. Le conducteur prend le petit sous son aile et lui propose de partir en voyage pour s’aérer l’esprit. Quand le jeune garçon file dans sa chambre pour préparer ses affaires, ce diable de Tall Man l’attend derrière la porte, sort encore un « boooy » et des nains le poussent à travers un miroir. Fin. Cool.
En réalité, Phantasm est un milliard de fois plus bizarre que ce que je viens de vous raconter. Vince Canby a même écrit dans le New York Times de l’époque que le film équivalait à « un enfant de 8 ans bourré d’imagination qui vous raconterai une histoire sur les fantômes ». C’est sûrement pour cette raison que Phantasm a touché une corde sensible chez moi. Après tout, mes peurs n’étaient que celle d’un petit gamin cramé et complètement irrationnel.
Regarder ce film, avec ses absences de narration cohérente, ses images oniriques et son atmosphère de terreur généralisée, d’un non sens évident, transcrivent bien ce qu’il se passe dans le cerveau d’un enfant de 4 ans.
En plus de cet amas de violence surnaturelle, dont les aliens et les robots ne représentent qu’une infime partie, il faut surtout ajouter la participation des compositeurs classiques Fred Myrow et Malcolm Seagrave à l’équation. Le thème principal du film pénètrait dans mon esprit comme un petit parasite et à chaque fois que je fermais les yeux pour trouver la tranquillité, ce putain de morceau était toujours en train de raisonner dans ma tête, me hantant et m’obligeant à repenser à toutes les images du film. Quelques années plus tard, j’ai lu que Myrow et Seagrave voulaient plagier intentionnellement la musique de Goblin dans leur studio, mais ils ont rencontré quelques difficultés pour reproduire certains sons à cause du coté primaire de leurs synthés utilisés à l’époque, ils ont donc dû se résigner à cette B.O. Et heureusement, car je ne pense pas que j’aurais été autant touché par un truc plus complexe que ces quelques notes et cette simple ligne de basse. Leur musique faisait vraiment partie intégrante du film.
Un ou deux ans après avoir vu Phantasm, j’ai vu Halloween de John Carpenter sur la même chaine. L’intrigue est très simple (un frère tue sa sœur et est envoyé à l’asile et s’en évade quinze ans plus tard, le soir d’Halloween, pour abattre quelques babysitters de sa ville, en gros), l’atmosphère est sombre, la cadence de l’intrigue et l’interprétation sont impeccables et on peut dire que c’est en partie grâce à la musique. Carpenter s’est contenté de répéter une mélodie ultra simple au piano, accompagnée d’une ligne de basse ascendante pour faire de ce film, déjà inquiétant, une bombe atomique.
Regarder Phantasm cet après-midi là avec mon père s’est avérée l’une des choses les plus importantes de ma vie. Ce furent mes premiers pas dans l’horreur et le cinéma au sens plus large. L’horreur m’a toujours influencé, dans tout ce que j’ai fait : ma musique, les mots que j’écris, ou encore dans les conversations que je tenais avec mes potes. Cette terreur que je ressentais enfant ne m’a jamais quitté, et finalement, à ce stade de ma vie, j’espère que ca n’arrivera pas.
Après plusieurs années, les fans du style et les grands succès musicaux qui y sont liés ont trouvé un lieu de convergence : les labels s’étaient fait un nom en sortant des éditions limités d’anciennes bandes-son devenues introuvables (ou vendues sous le manteau). Souvent, ces albums conservaient le même packaging, et grâce aux nouvelles technologies et au peu d’exemplaires pressés, les disques s’arrachaient. C’est le jeu, et si vous voulez vraiment choper un disque, pas d’inquiétude, vous le trouverez. Je ne vais pas vous apprendre les règles de Discogs ou d’Ebay.
J’ai passé mes jeunes années à dépenser tout mon fric dans des magasins de vinyle bizarres (pendant longtemps, je croyais fermement que c’était le seul endroit où on trouvait tous ces trucs) dans l’espoir de mettre la main sur les œuvres de Tangerine Dream, Ennio Morricone, Riz Ortolani, Goblin, Simon Boswell, David Hess, John Carptenter, Paul Giovanni et Magnet, Popol Vuh et bien d’autres. Le truc, c’est que tous ces disques étaient déjà dispos dans ces boutiques, mais personne ne les cherchait parce que tout le monde s’en foutait. Les collectionneurs de ces trucs semblent avoir été victimes d’une lubie passagère et même les fans préfèrent se rabattre sur les films plutôt que sur un bout de vinyle ou un CD qu’ils ne peuvent pas regarder. Beaucoup de ces disques fonctionnaient bien sans les images mais la plupart ont bâti leur succès grâce aux films qu’ils appuyaient.
Si vous écoutez la bande-son ultra captivante de Buio Omega signée Goblin comme un disque normal, vous retrouverez quelque chose de totalement différent de ce que voulait faire Rick Ulfik sur Street Trash. (même si le morceau de Tenafly Viper est une tuerie).
Voilà où en est la culture aujourd’hui. N’importe quel truc obscur qui passait dans un ciné de la 42ème rue, avec une basse perfide sorti d’un synthé analogique, une grosse caisse sur le temps fort, et des petites conneries de filigranes lugubres, se vendra, aucun problème. La vraie question est : est-ce que ça doit se vendre ? On vit à une époque où le Zombie de Fabio Frizzi, chiant à mourir, occupe la même place que la musique d’entrée d’ Halloween III signée Alan Howarth et Carpenter. Est ce qu’introduire les B.O. dans la culture du « record collecting » déclenche de l’intérêt pour les films en question, ou est ce que ça réduit ces films, du moins leur musique, à une nouvelle tendance, une fixation culturelle temporaire qui disparaîtra bientôt comme est elle venue ?
Même si tout ça ouvre des portes et génère de l’intérêt pour ce genre cinématographique, je suis forcé de constater que cette explosion des bandes-son est une chose néfaste : les films d’horreur représentent toute ma vie, et j’aimerais rencontrer plus de gens qui s’occupent plutôt de creuser le style et de trouver des films qui leur parlent réellement. Il y a beaucoup de choses surcotées dans le domaine, et finalement, chacun doit décider si ça lui correspond ou non. De mon côté, quoiqu’il se passe, je resterai toujours cloîtré chez moi, un truc bien répugnant sous les yeux, avec le sourire, en train de profiter d’un soundtrack comme il se doit : devant un putain de film.
Michael Berdan joue dans Uniform et chille avec le Tall Man sur Twitter.