Midsummer Finlande
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Culture

Comment je me suis retrouvé à fêter Midsummer sur une île de Finlande

Un vol annulé et une fin d'été là où le soleil ne se couche que quelques heures.
PL
Brussels, BE

Il y a déjà près de deux mois que la compagnie aérienne low-cost Ryanair connaît un important mouvement de grèves en France, en Belgique et en Espagne, animé par les revendications d’augmentations salariales et d’améliorations des conditions de travail du personnel. En découlent de nombreuses annulations de vol en dernière minute, entre deux menaces du PDG de la compagnie irlandaise (dont le salaire a augmenté de 290% en 2022).

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Quelle ne fut ma surprise, comme des milliers d’autres voyageurs, de recevoir à la mi-juin un laconique SMS de Ryanair : « en raison d’inutiles mouvements de grève, votre vol Helsinki-Bruxelles est annulé ». Après le naturel élan socialiste de soutien aux grévistes, une légère inquiétude m’a traversé alors que je me trouvais avec mon amie Victoire sur un ferry au milieu de l’archipel de Turku, dans le Sud-Ouest de la Finlande, en direction de la petite île d’Åvensor, à deux heures du port le plus proche, où m’attendaient quelques amis.

Malgré la beauté découpée des îles boisées, des roches caressées par de timides vagues et de quelques rares maisons de planches rouges, la remise en question de la logistique du retour et l’incertitude, aussi délicieuse soit-elle, ne m’arrangeaient guère.

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Il faut dire que le voyage n’avait pas débuté sous les meilleurs auspices. Une erreur d’embarcadère nous avait contraint à observer le ferry lever l’ancre depuis le quai plutôt que le pont. Il a fallu que mes potes, déjà présents sur l’île, signalent par téléphone notre absence au capitaine pour que le bateau fasse demi-tour et vienne nous récupérer. Morts de honte devant le gaspillage de carburant et le désagrément provoqué, on s’étaient confondus en excuses avant d’entamer notre important stock de bières avec à un couple de personnes âgées totalement hilares.

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Alors que le ferry se rapprochait de notre destination, je constatais avec embarras que les vols de remplacements étaient déjà complets et que passer par une autre compagnie me coûterait les yeux de la tête. Comme souvent dans ce genre d’impasse, je décidai de remettre le problème à plus tard et de voir la vie du bon côté : n’ayant nulle part où aller, la meilleure solution était de rester sur cette île, au milieu des célébrations de Midsummer, jusqu’à ce que la situation se décante d’elle-même ou que je me décide à exploser mon budget.

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Comme me l’ont expliqué les jeunes Finnois qu’on a retrouvé sur Åvensor, la fête de Midsummer (ou Juhannus) est l’un des événements les plus attendus de l’année. Elle se tient autour du solstice d’été (21 juin) et provient initialement d’une tradition païenne en l’honneur d’Ukko, le Dieu du tonnerre. Pour le célébrer, la coutume est d’allumer de grands feux de joie pour s’attirer bonne fortune, riches cultures et éloigner les mauvais esprits. D’autres traditions concernent la fertilité et les noces, Midsummer étant une période particulièrement populaire pour les mariages.

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De nos jours, le solstice est surtout l’occasion de passer quelques jours à la campagne, dans les summer cottages familiaux - de plus ou moins grandes cabanes au milieu des forêts, au bord des mers ou des lacs. Pour la bande de Finnois qui nous ont offert l’hospitalité, c’est un moment de retrouvailles en famille et entre amis. Certains fêtent ensemble Midsummer depuis leurs plus anciens souvenirs d’école.

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Au programme, randonnées dans la nature, plongeons nus dans d’anciennes carrières de calcaire aujourd’hui remplies d’eau douce, hot dogs, poissons grillés au barbecue et sauna quotidien que l’on quitte nu et ruisselant de sueur avant de plonger dans la mer - récoltant sur le trajet quelques piqûres de moustiques.

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Mon Midsummer aura aussi consisté en de longues heures passées au bord de la mer, canne à pêche en main. Jokke, le propriétaire des lieux, Oskari et Jussi m’ont prodigué matériel et nombreux conseils tandis que Mia, jeune végane, m’a expliqué comment vider le poisson et en faire de beaux filets. Devenue une obsession, la pêche rythmait mes journées autant que les shots réguliers de Jaloviina (sorte de cognac coupé à l’eau-de-vie) qu’on partageait les pieds dans l’herbe.

On a fait la rencontre des voisins, installés ici depuis des décennies. Contrairement à la majorité des visiteurs qui ne rejoignent l’île qu’en quelques occasions, ils y habitent tout au long de l’année, comme une dizaine d’autres familles. Pour les rejoindre, deux possibilités : marcher dans la forêt et les herbes hautes en suivant les traces d’un tracteur ou prendre la barque et longer la côte.

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Ce sont eux qui suivent les traditions, comme ce grand mât couvert de fleurs jaunes et violettes, articulé sur trois tréteaux, qui est érigé le jour de Midsummer et reste en place jusqu’à l’année suivante. À son sommet, un petit bateau de bois construit à l’école par le fils des habitants trône fièrement. Alors que le doyen entonne des chansons folklo avec son accordéon, tous et toutes épaulent le mât et le dressent au milieu des rires et des cris, avant de danser autour dans la lumière du soir.

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Les voisins décrivent leur mode de vie insulaire et on comprend vite les contraintes qui l’accompagnent. Si les journées de juin sont chaudes et quasi infinies (au Nord, le soleil ne se couche que pour deux ou trois heures), l’hiver vient avec d’épaisses couches de neige et de longues nuits, nappant l’île d’obscurité de novembre à avril. Derrière la maison, d’immenses stocks de bois témoignent de l’isolement et de la rigueur qu’ils traversent pendant les mois d’hiver.

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Même si pour la plupart des jeunes que nous avons rencontrés sur l’île, un tel mode de vie reste relativement rare et exotique, j’ai constaté chez eux un rapport à la nature conscient et respectueux. L’édition 2022 du Midsummer a aussi été marquée par la sécheresse et s’est fait sans feu de joie, pour éviter tout risque d’incendie. Les locaux sont capables de nommer arbres, oiseaux et poissons qui les entourent, d’expliquer quelques-unes de leurs singularités, voire de reconnaître et imiter le cri de certains animaux.

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En Finlande, le rapport à la nature est marqué par un ensemble de droits et devoirs qui constitue un pan entier de la législation nationale : ce sont les « Everyman’s rights » (parfois élégamment traduits en « droit de vagabonder »), établissant la liberté de circuler dans la nature et de jouir de ses fruits, sans regard des propriétés privées, tout en respectant les nombreuses responsabilités individuelles qui en découlent. Ce rapport harmonieux entre la nature, ses habitants et ses visiteurs, est enseigné aux enfants dès leur plus jeune âge et constitue une véritable fierté nationale autant qu’un certain avant-gardisme écologique ancré dans la culture.

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Fatigués par la danse, alors que l’on prend le chemin du sauna, Jussi met tout le monde en garde : « Ça y est, à partir de maintenant les journées raccourcissent, l’hiver arrive ». Il ne tarde pas à se faire traiter de tous les noms. Une autre tradition de Midsummer.

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