C’est un 15 août et devinez-quoi, il pleut. Les membres de Monarch se sont réfugiés au salon de tatouage de leur bassiste, Michell, en plein coeur de Bordeaux. Le lendemain, ils doivent prendre la route pour Paris, où ils ouvriront pour Cough et donneront à leur public un aperçu de Never Forever, le très attendu huitième (!!) album d’un groupe qui s’est donné un jour pour mission de de jouer le plus fort et le plus lentement possible – et qui y est parvenu.
« Jamais écouté Cough », confie négligemment Shiran, guitariste du groupe, avant de s’installer pour notre interview. Blasé ? Pas vraiment, mais pourquoi se chercher une metal-crédibilité quand on déjà survécu au pire ? Sorcellerie, incendie de van, carte son qui s’efface toute seule, album fantôme, tournées catastrophiques au Royaume-Uni, éviction de 23 membres : sur le papier, la carrière de Monarch est un glorieux naufrage, avec son cortège, d’inquiétudes, de panique et d’adrénaline, jusqu’à la suprême extase de la mort. Sauf qu’il est toujours à flots. Et puisque tout ce qui ne tue pas rend plus fort, Monarch est par conséquent devenu une sorte de Super Saiyan du doom. D’ailleurs si cette interview est trop lente pour vous, c’est sans doute que vous êtes trop vieux.
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Noisey : Vous sortez Never Forever fin septembre chez Profund Lore et c’est déjà votre huitième album…
Michell : C’est sans compter l’album fantôme, qui n’est jamais sorti. « L’album zéro ». C’est notre premier enregistrement, en 2002. Mais on ne l’a pas sorti parce qu’on estimait qu’il n’était pas assez lent.
Emilie : C’est dommage parce qu’il est très bien, mais on voulait quelque chose de plus écrasant…
Shiran : En fait, je ne sais même pas qui a les bandes de ce disque… En même temps, je ne sais pas si ça ressemble beaucoup à ce qu’on fait aujourd’hui…
Emilie : Il y’avait de bonnes choses : on entend par exemple des cloches au loin, qui sont en fait celle des vaches sur les champs alentour !
Shiran : On l’avait enregistré à Bidache, chez les parents de Michell, dans la pampa du pays basque. A l’époque on était au lycée. On a fait pas mal de prises de voix d’Emilie dans la nature et, pendant la nuit, les vaches se sont rapprochées de nous parce qu’elles entendaient du bruit… Et pendant qu’Emilie crie, on peut entendre au fond du mix les cloches des vaches qui s’approchent. Le lendemain matin, Michell est allé au village pour chercher des clopes et il a entendu les gens parler de ces bruits étranges qu’ils ont entendu dans la nuit…
Emilie : Les vieux du village parlaient de sacrifice et de sorcières… La maison était proche d’une forêt, laquelle avait la réputation d’avoir été un lieu magique où des sorcières ont pratiqué des messes noires dans l’ancien temps. Le pays basque cultive beaucoup d’amour pour sa mythologie autour des sorcières, alors ça les a forcément excités.
Parlons de votre nouvel album. J’ai trouvé Never Forever très beau, plus mélancolique que le reste de votre discographie – qui n’est déjà pas marquée par sa grande gaieté…
Emilie : Il s’inscrit dans une suite logique après Sabbra Cadaver mais on nous le dit souvent ! Il y avait déjà cela en germe et on a creusé certaines mélodies. Pour moi Never Forever sonne comme l’expression musicale de la fin de l’été.
Michell : À l’écriture, je me souviens de m’être dit qu’il y avait plus d’influences heavy metal qu’avant. On n’a pas cherché à faire un disque mélancolique, mais quand les mélodies nous plaisent, qu’elles sonnent un peu Maiden, on harmonise, on harmonise encore et tous ces ajouts donnent de la lourdeur au disque. On ne l’a pas cherché mais il a fini par sonner comme ça.
En tout cas ça devrait clouer le bec à ceux qui disent que Monarch, « ça sonne toujours pareil », non ?
Emilie : Ils n’ont pas vraiment tort… Mais les subtilités sont là !
Michell : La progression de notre groupe s’est faite au compte-gouttes, album après album. On n’a jamais changé drastiquement de style et ça n’arrivera jamais.
Stéphane : Aussi, Monarch s’est formé au début des années 2000… L’explosion plus généralisée de musiques heavy, que ce soit le drone, le doom, c’est venu après. Aujourd’hui les gens sont capables de capter les nuances.
Shiran : Je suis curieux de savoir comment les gens percevraient Die Tonight s’il sortait aujourd’hui, tiens…
Michell : On cherchait un extrême. On l’a fait et il a bien fallu chercher à varier, à poursuivre ce qu’on a fait, c’est-à-dire essayer de faire davantage que de jouer hyper fort et hyper lent.
Emilie : C’est peut-être simplement qu’on entend davantage les mélodies aujourd’hui, notamment parce qu’elles sont exécutées plus rapidement. Mais il y en a toujours eu, en fait ! C’est juste qu’elles étaient tellement étirées, délayées…
Michell : Pendant des années on a joué des mélodies qu’on trouvait hyper classes mais personne ne les entendait. [ Rires]
Emilie, je trouve ton chant encore plus possédé qu’avant sur Never Forever.
Emilie : L’enregistrement du chant a été plutôt long et plutôt difficile. Ma méthode repose sur beaucoup d’improvisation, donc des fois c’est bien – et des fois c’est à chier. Pour les précédents enregistrements, parfois je bouclais le chant en 4 heures… Là, ça nous a pris plus d’une semaine.
Tu récites ce qui ressemble à une messe noire au début de « Of Night, With Knives ».
Emilie : Oui c’est ça, c’est une messe noire. On a enregistré ça à quatre nanas chez Michell, dont sa fille qui avait deux mois – d’ailleurs on l’entend chouiner un peu pendant le morceau. Au départ ça devait être l’intro et finalement ça se marie au morceau. Rythmiquement, ça colle à la perfection, même si on l’a pas fait exprès. C’est presque un peu bizarre. D’ailleurs, cette messe noire a grillé la carte son de la personne qui l’a enregistrée, peu après.
Monarch existe depuis 15 ans maintenant, comment voyez-vous votre parcours avec le temps ?
Shiran : On a beau jouer lentement, j’ai pas vu le temps passer…
Emilie : Le groupe a changé, évolué naturellement. C’est un peu con à dire, mais c’est un peu comme la vie. On a commencé ados, à 18 ans en gros, et on s’est jamais arrêtés, on n’a d’ailleurs pas perdu l’état d’esprit.
Michell : En revanche, on a perdu 23 membres…
Sans rire ?
Shiran : Oui, on a fait les comptes l’autre jour.
Emilie : En tout, 23 personnes sont passées par Monarch et ont quitté le groupe ensuite. Surtout des batteurs.
Michell : C’est chiant les batteurs. Je me souviens d’une conversation, il y a 13 ans, entre Shiran et moi : « si l’un de nous deux se met à la batterie maintenant, on aura toujours un batteur ». On ne l’a jamais fait.
Shiran : Oui et celui qui serait devenu batteur serait devenu chiant et on aurait été obligés d’arrêter le groupe.
Actuellement vous êtes le seul groupe français sur le label Profund Lore Records. Ça change quoi pour vous ?
Shiran : Ça va changer l’exposition du groupe auprès du public américain et canadien. Après c’est le genre de label sur lequel tu as carte blanche, même si le boss, Chris Bruni, se réserve le droit de nous dire si un jour ce qu’on produit ne l’intéresse plus. Il y a une vraie fierté à être sur ce label, le projet est super bien : regarde Pallbearer, récemment ! Sur le papier, tu ne te dis pas que c’est le genre de groupe qui va exploser. Et pourtant si. Chris a bien fait son boulot, quoi.
Comment a-t-il connu Monarch ?
Michell : En fait, au départ, c’est Relapse Records qui nous a contactés. Et parallèlement, on avait envoyé une démo de Sabbra Cadaver à Profund Lore. Relapse voulaient clairement sortir l’album. Notre ancien batteur, Rob Shaffer qui joue dans Dark Castle, bossait dans la pizzeria tenue par le fondateur de Relapse, à Portland – c’est une info : Relapse Records possède une pizzeria. Et ça nous plaisait de pouvoir être chez Relapse, dans l’idée… Mais on aurait vraiment été la dernière roue du carrosse chez eux. En plus les réponses trainaient parce que c’est un label plus gros, avec différents cercles décisionnaires…
Shiran : Chris manifestait beaucoup d’intérêt lui aussi, et ça nous semblait être un bien meilleur choix d’être sur Profund Lore que sur Relapse. Et puis les groupes chez Relapse voient leur groupe comme un projet professionnel. Nous, pas du tout. C’est des groupes qui veulent sortir des tas de clips et qui ont un plan de communication carré… On préfère la liberté.
Michell tu disais plus tôt dans cette interview qu’à l’époque vous cherchiez un extrême. Qu’est-ce que vous cherchez maintenant ?
Michell : Peut-être simplement… une autre forme d’extrême. Quand on a commencé le groupe on cherchait simplement à jouer le plus fort possible. On était aussi isolés géographiquement et on jouait en réaction à ce qui nous entourait. On n’avait pas Internet – ou quasiment pas.
Emilie : On commandait nos disques chez le disquaire, il fallait faire des pieds et des mains pour trouver des trucs cool à écouter…
Shiran : Et puis les gens nous regardaient vraiment comme des ovnis lors de nos premiers concerts, surtout à Bayonne. La scène qui existait au Pays Basque alors, c’était le neo-metal, etc. Alors les gens hallucinaient de ce qu’on jouait. Du coup ça nous a aussi poussé à vouloir être plus radicaux dans notre approche sonore. On était aussi fascinés par des groupes extrêmes comme Corrupted, les Melvins, Khanate… Ça nous tirait vers un extrême.
Emilie : Tu sais, quand t’as 20 ans t’as besoin de prouver à toi-même ainsi qu’au monde entier que non, tu vois. « Non, je ne serai pas comme eux et je vais leur montrer, à ces cons ! » Résultat : on avait deux fans.
Et Gojira, ils viennent bien de Bayonne aussi, non ? Ils venaient jamais vous voir ?
Emilie : Non. Mais ils étaient au lycée avec nous et ils prenaient même le bus avec Shiran.
Shiran : C’est vrai, on était potes, on s’échangeait des CDs et j’ai vendu un t-shirt Napalm Death à Mario Duplantier.
Vous avez souvent des ennuis à cause des limiteurs sonores ?
En choeur : Oh ouiiiii…
Shiran : Lors d’un concert à Toulouse, le son était si fort que le gérant de la salle a failli nous débrancher. Il a halluciné du volume et s’est jeté sur l’ampli de Michell pour arracher la prise électrique…
Michell : … des gens ont fait une barrière humaine afin qu’on finisse le morceau – bon, il restait 20 minutes [ Rires].
Parlons un peu de vos tournées. Pour commencer, qu’est-ce qu’on écoute dans le tour bus de Monarch ?
Shiran : Painkiller de Judas Priest passe très souvent.
Emilie : Harvest de Neil Young, aussi. Ce disque est super !
Michell : Il était super. Beaucoup moins au bout de la soixantième fois.
Stéphane : Vous passez souvent l’album bleu de Weezer…
Michell : NOFX, Rancid, Midnight, Discharge… Beaucoup de Lynyrd Skynyrd aussi.
Emilie : Primordial, Cassiopea, un groupe japonais de jazz fusion…
Michell : Pour notre tournée au Japon avec Birushanah c’était super : ils ont mis la BO d’ Akira directos dans le van. C’était top ! En deux secondes ça nous a détendus…
Justement, le Japon c’est super loin, comment un groupe comme le vôtre se retrouve à tourner dans un pays aussi lointain ?
Michell : Ou plutôt : on ne part pas en vacances. Quand on part en vacances, c’est en tournée au Japon. Et on fait des concerts.
Stéphane : En tout cas on est accueillis là-bas par le groupe Birushanah avec qui on tourne et qui nous traite hyper bien. Ils ont un grand sens de l’accueil.
Emilie : Ils s’occupent du van, de l’essence, on dépense presque aucun rond de notre poche arrivés là-bas. A part les extras au bar. Ils nous font visiter des sanctuaires, nous racontent le shinto, et tout…
Shiran : En gros on paye juste les billets. Mais le plus important c’est qu’au Japon, les groupes sont les meilleurs ! Le premier que j’ai vu, et probablement l’un des plus impressionnants, c’était un groupe de ska punk. On était sur le cul.
Emilie : On avait même la trouille.
Stéphane : Et les salles sont dépaysantes : la sono prend la moitié de la scène, le volume est cent fois plus fort qu’en France, hyper bien insonorisé, les ingés sons sont super bons et ils te filent tout : le temps que tu te tournes pour aller chercher ta guitare, ton stack est déjà installé, tes pédales posées dans le bon coin, la batterie est toujours accordée…
Michell : Les balances duraient 8 minutes, et on n’a jamais aussi bien sonné.
Emilie : C’est très différent de la Russie, où tu fais des balances de 5 heures, où tu manges des raviolis aux patates et où après le concert tu te réveilles au milieu de quinze strip-teaseuses.
Michell : C’est vraiment arrivé. Emilie a même latté un Finlandais qui a peloté une strip-teaseuse ce soir-là.
Emilie : C’était une soirée Saint-Patrick à thème BDSM – mais deux semaines après la Saint-Patrick – dans un club tenu par des mafieux, tout ça après un concert de Monarch. Un programme plutôt surprenant.
Pas mal, les tournées avec Monarch…
Emilie : On a pire si tu veux : la toute première fois qu’on est allés à Leeds, notre van a tout simplement pris feu sur l’autoroute.
Stéphane : On a sauvé la majorité du matos avant que les flammes touchent le coffre.
Michell : Mais des pédales, des disques et des cordes ont fondu, enfin on ne pouvait pas jouer en l’état et le van était mort. On a finalement loué un autre van auprès de la même boîte pour arriver à bon port. Arrivés à Leeds, hyper à la bourre, aucun groupe n’a voulu nous prêter de matériel… En plus, la course nous a coûté 400 livres.
Stéphane : Pendant tout le reste de la tournée, tout ce qu’on touchait sentait le brûlé : nos vêtements, nos sacs, le merch…
Emilie : La fois suivante où on s’est rendus à Leeds, on a cumulé retard à l’aéroport, bagages trop grands et supplément à l’embarquement, matos perdu vingt quatre heures avant le concert… Après ça, on a confondu le batteur de Cannibal Corpse avec l’organisateur du festival – ce qui explique qu’il n’avait pas beaucoup de solutions pour nous venir en aide. On a tout le temps des emmerdes…
Au fond, est-ce que ce n’est pas un peu grâce à ces péripéties que Monarch tient debout depuis tellement d’années ?
En choeur : Ben si…
Stéphane : Normalement j’aurais dû trouver ça too much et arrêter le groupe : je ne compte plus les fois où les gens pleurent, où les gens s’énervent, où on doit se rassurer, où il faut être ingénieux… C’est tout le temps comme ça.
Shiran : Je te raconte pas l’intensité de jeu, sur scène, quand t’as réussi à surfer sur les difficultés et à t’en sortir.
Merci Monarch ! C’était cool. Un truc à ajouter ?
Michell : Oui, j’ai une blague. Toc-toc-toc !
Qui est là ?
Michell : Le solo de batterie de Def Leppard.