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Pitié, arrêtez avec les jeux en open world

À l’ère des lunettes 3D, des simulateurs de chute libre et des distributeurs de cordons bleus, le futur du monde vidéoludique semble se trouver dans les « open worlds », du moins si l’on en juge par l’omniprésence du genre dans toutes les productions présentes et futurs. Si vous ne savez pas ce qu’est un open world, jouez à Grand Theft Auto. Si peu nombreux sont ceux sur cette planète qui affirment ne prendre aucun plaisir à jouer à ce type de jeux, c’est bien parce que le genre plaît de plus en plus. Et les éditeurs ont bien compris que vous préfériez semer le chaos dans une ville occidentale plutôt que passer le week-end à cueillir des champignons. Si développer un jeu vidéo représente une œuvre titanesque, développer un open world est encore autre chose – et développer un open world de qualité relève presque du masochisme. En voulant se lancer dans un concours de taille de map, bon nombre de studios oublient souvent l’essentiel : divertir le joueur.

Tout a commencé lors de l’E3 de 2013 où toutes les conférences des principaux éditeurs se terminaient par le même mot, tel le graal suprême apporté aux joueurs : « open world ». Yohan Bensemhoun, un journaliste de Jeuxvideo.com qui couvre l’événement tous les ans, m’expliquait que « C’était devenu un running gag, tant chaque annonce se concluait par “1080P 60FPS OPEN WORLD” ». Aujourd’hui, tous les éditeurs de jeux veulent leur open world. Premièrement parce que l’open world fait vendre. Deux des jeux les plus vendus de tous les temps sont des open world : Minecraft s’est vendu à 106 millions exemplaires et Grand Theft Auto V s’est écoulé à 70 millions d’exemplaires. Deuxièmement, le concept d’open world est en apparence universel. Dans les têtes des éditeurs, tout le monde aime la liberté au sens strict du terme. Le genre fait donc appel à des mécanismes maintenant bien connus de tous et peut être vu comme une valeur sûre.

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GTA V.

En discutant avec Christofer Sundberg, directeur créatif d’Avalanche Studios, à l’origine des Just Cause ou encore de Mad Max, le premier problème de cette omniprésence du genre serait selon lui que le terme “open world” est employé un peu trop facilement : « Aujourd’hui, le genre est trop souvent associé aux grosses ventes, si bien que les éditeurs commencent à appeler un jeu linéaire “open world” simplement parce qu’à un moment du jeu, le joueur devra choisir entre une porte rouge ou une porte bleue. Ce n’est pas ça un open world. » En effet, un open world semble souvent beaucoup plus simple à créer qu’il n’y paraît, comme le confirme Yohan Bensemhoun de Jeuxvideo.com : « C’est en apparence beaucoup moins complexe que de faire un jeu scripté et couloir, et c’est apparu pour beaucoup de studios comme un créneau à prendre. La recette est simple : on map un énorme terrain de jeu, on y plante des villes, des avant-postes, des PNJ et des quêtes principales, et c’est parti ! »

Sauf que comme dans un film d’horreur de série B, les choses sont toujours plus compliquées. Si créer un open world basique peut être techniquement abordable pour n’importe quel studio de développement, le rendre vivant et cohérent est une autre paire de manches. Christofer Sundberg m’expliquait ainsi que : « Les open worlds sont les jeux les plus compliqués à développer. J’ai beaucoup de respect pour les développeurs qui travaillent sur des jeux linéaires, mais ce n’est pas la même chose dans un open world car nous ne contrôlons pas ce que va vouloir faire le joueur ». En effet, dans un jeu immense où le joueur est laissé libre de faire ce qu’il veut, anticiper tous ses faits et gestes est un travail dantesque. C’est aussi ce que me confirme Stéphane Signorini, programmeur gameplay chez Ubisoft : « Créer de la variété c’est compliqué, et plus le monde est grand plus ça se complique. Pour créer une activité intéressante il faut du temps : il faut trouver le but du joueur, l’enchaînement de ses actions, l’implémenter, tester si c’est amusant pour éventuellement tout jeter. C’est déjà difficile à faire quand on fait un jeu linéaire. Quand on est dans un monde ouvert, on doit multiplier ses activités et en trouver des variantes. »

Preuve que tout le monde ne devrait pas s’y lancer si rapidement, les open world récents que l’on peut qualifier d’échecs, ou de jeux tout juste moyens se trouvent facilement. Le plus récent est Mafia III, développé par le studio Hangar 13 et édité par 2K Czech. Après deux épisodes parfaitement réalisés où l’open world restreint ne servait que de fond à une narration et un gameplay brillant, le troisième opus fit le choix de placer son environnement au centre de l’aventure. Le résultat est globalement un désastre puisque même si l’aire de jeu est conséquente, il n’y a rien à y faire d’intéressant si ce n’est accomplir des missions excessivement répétitives. En voulant offrir un terrain de jeu plus grand, l’éditeur a oublié l’essentiel : lui donner un sens. Stéphane Signorini, programmeur chez Ubisoft, m’explique : « Pour moi, les deux erreurs les plus courantes dans les open world peuvent s’opposer : d’un côté il y a ceux qui sont vides et qui servent juste de hub entre les différentes zones de gameplay, et de l’autre ceux qui sont “mal remplis” avec un tas d’activités qui se répètent ad nauseam. » Si la première catégorie se rapproche effectivement d’un Mafia III, la seconde fait grandement penser à un Assassin’s Creed Unity.

The Elder Scrolls II : Daggerfall.

En effet, créer un open world qui donne envie d’oublier la réalité va plus loin que le simple dilemme « vide / rempli » d’une map. Watch Dogs 2, développé par Ubisoft Montréal, a lui aussi vanté son open world « deux fois plus grand » que dans le premier épisode. Il l’est. Pourtant, après plusieurs heures de jeu, difficile de voir ce que la grandeur de la ville apporte de plus à un jeu qui satisfait déjà par ses missions. Mais ce concours de celui qui aura la plus grosse n’est pas récent. The Elder Scrolls II: Daggerfall, sorti en 1996 sur MS-DOS, se vantait d’avoir une map de 45 000 kilomètres carré à parcourir, plus de 750 000 PNJ avec qui discuter et près de 15 000 villes et donjons à explorer. Pourtant, il y avait moyen de se faire chier, croyez-moi. À l’inverse, le jeu Mad Max sorti en 2015 est un vaste open world où l’environnement est objectivement vide, puisque l’intrigue de la licence place le joueur au milieu d’un monde post-apocalyptique désertique. Pourtant, le jeu est excellent car il arrive à retranscrire une ambiance particulière où le vide devient un objet essentiel du jeu – même chose pour Red Dead Redemption.

Mad Max.

Mais qu’est-ce qui fait la réussite d’un open world ? Christofer Sundberg d’Avalanche Studios me disait : « Quand vous créez un open world, vous voulez que vos joueurs se disent “Ça défonce ce que je viens de faire !” lorsqu’ils détruisent une base ennemie. Dans nos open world, nous avons très peu de cutscenes car c’est au joueur de créer ses propres moments uniques. » En fait, ce serait donc au joueur de combler le vide laissé par les développeurs. Cela peut être une bonne chose si d’une part le gameplay permet au joueur de libérer son imagination, et d’autre part si l’open world est suffisamment consistant pour faire sentir au joueur que ses actes auront des conséquences. À l’image d’un The Witcher 3 : Wild Hunt par exemple.

Watch Dogs 2.

Cela renforce l’idée selon laquelle le genre open world fait de sa map le personnage principal, et c’est donc sur elle que tout repose. Dans ce cas, le risque est bien souvent de délaisser certains aspects du jeu, comme le gameplay ou une narration de qualité : « Plus on offre de moyens d’action au joueur, moins on pourra contrôler ce qu’il fera. Donc quand tu décides de créer un open world, tu tires une croix sur la possibilité de faire tes niveaux bien ficelés avec tes sauts réglés au poil près. Et évidemment, si tu veux avoir du contrôle sur l’expérience du joueur, tu lui enlèves des libertés », m’expliquait Stéphane Signorini. Cela peut créer des dissonances narratives qui vont sortir le joueur de l’intrigue. Par exemple, dans Red Dead Redemption, le personnage principal tente de sauver sa femme à tout prix. Pourtant, il est possible de rester plusieurs jours dans un saloon à picoler, à jouer au couteau, ou encore à simplement se battre. Un open world serait donc avant tout une histoire de degré de liberté et de choix qui peuvent rendre le jeu magistral, ou bien le détruire.

À l’inverse, les jeux scriptés permettent souvent une bien meilleure cohérence dans le scenario, et parfois une atmosphère plus travaillée. The Last of Us était un jeu très linéaire, presque à la manière d’un film, où le joueur progressait en suivant une trame scriptée dont il était impossible de se détacher. Malgré tout, le jeu est l’un des plus récompensé dans l’histoire et il reste l’un de mes jeux préférés. Même chose pour la saga Uncharted. Même si le dernier épisode nous laisse libre dans des zones réduites, le jeu est globalement ultra scripté, mais aussi et surtout ultra bon. Il est certain que les jeux linéaires ont l’avantage de pouvoir plus facilement mettre en avant une narration rythmée et cohérente où les évènements s’enchaînent parfaitement, sans faux pas. Ainsi, le joueur n’est jamais en train de se demander ce qu’il doit faire et où il doit aller. Il ne met jamais pause, en somme. C’est ce que me confirme Yohan Bensemhoun de Jeuxvideo.com : « Sur The Last of Us, tu as l’impression en lâchant la manette d’avoir fait une super d’épopée en extérieur, d’avoir voyagé ». Finalement un jeu linéaire peut être plus vivant et immersif qu’un immense bac à sable rempli de PNJ débiles qui n’auront aucune implication dans l’aventure du joueur. Il n’y a donc pas que les open world dans le cœur des gamers – et heureusement.

Si créer un open world est une affaire de choix et de contraintes, l’argent peut élargir les possibilités. Aujourd’hui, se lancer dans un open world qui veut tout défoncer nécessite de l’argent, un paquet d’argent. Dans le cas de Grand Theft Auto V, les coûts de développement sont estimés à 250 millions de dollars sur quatre ans, ce qui représente presque le double des coûts de production d’un film comme Interstellar. C’est un genre où faire les choses à moitié peut rapidement créer un jeu mort-né. L’open world fait de son monde le personnage principal, c’est donc sur lui que tout repose. L’open world est un genre qui ne laisse pas de place à l’entre-deux, là où un jeu linéaire peut se permettre quelques lacunes graphiques ou de gameplay qu’il compensera avec son scénario ou son environnement.

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