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Vladimir Poutine annexe l’appellation champagne

En Russie, une nouvelle loi permettant aux mousseux locaux de prendre le nom de champagne (en cyrillique) irrite les producteurs français.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Russie champagne
Vladimir Poutine et des verres de champagne lors d'une réception au Kremlin le 9 novembre 2016. Photo de Mikhail Svetlov/Getty Images

La Russie, c’est un peu ce pote qui est persuadé de pouvoir tout faire lui-même. Celui qui s’est mis à fabriquer son propre déodorant avec de l’huile de coco, de la maïzena et du bicarbonate, sa propre lessive et son propre e-liquide pour vapoter en toute indépendance parce que, tu piges, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. La Russie pousse même le concept plus loin en promettant de faire sa propre station spatiale, son propre internet, ses propres MacDo et ses propres camemberts. Idem avec le vin pétillant produit sur son sol qu’elle entend défendre bec et ongles.

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Un amendement de la loi sur la réglementation des boissons alcoolisées a été adopté en ce sens par les députés russes le 23 juin dernier. Signé par Vladimir Poutine ce vendredi 2 juillet, il prévoit que seuls les vins effervescents produits en Russie peuvent utiliser le mot Шампанское, « champagne » ou « champanskoïé » en retranscription phonétique, sur leur étiquette. Les autres peuvent garder le mot « champagne » en lettres latines mais doivent ajouter игристое, « vin pétillant » ou « igristoïé », au dos de la bouteille. Celles distribuées sans ce changement d'appellation pourraient être considérées comme de la contrefaçon et mises au pilon.

Cette débaptisation a été vécue comme une humiliation par les producteurs de champagne français soudainement relégués au même rang que ceux de cava ou de prosecco. Elle a fait bondir ce week-end Moët-Hennessy, très gêné à l’idée que le consommateur russe puisse confondre un Veuve Cliquot avec un Freixenet. La branche alcool de LVMH a suspendu ses exportations quelques heures avant de rétropédaler, assurant dans un communiqué avoir eu besoin d’un peu de temps pour « s'adapter d'un point de vue logistique et réglementaire à l’évolution législative russe ». Une cabriole considérée du côté de Moscou comme une tentative de chantage avortée.

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Cité par Le Parisien, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) a lui pris moins de pincettes et s’insurgeait lundi contre « une décision scandaleuse » qui mettrait en péril « notre patrimoine commun et la prunelle de nos yeux ». Le champagne français n’est pourtant pas le plus importés des mousseux sur le territoire russe. Des chiffres du quotidien économique Ведомости (Vedomosti) relayés par Le Monde rappellent que seulement 13 % des 50 millions de litres de pétillants et champagnes achetés de l’étranger viennent de l’Hexagone (Moët-Hennessy représentant 2 % de ce marché).

Pour Le Monde, l’amendement voté par le Parlement n’est qu’une énième passe d’armes dans la guerre commerciale que se livrent l’Union européenne et la Russie. C’est un excellent moyen de mettre en valeur la production locale de vins pétillants, notamment ceux de Crimée – pourtant décrits par Tchekhov comme « médiocres » tout au plus. La région, berceau de la viticulture soviétique, a connu un regain d’activité suite à son annexion par les troupes russes en 2014 – annexion que l’UE a qualifiée de « violation du droit international » et qui a entraîné une batterie de sanctions économiques contre la Russie.

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À ces sanctions, le Kremlin a répondu par un embargo des produits alimentaires en provenance de l’UE - il vient d’être prolongé par Poutine jusqu’au 31 décembre 2021. La liste des marchandises interdites, composée des viandes de bœuf, porc ou de volaille, des produits laitiers, des légumes et des fruits, épargnait assez miraculeusement les vins et les alcools. L’amendement sur le « champanskoïé » serait un prolongement de cet embargo qui, selon les autorités russes, n’a eu que des effets bénéfiques sur le secteur agricole national.

L’industrialisation de la vigne russe a bien commencé sur les bords de la mer Noire. À la fin du XIXe siècle, c’est à Novyï Svet, sympathique station balnéaire de Crimée, que Léon Galitzine, père du vin effervescent, installe son domaine, convaincu que le climat méditerranéen sera favorable à l’épanouissement du raisin. Staline encouragera ensuite la production de masse du « sovetskoïé champanskoïé », ce pétillant né dans la foulée de la révolution d’Octobre. Comme l’explique Jukka Gronow, auteur de Caviar with Champagne : Common Luxury and the Ideals of the Good Life in Stalin’s Russia, à Atlas Obscura, « L’idée était de rendre des mets comme le champagne, le chocolat et le caviar disponibles à un prix dérisoire pour pouvoir dire que l’ouvrier soviétique vivait comme les aristocrates d’hier. »

Après la chute de l’URSS et l’entrée de la Russie dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2012, le « champanskoïé » commence à sérieusement poser problème aux producteurs français qui considèrent son nom comme une attaque en règle de leur appellation d’origine contrôlée. Depuis, rappelle Libération, les deux pays se tirent la bourre pour que les deux champagnes se côtoient dans les étals des supermarchés et ne se marchent pas sur les pieds. Des négociations que la nouvelle loi promulguée vient légèrement bousculer.

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