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Culture

« Westworld » est-il le nouveau « Lost » ?

Une série dite « high concept » où l’exploration d’un monde inconnu et d’une mythologie foisonnante entraîne des discussions interminables entre fans sur toutes les théories imaginables pour résoudre ses puzzles.

Par la grâce du confinement, beaucoup de personnes semblent avoir découvert Westworld avec la diffusion de sa troisième saison sur OCS. La série de Jonathan Nolan et Lisa Joy en a bien besoin, car si le succès de Game of Thrones a été une bénédiction pour HBO, il y a un revers à cette médaille : aucune série ne peut reproduire un tel phénomène de société. Pourtant, quand Westworld débarque en 2016, tout le monde se demande non sans raison si elle n’est pas la digne héritière de la création de David Benioff et D. B. Weiss, dont la fin est alors programmée pour bientôt. Il faut dire que Westworld est d’une ambition GoTesque et bénéficie de moyens considérables : on parle d’un budget de 25 millions de dollars pour l’épisode pilote, de quoi payer un casting et des décors dignes d’un blockbuster. La production de Westworld reprend les codes du cinéma hollywoodien et symbolise le triomphe de la Peak TV.

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Pendant la première saison, tout se déroule presque comme prévu. On se régale devant la réalisation léchée des épisodes, et les fans de GoT ne sont pas trop dépaysés puisqu’on retrouve une dose hebdomadaire de sang et de nudité – le pilote cumule viol et tuerie sur une reprise orchestrée par… Ramin Djawadi. On se passionne pour le labyrinthe créé par les scénaristes et le savant fou incarné par Anthony Hopkins pour faire accéder les robots martyrisés du parc à la sentience, avec quelques twists renversants et surtout un épisode final à couper le souffle. Malgré un manque flagrant d’humour, et une ribambelle de dialogues philosophiques à la limite de l’abscons qui se prennent souvent un peu trop au sérieux, Westworld tient ses promesses. Elle est la troisième série la plus piratée en BitTorent en 2016, et ses audiences ne sont pas loin de la saison 1 de GoT. Mais la comparaison s’arrête là.

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Très rapidement, la série se rapproche plutôt d’un vrai monument de la télévision : Lost, peut-être la série la plus importante des vingt dernières années. Elle aussi produite par J.J. Abrams, Westworld est une série dite « high concept » où l’exploration d’un monde inconnu et d’une mythologie foisonnante entraîne des discussions interminables entre fans sur toutes les théories imaginables pour résoudre ses puzzles et connaître l’identité du « Man in Black ». Les références sont évidentes, mais les séries ont changé. Westworld n’a pas assez d’épisodes pour approfondir ses personnages et faire en sorte qu’on s’y attache, ce qui était la grande force de Lost. Heureusement, deux ans plus tard, la série va prendre un tournant aussi radical que réjouissant.

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Je me souviens parfaitement du moment où Westworld a pris une direction inacceptable pour la plupart des gens. C’était en milieu de saison 2, ma copine a lâché l’affaire après s’être évanouie devant une énième scène dégueulasse dans le parc Shogun World, et son père a laissé tomber car on ne comprenait plus rien à la série et à la chronologie des événements. Et ils ne sont pas les seuls : l’audience de Westworld a commencé à sérieusement s’effriter au moment où je trouvais que la série devenait passionnante. Elle semblait se saboter et tout faire pour faire fuir le public, et ça a marché. Tout le monde n’a pas envie de revoir chaque épisode et de passer des heures à lire des posts Reddit pour tenter de piger ce qu’il vient de voir et où sont Dolores, Maeve, Charlotte, Bernard et les autres.

« Westworld semble mériter les parallèles avec Lost. Les points communs entre les deux shows sont alors innombrables »

Mais en demandant un investissement total de la part du spectateur avant, pendant et après la diffusion de chaque épisode, Westworld lui offre une gratification incomparable en retour : le sentiment d’appartenance à une petite communauté de fans, la seule capable de résoudre les mystères et de remettre la chronologie dans l’ordre. Impossible d’espérer y comprendre quelque chose avec le nez sur son téléphone, encore moins en zappant certains passages ou en mettant l’épisode en miniature pour faire autre chose en même temps sur son ordi.

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Westworld

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Malgré ses nombreuses imperfections, cette deuxième saison expérimentale considérée comme un plantage est aujourd’hui déjà en voie de devenir culte auprès des fans de séries à énigmes. La raison ? Des épisodes mémorables qui prennent enfin le temps de créer de l’empathie pour les personnages. Enfin, Westworld semble mériter les parallèles avec Lost. Les points communs entre les deux shows sont alors innombrables : par exemple, la scène d'ouverture d’un épisode reproduit quasiment la mythique scène d'introduction de Desmond (avec le vinyle et le vélo d'appartement), et la saison alterne en permanence entre plusieurs timelines en érigeant le mindfuck au rang d’art. On retrouve aussi comme antagoniste un homme en noir qui ne veut plus détruire l’île de Lost mais le parc de Westworld (qui est aussi une île d’ailleurs). Dans les deux cas, un mystérieux « incident » a foutu le bordel sur les lieux contrôlés par deux grandes sociétés occultes qui ont aussi quelques points communs : Dharma pour Lost, et Delos pour Westworld, avec à chaque fois des groupes dissidents qui se battent pour en prendre le contrôle. Les bunkers futuristes du parc rappellent aussi étrangement les stations cachées de l’île, et la série de HBO va même jusqu'à évoquer une sorte de bouton on/off, comme celui sur lequel Desmond appuyait toutes les 108 minutes pour sauver le monde.

On peut aussi ajouter des obsessions communes pour les complots, le noir et blanc comme allégorie du bien et du mal, les références bibliques, les plans qui commencent par des yeux qui s'ouvrent, les animaux sauvages qui n’ont rien à faire là (ours polaires vs tigres), les hommes de l'ombre aux pouvoirs quasiment divins qui tirent les ficelles (Jacob vs Ford) ou le fait que Dolores Abernathy et Jack Shephard lisent exactement le même passage d’Alice au Pays des Merveilles. Tout ça vous rappelle quelque chose ? Eh oui, avec le parc de Westworld, beaucoup de fans de l'île de Lost ont trouvé un nouveau foyer. Et on a du mal à croire Lisa Joy quand elle dit ne pas avoir vu la saison 2 de Lost.

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Mais aujourd’hui, alors que Westworld approche du terme de sa troisième saison réduite à huit épisodes, la série semble menacée de disparition. Visiblement touchés par les critiques vis-à-vis de la saison 2, les scénaristes ont opéré un virage à 180° en adoptant une narration linéaire aux enjeux beaucoup plus facilement compréhensibles, dans un futur qui rappelle Blade Runner. Ça n’a pas empêché son audience d’être quasiment divisée par trois. À l’heure où l’on binge-watch des séries aussi médiocres que La casa de papel sur nos téléphones pour fuir une époque éminemment angoissante, le futur déprimant, réaliste et imbitable de Westworld n’a pas vraiment la cote. Alors que les shows très cheap de CW cartonnent auprès des ados, faut-il encore s’emmerder en passant deux ans à réaliser les dix épisodes coûteux et chiadés d’une saison de Westworld ?

Dix ans après la fin brillante et controversée de Lost, les séries high concept n’ont paradoxalement jamais été si nombreuses et si en marge. L’été dernier, Netflix a annulé l’une de ses rares créations exigeantes, la très mystérieuse The OA. Et les protestations de quelques milliers de fans zélés n’y ont rien changé. À l’inverse, la meilleure série des années 2010 ( The Leftovers) n’a eu droit à une saison de conclusion que grâce à l’enthousiasme de ses fans, et on se demande encore comment David Lynch a fait pour réaliser dix-huit nouveaux épisodes de Twin Peaks, un chef-d’œuvre dont l’audience a été divisée par près de 80 entre ses débuts en 1990 et sa conclusion en 2017. Toutes ces créations ont en commun des publics restreints mais fidèles et passionnés jusqu’au bout, et c’est le destin qui semblait pour l’instant réservé à Westworld - jusqu'à l'annonce du renouvellement de la série pour une quatrième saison. Mais elles possèdent quelque chose d’encore plus précieux : une place au panthéon des séries cultes dont l’influence et les vertus sont encore louées des années après leur diffusion. Toutes ne peuvent pas en dire autant.

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