Tech

Plaidoyer pour l’animal le plus faible et inutile du monde

Parlons un peu de l’un des produits les plus étranges de l’évolution, la môle, ou mola mola. On ne va pas se mentir : cette énorme chose qui ressemble à une sorte de grosse main avec des yeux fait de son mieux avec ce que la nature a bien voulu lui donner.

Un post Facebook devenu viral et signé Scout Burns a lancé un débat hyper nerd sur le réseau. Son texte, jugé trop méchant pour certains groupes mais reposté sur sa propre page, est une ode à la môle (ou poisson-lune), qu’elle juge être la créature la plus ridicule qui soit. Pour elle, la môle est une sorte d’assiette cosmique que “Dieu doit avoir laissée tomber par mégarde en faisant la vaisselle un jour.”

Videos by VICE

Motherboard a contacté Scout Burns, et mettra cet article à jour si elle nous répond.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que quelqu’un puisse trouver la môle terriblement absurde. Même ses nombreux surnoms –  schwimmender kopf (“tête qui nage”) en allemand,  putol (“raccourcie”) aux Philippines, et “voiture renversée” à Taïwan – témoignent de sa réputation de poisson débile. À noter que le dernier surnom est particulièrement approprié, puisque la mola mola adulte fait à peu près la taille d’une voiture compressée.

Sérieusement, ces trucs sont monstrueux. La môle détient le record du poisson osseux le plus lourd et le plus fécond. Le plus énorme de ces gros bébés mesuré à ce jour pesait 2,5 tonnes. Le poids moyen est plutôt de l’ordre d’une tonne, répartis sur 2 à 3 mètres de chair aplatie, évoluant sous l’eau comme une Prius écrasée. Une mola mola née à l’aquarium de Monterey a dû être évacuée par hélicoptère et relâchée dans l’océan après avoir pris 400 kilos en 14 mois et être devenue rapidement trop grosse pour son bassin.

Étrange coïncidence : la môle ressemble beaucoup au plus inutile des Pokémon, Magicarpe. Sa tête, avec ses dents qui ressemblent à un bec et ses grosses lèvres, donne l’impression qu’elle est en permanence en train de se souvenir qu’elle a laissé le four allumé en partant de chez elle : à la fois inquiète et troublée.

Vous vous dites sans doute que c’est tout simplement parce que la mola mola est un peu le gosse débile léger du fond de la classe de l’océan. Mais si vous parvenez à faire un instant abstraction de leur air abruti, vous verrez apparaître une vérité réconfortante : les môles, à qui l’évolution n’a fait aucun cadeau, le vivent plutôt bien. D’ailleurs, elles vivent, et c’est déjà pas mal.

En voyant le texte de Burns, qui a été partagé pas moins de 75.000 fois rien que sur Facebook, l’apprentie vétérinaire et biologiste marine (et “grande fan des poissons“) Zenia Sherman s’est fendue d’un plaidoyer en faveur de la mola mola :

twitter
         

Capture d’écran : Twitter

Sherman m’a raconté qu’un ami lui avait montré le texte viral, et lui avait suggéré d’écrire son propre mini-article de recherche en réponse, avec une bibliographie et tout le sérieux nécessaire.

Alors, la môle est-elle aussi nulle que le disent ses détracteurs ? Pour tenter de trancher ce débat épineux, examinons donc ce qu’il y a de plus remarquable dans l’existence étonnante de la môle.

Les môles sont là depuis longtemps. De très anciens documents montrent que l’espèce avait déjà été observée du temps de la Grèce et de la Rome antiques, soit dès 1200 av. J.-C., mais elle est apparue plus récemment que la plupart des autres poissons – environ 50 millions d’années après la majorité des poissons modernes. Au cours de son évolution, sa nageoire dorsale et sa nageoire anale ont fusionné, ce qui lui donne cette apparence assez grotesque.

Contrairement à ses cousins les poissons-globes, la mola mola ne possède pas de vessie natatoire. On pourrait penser que c’est encore une preuve que la môle est une vaste blague vivante, mais les requins et les thons ne possèdent pas non plus de vessie natatoire. Aucun d’entre eux n’en a besoin. Si elle avait une vessie natatoire, la môle ne pourrait pas tranquillement nager juste sous la surface de l’océan avant de plonger jusqu’à 50 mètres de profondeur, ce qu’elle fait souvent.

Même si elle a franchement l’air morte quand elle flotte à la surface, la môle qui prend le soleil n’est pas là par hasard ou par flemme de continuer à vivre. Le corps plat et la lenteur de la môle en font un hôte de choix pour les parasites, et elle s’aventure donc parfois à la surface pour que les oiseaux la nettoient de ses squatteurs indésirables. Les scientifiques pensent même qu’elle fait ça pour mieux digérer – essentiellement des méduses – comme le font souvent les requins. Il faut dire qu’avec un corps pareil, ça doit être sympa de se poser au soleil après un bon repas.

À part ça, la mola mola a d’autres soucis à gérer dans l’océan : les enfoirés qui le peuplent. On a par exemple déjà vu des otaries, qui sont d’authentiques connasses marines, arracher les nageoires des môles et s’amuser avec, juste pour faire chier.

À l’aquarium de Monterey – le seul qui héberge des môles avant de les relâcher dans l’océan – ces grosses débiles adorables sont tellement pépouzes que les poissons plus rapides, comme les thons, leur volent fréquemment toute leur nourriture en se précipitant dessus avant qu’elles aient eu le temps de réagir. À tel point que le staff de l’aquarium a dû développer tout un système à base de couleurs spécifiquement pour les môles, qu’ils placent à la surface pour signaler que “c’est l’heure de manger, et vous feriez bien de bouger vos gros culs difformes et mous si vous voulez manger.”

Il arrive parfois que les môles s’étouffent en avalant des sacs en plastique qu’elles prennent pour des méduses. C’est hyper triste, mais c’est 100% de notre faute, et 0% de la faute des môles. On est encore pires que les otaries et les thons.

Pour survivre malgré tous ses handicaps, la môle pond un paquet d’oeufs – 300 millions d’un coup. Hey, les môles ont survécu jusqu’ici, alors elles n’ont pas l’intention de laisser quiconque les empêcher de proliférer dans les océans.

Elles comptent pas mal de fans parmi les humains. La biologiste Tierney Thys les adore, par exemple. Quand elle a lancé un fan club sur OceanSunfish.org, des gens d’un peu partout ont écrit pour lui faire part de leur amour de la mola mola. “Ok, c’est un gros poisson bizarre, mais s’il peut aider à rapprocher les gens, alors c’est le poisson du futur“, disait-elle lors d’une conférence TED talk en 2003. Certains passionnés recensent même toutes les fois où quelqu’un aperçoit une môle, pour notre plus grand plaisir. La dernière fois qu’on en a vu une, c’était en avril, et elle s’était échouée sur une plage. Putain.

La seule créature de l’océan qui mérite notre mépris est le mec qui a tenté de chevaucher une môle et qui a juste réussi à couvrir son pubis de parasites. Pitié, ne prenez jamais un animal marin pour une sorte de poney subaquatique, même si ça a l’air d’être la créature la plus adorable du monde.

Fin.