Les parents se méfient depuis toujours des dessins animés que regardent leurs enfants. Ils ont peur que leurs enfants regardent “trop de bêtises”, ou que les cartoons en question soient violents. Et s’ils avaient raison ? Et si un dessin animé avait vraiment le pouvoir de nuire à la santé d’un enfant ? C’est la question qui s’est posée brutalement en décembre 1997, quand des dizaines de milliers d’enfants japonais ont fait des crises de convulsions suite à la diffusion d’un épisode de Pokémon – un phénomène rapidement baptisé “choc Pokémon”.
L’épisode avait suscité une vague de panique, et la série avait été suspendue pendant quatre mois, passant tout près de la disparition pure et simple. Mais des années plus tard, un chercheur a découvert que cette histoire était sans doute devenue plus dangereuse que l’épisode lui-même.
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“Les médecins étaient complètement déconcertés, raconte Benjamin Radford, qui a enquêté et co-écrit un article de recherche sur le sujet. Je trouvais cela fascinant. Je me suis dit que je pourrais peut-être apporter ma pierre à l’édifice, donc j’ai choisi de me repencher sur cette affaire par simple curiosité, en me disant que je pourrais essayer de comprendre ce qu’il s’était passé.”
“Dennō Senshi Porygon” est le 38ème épisode de la saison 1 de la série, et il a été diffusé le 16 décembre 1997 au soir. Dans cet épisode, le protagoniste Ash et et ses compagnons se retrouvent transportés dans une sorte d’univers parallèle digital via un dysfonctionnement dans le système de transmission des Poké Ball. Ils y affrontent alors un personnage baptisé Porygon, un pokémon virtuel utilisé par la Team Rocket pour intercepter et voler les pokémon des autres équipes.
Mais après avoir vaincu Porygon, les héros sont attaqués par un programme antivirus. Fort heureusement, Pikachu en vient à bout grâce à une attaque électrique. C’est le moment-clé de l’épisode, et comme l’action est censée se dérouler dans un monde informatique, les animateurs ont voulu se faire plaisir en ayant recours à une technique connue sous le nom de paka paka, dans laquelle deux couleurs alternent très rapidement à l’écran.
Ce flash bleu et rouge très rapide est assez violent, et peut désorienter. Les couleurs alternent à un rythme de 12 flashs par seconde pendant six secondes environ. Beaucoup de gens ont donc été convaincus que c’était cela qui avait provoqué des crises chez des milliers d’enfants, à l’instar de ce que l’on observe chez les épileptiques.
Avertissement : la vidéo ci-dessous ne convient peut-être pas aux individus souffrant d’épilepsie.
Sauf qu’il y avait une faille dans cette explication. Selon les rapports des médecins, pas moins de 12.000 enfants avaient souffert de vertiges, de troubles de la vue et de convulsions après avoir regardé l’épisode. Environ 1% des gens souffrent d’épilepsie, et parmi eux, seuls 3% sont affectés par l’épilepsie photosensible, celle dont il aurait été question ici. Et concrètement, ces chiffres ne correspondent pas du tout au nombre de cas rapportés. Le Japon aurait-il connu une génération exceptionnelle en termes de nombre d’enfants épileptiques ? Ou le problème était-il en réalité tout autre ?
Radford a parcouru les rapports rédigés à l’époque, et découvert un détail important. Le déroulement exact des événements tel qu’il avait été communément accepté – de très nombreux enfants regardent l’épisode en direct et ont une crise presque tous au même moment – n’était pas tout à fait vrai. Beaucoup d’enfants ont regardé l’épisode en direct, mais beaucoup d’autres l’ont regardé le lendemain, alors que la rumeur du “choc Pokémon” s’était déjà répandue dans les médias et les cours de récréation.
“Le lendemain, les journaux télévisés racontaient que Pokémon était au centre de toutes les discussions dans les cours d’école – évidemment !“, raconte Radford. Au total, environ 600 enfants avaient vraiment souffert de maux de tête, de convulsions et de problèmes de respiration le soir même, et il a fallu attendre deux jours pour que tout le monde en entende parler et que la rumeur se répande. C’est ça qui a été la clé, parce que cela a engendré un phénomène de contagion.“
Selon Radford, c’était donc moins une affaire d’épilepsie que d’hystérie collective, un phénomène psychologique fonctionnant sur le principe de l’entraînement mutuel et susceptible d’engendrer des réactions physiques chez les individus affectés. Pour simplifier, les individus sont convaincus – par des influences extérieures – qu’il va leur arriver quelque chose, à tel point que cela finit effectivement par se produire.
“Ils ne font pas semblant, explique Radford. Ce ne sont pas non plus des problèmes imaginaires. Les symptômes sont bien réels, c’est juste qu’ils sont provoqués par l’exposition à d’autres personnes présentant les mêmes symptômes.”
Quand Radford a comparé les symptômes décrits par les enfants les jours suivant la première diffusion de l’épisode, il a découvert qu’ils ressemblaient beaucoup plus à une crise d’hystérie collective qu’à une crise d’épilepsie à grande échelle, ce qui expliquait au passage qu’autant d’enfants aient été affectés. Et en 2001, il a publié le résultat de son enquête dans le Southern Medical Journal.
Il s’avère donc, au final, que les dessins animés ne sont pas si dangereux. Les rumeurs, par contre…