Music

La soirée qui passait « Africa » de Toto en boucle

Une célébration de la stupidité, et une épreuve de force morale.
toto africa
Un déguisement étrange. Toutes les photos sont de l’auteur. 

Je reconnais vraiment la valeur de la stupidité. Pas la stupidité ordinaire, mais le genre de stupidité décadente qui te convainc que Catan a été créé pour être joué sous acide. La bêtise qui inspire un jeu à boireoù l’on doit se brûler les cheveux ou se jeter des choses sur la tête.

Le goût pour cette marque de fabrique particulière de la stupidité est la seule chose qui peut expliquer ceci. A Madrid, en décembre, une douzaine de personnes ont passé un jeudi soir à écouter la même chanson en boucle. Enfin, la stupidité et le fait que la chanson était « Africa » de Toto.

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Depuis sa sortie, il y a environ 30 ans, les paroles géographiquement impossibles comme : « Aussi sûr que le Kilimandjaro se lève comme l’Olympe au dessus de Serengeti » nous laissent toujours perplexes. Je devais y aller, juste pour voir si toute une soirée passée à écouter la chanson en bouche m’aiderait à la comprendre mieux, ou me pousserait juste à bout.

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Deux amis anonymes, vivant la soirée à fond.

En réalité, personne ne sait exactement combien de fois la chanson est passée cette nuit-là. Pas même Pedro, l’un des organisateurs de l’événement, qui a essayé de compter avec un stylo et un bout de papier. Il est allé jusqu'à 36 avant de perdre le compte. Mais ce n’était pas une question de chiffre. « En 2018, j’ai commencé à entendre la chanson partout où j’allais », me dit Pedro. « Je me suis dit qu’il était temps de faire quelque chose du genre. Et voilà, c’est déjà notre deuxième édition. »

Pendant ce temps, on entendait « Africa ». Il était minuit passé et on commençait à peiner à se frayer un chemin parmi la foule de gens. Une file de gens s’est même formée près de la scène, chacun attendant son tour pour chanter la chanson en mode karaoké. C’était le serpent qui se mordait la queue. A chaque fois que la chanson finissait, on criait « encore, encore, encore ! » Quand on entendait les accords du début, on criait de joie et sautait en l’air. A chaque fois.

Un gars m’a dit qu’il ne pouvait plus dire depuis combien de temps il était là. Ça aurait pu être deux heures ou toute la journée. « L’année dernière, des jours après la soirée, des gens m’ont dit qu’ils l’avaient toujours en tête », dit Pedro. « Un téléphone sonnait dans le bus, et ça ressemblait à Africa. On passait près d’un chantier, et ça ressemblait à Africa. Ça pourrait finir par affecter notre santé mentale - mais si on est heureux, qui est-ce que ça gêne ?

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L'auteur avec deux amis

Mais il faut admettre qu’à la fin, tout le monde n’était pas heureux. On commençait à payer les conséquences de ce record qui n’apparaitrait jamais dans les gros titres et que personne ne se préoccupait de mesurer. « Je n’en peux plus », a gémi un gars grassouillet assis dans un coin. « Ma tête va exploser. Je veux partir maintenant. » Mon amie Celia n’était pas aussi impressionnée. « Dans ma ville on a battu le record Guinness du plus grand gin tonic du monde - organisé par Snoop Dog. Donc ça, c’est rien », a-t-elle lancé.

A 02:54 du matin, on a entendu la chanson Africa pour la dernière fois. Triomphants, avec les quelques survivants, on se déchaînait sur scène. Nos t-shirt et nos voix s’étaient envolés, il faisait froid dehors et nos réveils allaient sonner dans quatre heures. Mais on s’en fichait, on chantait comme la première fois.

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