Il y a exactement deux ans, on rencontrait Valnoir, alors fraîchement revenu de Pyongyang. Le boss de Metastazis nous avait raconté comment il en était venu à participer à l’un des tours de force diplomatiques et musicaux les plus étonnants depuis le concert de David Hasselhoff sur le mur de Berlin : faire jouer Laibach en Corée du Nord, à l’occasion de la commémoration de la victoire de la péninsule sur le Japon.
Le bien-nommé Liberation Day – présenté cette année en avant-première française à l’Étrange Festival – relate donc en images cette épopée pétée que les spécialistes de l’euphémisme mou qualifieront de résolument audacieuse. Car si Laibach a peut-être perdu de son aura scandaleuse en Europe (désolé Manu, la banalisation de la peste brune ne sera donc finalement pas passée par nos slovènes déconneurs), propulser dans une véritable dictature un groupe spécialisé dans le détournement de l’imagerie totalitaire équivaut clairement à conduire un camion rempli de nitro dans la jungle.
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Bon ok, le co-réalisateur et instigateur en chef de cette petite sauterie ne débarque pas complètement en terre inconnue. Ces dernières années, l’artiste norvégien Morten Traavik a voyagé une quinzaine de fois dans le royaume du Juche jusqu’à rentrer dans les bonnes grâces – même si j’imagine que cela reste une notion toute relative là-bas – du Comité des Relations Culturelles Internationales de la République Populaire Démocratique de Corée. D’ailleurs le personnage central du film, c’est bien lui, alternant les casquettes de metteur en scène, documentariste, guide touristique et fusible entre le groupe et les censeurs, tous deux fermement campés dans leurs bottes et leur intransigeance respective. Aucun souci avec ça, après tout, le groupe reste étonnamment en retrait pendant toute la durée du documentaire, exception faite de Ivan ‘Jani’ Novak, encaissant plus ou moins bien les déconvenues successives liées à la censure locale.
Si Traavik tente de nous expliquer pourquoi un groupe aussi ambigu que Laibach semble être le plus qualifié pour faire bouger les lignes et rétablir un dialogue rompu entre deux cultures que tout oppose, toute la force du docu repose justement sur les antagonismes, l’incompréhension et la pression réelle qui ne redescend jamais tout à fait, le tout sur fond de crise des hauts parleurs. Si un étudiant américain peut ramasser quinze ans de travaux forcés pour avoir volé une affiche de propagande, imaginez le sort qu’on peut réserver à un groupe de slovènes qui dévieraient un peu trop du programme culturel officiel ? La vaporisation au tir de mortier ? Un lâcher de chiens nourris exclusivement au yaourt ? Plus sérieusement et sans trop vous en raconter ça donne des passages hyper tendus (les embrouilles avec les censeurs où Traavik leur annonce sans sourciller qu’ils leur ont manqué de respect, Jani Novak qui disparaît dans la nature sans prévenir personne, mettant en péril toute l’opération) mais aussi des moments absurdes dignes d’un mockumentary (le responsable du Comité qui essaie de faire enlever la coiffe de Milan Fras pendant la session photo de peur que cela fasse trop nazi, le tout sans jamais oser prononcer le mot banni).
Liberation Day n’offre pas de final triomphal (on verra très peu d’images du concert, à peine quelques réactions tièdes venant d’un public partiellement terrorisé par le niveau sonore du truc) mais pas de grand-guignol sensationnaliste non plus et c’est tant mieux. Juste une plongée surréaliste au pays de l’ennemi préféré du Monde Libre, avec en prime beaucoup d’images rares de Pyongyang. Reste en suspens la question des bénéfices réels d’une telle démarche pour l’avancée des rapports diplomatiques avec ce dernier. Aux dernières nouvelles, Morten Traavik et Valnoir semblaient un peu moins enthousiaste sur leur dernière collaboration artistique avec le Comité, pour une sombre histoire de censure violente et de menaces de mort sur fond d’essais nucléaires. Classic DPRK.
François Vesin est sur Noisey.