Alors que j’oscille entre la peur de mourir et celle de péter un câble enfermée solo dans mon 30 mètres carrés, fleurissent sur Internet des mèmes sur ce qui semble vraiment en faire flipper beaucoup : devenir gros·ses.
Si j’ai franchement la flemme d’expliquer à quel point ils ne sont pas drôles, je suis suffisamment remontée pour passer du temps à vous expliquer pourquoi concevoir ou partager ces « blagues » perpétuent un tas d’idées aussi erronées que nocives.
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Posons les bases. La rhétorique de ces mèmes repose sur une seule idée : être inactif·ve va vous rendre gros·ses, parce que vous êtes persuadé·es que les gros·ses sont inactif·ves.
Je peux à peine vous reprocher de penser ça tant notre inconscient collectif est habité de cette croyance. Partout dans les films, livres, séries, les gros·ses sont des gloutons dépourvu·es de maîtrise de soi et avachi·es dans un canap’ – liste de préjugés pétés non-exhaustive.
Et alors que pour beaucoup, vous n’avez pas fait de sport depuis des années, que vous bossez probablement le cul posé sur une chaise 8 heures par jour, et que vos soirées se résument aussi à mater des films en mangeant des trucs à l’équilibre nutritif douteux, vous êtes quand même intimement persuadé·es que nos modes de vie sont fondamentalement différents.
« Désolée de vous l’apprendre, mais vous n’avez rien compris. La grosseur est une question complexe et ses causes sont plurielles. »
Quand vous me croisez dans la rue, vous pensez sûrement que si vous ne me ressemblez pas, c’est parce que vous faites de meilleurs choix que les miens, que vous mangez mieux, que vous bougez plus, que vous, vous êtes dans la maîtrise.
Désolée de vous l’apprendre, mais vous n’avez rien compris. La grosseur est une question bien plus complexe et ses causes sont plurielles : les régimes, le rapport à la nourriture abîmé, les troubles du comportement alimentaire, la dépression, les difficultés économiques et sociales, le métabolisme, la peur du manque, les traumatismes, le manque d’accès à l’éducation alimentaire, les habitudes familiales… Ne pas comprendre que nos réalités sociales, culturelles et intimes jouent dans nos manières de vivre ou de nous alimenter et penser que les gros·ses passent forcément la moitié de leur vie devant la télé à manger de la pizza, c’est passer à côté du sujet.
Il est temps de comprendre que tirer des conclusions hâtives du poids de quelqu’un est grossophobe. Peu importe les conclusions d’ailleurs – ça, c’est pour ceux qui pensent me flatter en me calant un absurde « les grosses baisent mieux parce qu’elles sont plus gourmandes ».
Et ça vaut aussi pour l’activité physique ou la santé. Même si ça chamboule vos croyances, il y a un paquet de gros·ses qui se bougent plus le cul que vous et qui, pourtant, sont gros·ses. Il y a un paquet de gros·ses en meilleure santé que vous. Il y a un paquet de personnes minces avec une santé pétée. Et il y a un paquet de gens minces que vous trouverez superbes parce qu’ils ont perdu 10 kg, alors qu’ils sont en pleine dépression.
« Il y a un paquet de gros·ses en meilleure santé que vous. Il y a un paquet de personnes minces avec une santé pétée. Et il y a un paquet de gens minces que vous trouverez superbes parce qu’ils ont perdu 10 kg, alors qu’ils sont en pleine dépression. »
Si des médecins (auto proclamé·es ou non) affirment le contraire, je les invite à accueillir le fait que leur regard ne fait pas consensus malgré leurs croyances et apprentissages, et à aller lire d’autres consoeurs et confrères, comme ceux du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (G.R.O.S), qui s’efforcent de mettre en lumière les présomptions de nombreux·ses soignant·es sur les corps gros et oeuvrent pour une prise en charge bienveillante. Car comme l’a si bien résumé le docteur et écrivain Martin Winckler, : « La seconde source de maltraitance médicale envers les personnes obèses, c’est le mépris. Pour des raisons et préjugés similaires à ceux de tout le monde (“grossir est mauvais pour la santé, et puis être gros ça veut dire qu’on est paresseux, qu’on manque de volonté”, et tout un tas d’autres conneries de ce genre) mais avec ceci de particulier que le soignant, lui (ou elle) peut l’affirmer avec autorité, en faisant croire que son autorité se fonde sur la science. Et donc, qu’il n’y a rien à y redire. »
De toute façon, les gens n’ont pas à être en bonne santé pour avoir le droit à la bienveillance. Il est parfois dur de regarder les corps sans ce prisme validiste tant le culte du fonctionnel imprègne notre société. C’est même une des bases de son fonctionnement capitaliste, en fait. Pourtant les corps malades, les corps non-valides, les corps gros, valent autant, même s’ils produisent parfois moins. Et surtout ils ne vous doivent pas d’explications pour prétendre à la dignité.
Si pour certain·es, à ce stade j’intellectualise trop : parce que ce sont « juste des mèmes drôles » et que je « casse l’ambiance ». Sachez que je rirai peut-être à ces blagues le jour où ces préjugés sur nos vies n’auront plus d’impact sur nos réalités. En 2020, on est toujours discriminé·es à l’embauche parce qu’on nous pense fainéant·es, on est toujours mal soigné·es parce que les cabinets ne sont pas adaptés et équipés pour nos corps ou que notre gras est pointé du doigt comme l’origine de tous nos maux, on est toujours exclu·es des lieux culturels et des transports parce qu’on ne rentre pas dans les sièges. Et apparemment, c’est toujours ok de moquer nos corps.
Quand certaines études font état du fait que 18% des interrogé·es préféreraient mourir dix ans plus jeune plutôt qu’être obèses, 21 % préféraient souffrir d’une dépression majeure, 5 %, être amputés, et que presque 50% des filles de 3 à 6 ans ont peur d’être grosses, j’ai du mal à trouver ces blagues anodines, déso.
« Il n’y aura jamais de libération de tous les corps, de libération de vos corps, sans libération des corps gros. »
Alors je sais que l’injonction capitaliste et patriarcale à la minceur est violente, que la grossophobie – qu’elle soit insidieuse ou décomplexée – de notre société est profonde. Preuve en est : en pleine pandémie mondiale, votre priorité c’est de faire de mon corps le pire truc qui pourrait vous arriver. Je sais que vous avez intériorisé très tôt l’idée selon laquelle votre poids devrait être un chiffre statique durant toute votre vie. Je sais que, pour une fois, vous ne voulez absolument pas être cet « après » des « avant/après ». Qui voudrait être cet « après » si il est humilié et maltraité ?
Mais tant que vous continuerez à associer la grosseur à un truc super négatif, tant que vous participerez à mettre de la violence dans nos vies, tant que vous n’accepterez pas que votre corps a parfois besoin de manger et stocker plus (parce que c’est l’hiver, parce que vous êtes angoissé·e, parce que c’est parfois la seule façon de se sentir mieux), tant que vous persisterez à penser que votre valeur diminue quand votre poids augmente, chaque kilos pris continuera d’être vécu comme un échec, voire un enfer pour d’autres.
Tant que vous aurez peur d’être nous, vous serez mal d’être vous. Il n’y aura jamais de libération de tous les corps, de libération de vos corps, sans libération des corps gros.
Alors n’hésitez pas à supprimer ce post de merde que vous venez de partager.
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