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Poulet rôti, velouté de poutine et apnée du sommeil : à table avec Tommy Kruise

« Il n’y a pas que la poutine dans la vie. C’est cool, mais ça ne fait pas tout. J’ai envie de dire : servez-moi une bonne quiche plutôt. »

Il y a encore quelques années, ces mots ne seraient probablement jamais sortis de la bouche de Tommy Kruise. Mais depuis qu’il a subi une opération assez balèze pour en finir avec son apnée du sommeil (qui a nécessité de casser sa mâchoire à deux endroits et a entraîné une convalescence de 8 semaines), Tommy Kruise fait beaucoup plus attention à ce qu’il mange.

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« J’essaye de garder le mal à distance », balance Tommy en riant. « Je ne touche plus vraiment à la junk food et à la poutine. De toute façon, il y a un moment dans la vie où il vaut mieux arrêter de trop bouffer de ces trucs ». Mais depuis son opération, Tommy doit faire preuve de créativité et ce serait mentir s’il disait qu’il n’avait pas recours à quelques petites fantaisies.

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« La poutine au blender ? C’est l’un des meilleurs trucs du monde ! Après l’opération, j’ai été nourri par perfusion pendant 3 semaines et mon père, qui en pouvait plus de me voir bouffer que des boissons protéinées, est allé me chercher une Poutine, un cheeseburger, et un Canada dry à côté de chez lui ».

« Juste après avoir englouti la poutine liquide, je me suis fait un cheeseburger mixé avec du Canada Dry et j’ai ajouté un peu de ketchup. Et bien, ça avait exactement le même goût qu’un cheeseburger avec du ketchup et un Canada Dry à côté. C’était tellement bon, même meilleur que la poutine. Ça m’a fait vraiment du bien de bouffer de la vraie bouffe ».

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Tommy Kruise est devenu l’un des producteurs de musique qui pèse le plus à Montréal, mais il est aussi connu pour être un genre d’ambassadeur de ce que la cuisine québécoise a de plus « low-brow », de plus brut et populaire. Même s’il avoue encore prendre du plaisir à bouffer un burger de temps en temps, son opération a définitivement changé sa relation à la nourriture.

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« Avant mon opération, à cause de mon apnée, je m’endormais toujours après manger. Je mangeais un demi-sandwich et je m’écroulais. C’était l’enfer. Maintenant je peux bouffer et boire beaucoup plus, du coup j’essaye de nouveaux trucs, et je mange moins de junk food ».

« Je vivais avec le risque d’avaler ma langue. Je ronflais tout le temps. J’étais incapable de dormir avec une fille – à chaque fois, je me réveillais avec un texto du genre ” Tu t’es endormi alors je suis rentrée chez moi.” C’est un truc qui m’a marqué ces deux dernières années : j’étais devenu beaucoup trop complexé pour les ramener chez moi ».

J’avais rendez-vous avec Tommy à Mile End, un quartier de Montréal où il vient de déménager et qu’il considère comme chez lui. C’est un quartier qui possède une vraie identité culturelle et dans lequel les grandes chaînes de fast-food sont quasi absentes. En d’autres termes : l’endroit rêvé quand on veut faire gaffe à ce qu’on mange.

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« Pour moi, la junk food c’est tout ce qui est produit par millions », explique-t-il. « Ici, il n’y a ni Starbucks, ni McDonald’s, ni Burger King. C’est assez bizarre en fait, parfois je rentre chez moi un peu bourré et je rêve de ce type de bouffe mais comme il n’y en a pas, impossible craquer… J’imagine que c’est mieux comme ça. C’est vraiment différent. »

« C’est aussi ce que j’aime avec ce quartier. Il n’y a pas de gros condos [des lotissements luxueux, N.D.L.T]. C’est pas comme à Brooklyn, où tout a été détruit, ou à Bushwick qui se transforme en défilé de mode, juste en dessous de la ligne L. Ici c’est impossible, quand ils essayent ce genre de conneries ici, ça dure même pas 3 mois. »

Premier stop : la rôtisserie Serrano BBQ pour un petit pain portugais fourré au poulet rôti, et, à la demande de Tommy, des pommes de terre cuites en dessous du poulet, dans sa graisse.

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« C’est vraiment le toit du monde ici pour moi. J’adore leur poulet. Quand j’ai déménagé à Mile End, c’est l’un des premiers endroits où je suis venu. C’est pas cher et tout le monde est sympa. Cet endroit, c’est beaucoup plus qu’un restaurant pour moi, ça fait un peu con de dire ça mais je me sens vraiment comme chez moi ici. »

Des restos familiaux comme le Serrano, on en trouve à la pelle à Mile End. Le plus connu d’entre eux est probablement « Wilensky’s light lunch », un restaurant qui, selon Tommy, réussi à brouiller les pistes entre cuisine juive et cuisine québécoise.

« À chaque fois que je passe devant Wilensky’s, je ne peux pas m’empêcher de m’y arrêter. C’est genre 3 $ (2 €) le sandwich. Quand on y pense, le mélange baloney [un type de saucisson populaire en Amérique du Nord assez proche de la mortadelle, N.D.L.T], moutarde et fromage, c’est assez québécois. J’adore aussi le fait que les mecs fassent ce qu’ils ont envie – si tu demandes ton sandwich sans moutarde, ils te répondent direct : “Vas te faire foutre !” ».

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En parlant d’aller se faire foutre, une autre raison qui a poussé Tommy à réduire sa conso de junk-food, c’est l’embrouille qu’il a eu avec La Belle Province, la méga chaîne québécoise qui vend des « steamies », le hot-dog québécois.

« J’y vais plus. Je suis vénère contre eux », fulmine Tommy. « J’y suis allé une fois et j’ai acheté un menu avec une bouteille d’eau. J’ai oublié la bouteille sur le comptoir et quand je suis revenu la prendre, le mec était en train de la ranger sous le comptoir. Je me suis pris la tête avec lui et je l’ai traité de tous les noms. Je les ai rayés de ma liste. Je préférerais aller mille fois au Montréal Pool Room [un fast-food de la ville un peu crade mais assez réputé, N.D.L.T] plutôt que de retourner dans ce resto – ce resto de merde mérite de se casser la gueule. »

Prochain arrêt : le Café Olimpico, une institution de Mile End. C’est à la fois un café et un lieu de rencontres. « C’est comme un site de rencontre là-bas. J’y ai toujours des conversations assez cools. Mon crush du moment était là la dernière fois, et on a discuté pendant deux heures. Je lui disais : “C’est bizarre comme j’aime cet endroit.” C’est juste à côté de chez moi. Clairement on n’y va pas pour le café, même s’il est super-bon. J’ai commencé à boire pas mal de café à cause d’eux et maintenant je les bois cul-sec, comme des shots ».

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Une fois nos shots de cafés descendus, on a tracé en direction de notre dernier stop : un glacier qui tourne pas mal pendant les mois d’été à Montréal. « Putain qu’est ce que j’aime les glaces. D’ailleurs, Kem CoBa est un endroit parfait pour inviter une nana l’été. »

Mais très vite, notre discussion fait une boucle et on se remet à parler poutine, entre deux bouchées de sorbet au citron et à la mûre. Ça n’inquiète pas trop Tommy de savoir que le Québec est surtout connu dans le monde pour son plat à base de frite et de gravy. Ça ne l’inquiète pas vraiment non plus de savoir que des chaînes de fast-foods s’approprient la poutine un peu partout dans le pays et même aux États-Unis, du moment qu’ils ne touchent pas aux autres plats québécois. Que les Américains soient prévenus : interdit de toucher au sacrosaint ragoût de boulettes québecois.

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« C’est à cause des Québécois si la poutine est devenue un stéréotype ; au final, c’est toi qui choisis ce que tu as envie d’exporter », explique Tommy. « Il y a tellement d’autres plats québécois comme les ragoûts, le steak haché, le pâté chinois [un genre de millefeuille de bœuf haché, de maïs et de purée de pomme de terre, superposés dans cet ordre-là, N.D.L.T]. Je suis content qu’il n’y ait pas encore un resto de LA qui se soit mis à proposer des ragoûts de boulette hors de prix. »

Même si l’attention de Tommy se concentre généralement sur la musique – et particulièrement sur celle son dernier EP, « Memphis Confidential Vol. 2 » –, sa passion pour la bouffe contribue aussi énormément à son image de marque.

« Quand je suis en tournée, les gens me disent souvent : “Eh c’est toi le gars du Québec !” Quelqu’un m’a déjà arrêté dans la rue en Australie pour me parler d’une vidéo sur le sandwich au poulet que j’avais fait pour MUNCHIES. Il avait vu la vidéo, avait reconnu ma gueule et m’a sorti : “Mec, il est où est ton sandwich ?” Ce genre de trucs m’est aussi arrivé une fois ou deux aux US. Je ne me considère pas comme un « ambassadeur » ou quoique ce soit, mais ce qui est sûr, c’est que je roulerai toujours pour la bouffe québécoise ».

EN VIDÉO : How-To – La recette du Hot Chicken Sandwich avec Tommy Kruise