Mise à jour : une nouvelle version du projet de loi travail a été présentée le 14 mars, vous pouvez lire notre résumé ici :
À lire : Nouvelle version du projet de loi Travail : Ce qui reste / Ce qui change
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Depuis la diffusion de l’avant-projet de la « loi Travail » à la mi-février, le débat sur cette réforme du droit du travail se fait de plus en plus bouillonnant. Alors qu’une pétition en ligne baptisée « Loi travail : non, merci » compte plus d’1,1 million de signataires ce mardi, plusieurs organisations de jeunesse et des syndicats ont appelé à manifester contre ce projet de loi, ce mercredi 9 mars.
Le projet du gouvernement soulève des oppositions de toutes parts, notamment dans son propre camp politique. Il a aussi des soutiens forts comme le prix Nobel d’économie français, Jean Tirole, ou le partenaire privilégié de la France en Europe, l’Allemagne.
Sentant poindre le besoin de dialogue, celle qui porte la réforme — la ministre du Travail, Myriam El Khomri — a repoussé de deux semaines (du 9 au 24 mars) la présentation de son texte en conseil des ministres. En ce début de semaine, elle rencontre, avec le Premier ministre Manuel Valls, les syndicats et autres partenaires sociaux pour essayer d’apaiser les tensions.
D’où vient ce projet de réforme ?
Le début du chantier remonte à la rentrée 2015, quand Manuel Valls a annoncé, le 9 septembre dernier, sa volonté de réformer le droit du travail en France. « Notre Code du travail est devenu un ensemble trop complexe, parfois illisible, » estimait à l’époque le Premier ministre. Le message déjà martelé par Valls était de donner « plus de souplesse [aux entreprises], pas moins de protection [aux salariés] » grâce à cette réforme.
Pour mettre au point ce projet, Myriam El Khomri et ses équipes (nommées au ministère du Travail en septembre dernier) ont pu s’appuyer sur deux rapports : celui du haut fonctionnaire et ancien directeur général du Travail (DGT), Jean-Denis Combrexelle, rendu en septembre, et celui de l’ancien ministre de la Justice, Robert Badinter, remis en janvier.
L’idée centrale du rapport Combrexelle est de faire plus de place à la négociation collective au sein des entreprises. En clair, l’ex DGT proposait alors que nombre de décisions concernant les conditions de travail (temps de travail, emplois, salaires) soient prises à l’intérieur des entreprises — donnant la priorité à l’accord d’entreprise, par rapport à des accords établis en amont (branche professionnelle, loi, etc.)
Le rapport Badinter de son côté s’est concentré sur les principes généraux du Code du Travail afin « d’assurer le respect des droits fondamentaux de la personne au travail ». Pour l’ancien ministre de la Justice, ses propositions doivent permettre de favoriser l’adaptation des règles en fonction des besoins des entreprises.
Comment le gouvernement présente sa réforme ?
D’après le gouvernement, cette réforme est indispensable en raison des évolutions du monde du travail — notamment « l’irruption du numérique, la transition écologique ou les parcours professionnels de moins en moins linéaires, » comme le détaille le portail du gouvernement. Cette réforme devrait selon lui permettre de relancer la compétitivité des entreprises et créer de l’emploi — donc faire baisser le chômage.
Comme l’assurait Manuel Valls en septembre dernier avec sa formule du « Plus de souplesse, pas moins de protection », le gouvernement garantit que cette réforme ne met pas en cause les fondamentaux des salariés (comme les 35 heures ou le SMIC). Il s’agirait simplement de donner une marge de manoeuvre plus grande aux entreprises et de nouveaux droits aux salariés.
Mais à mesure que la gronde commençait à monter sur le projet de loi, le discours gouvernemental a quelque peu évolué, mettant plus en avant les droits des salariés que les nouvelles libertés (critiquées) des entreprises. Ainsi, le 29 février, le gouvernement a changé le nom du projet, qui passait de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » à simple loi « sur les nouvelles protections pour les entreprises et les salariés ».
Quelles sont les dispositions emblématiques de la réforme ?
Le temps de travail
Quotidien : Actuellement, le Code du Travail prévoit une durée quotidienne de travail de 10 heures maximum. Avec le nouveau texte, celle-ci pourra être portée à 12 heures « en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise » grâce à un accord collectif (convention ou accord d’entreprise, ou accord de branche).
Hebdomadaire : Aujourd’hui, la durée maximale hebdomadaire est de 48 heures, mais elle pourra être plafonnée à 60 heures en cas de circonstances exceptionnelles (après autorisation de l’autorité administrative) selon la réforme. Avec la nouvelle loi, les salariés pourront travailler une durée de 48 heures par semaine pendant 16 semaines maximum dans l’année, si un accord collectif le permet.
Forfait-jour : Une grande partie des cadres travaillent au « forfait-jour » ce qui leur permet de déroger aux 35 heures. Actuellement, les entreprises de moins de 50 salariés doivent signer un accord collectif pour passer leurs employés au forfait-jour — ce qui ne serait plus le cas avec la réforme. Cela se réglerait au cas par cas, entre le salarié et l’employeur.
Les référendums en entreprise
Actuellement, les accords d’entreprise doivent être validés par des syndicats ayant recueilli au moins 30 pour cent des voix lors des élections professionnelles. Avec la réforme, les syndicats devront avoir recueilli au moins 50 pour cent des voix pour valider ces accords.
La réforme prévoit une autre option si les accords ont été uniquement acceptés par des syndicats élus à 30 pour cent des voix : le référendum d’entreprise. Les salariés seront appelés à se prononcer sur l’accord d’entreprise débattu. Si une majorité des salariés accepte l’accord, alors les syndicats ne pourront plus s’opposer à sa validation.
Les indemnités prud’homales
Aujourd’hui, c’est au juge des prud’hommes d’établir l’indemnité que doit verser l’entreprise à un employé qui a été licencié de façon abusive. La réforme compte mettre en place un barème basé sur l’ancienneté du salarié pour fixer ces indemnités — mettant en place un « plafonnement » de ces indemnités.
Ainsi, dans le cas où la réforme passe, un salarié qui a moins de deux ans d’ancienneté aurait le droit à l’équivalent 3 mois de salaire maximum en guise d’indemnité. Un salarié qui a de deux à cinq ans d’ancienneté aura le droit à 6 mois de salaire maximum, et ainsi de suite. Au maximum, un salarié avec plus de 20 ans d’ancienneté pourra toucher 15 mois de salaire.
En cas de faute particulièrement grave de l’employeur (type harcèlement moral ou sexuel), le juge pourra ne pas tenir compte de cette grille tarifaire et appliquer les indemnités qu’il souhaite.
Les accords « offensifs »
En cas de difficultés conjoncturelles, les entreprises peuvent actuellement passer des accords « défensifs » avec les représentants du personnel, afin de modifier (pour une durée fixée) le temps de travail et le salaire des employés — le temps de traverser une mauvaise passe.
Avec la réforme, les entreprises pourraient mettre en place des accords « offensifs » afin de « développer de l’emploi », c’est-à-dire sans qu’elles soient en difficulté. Ainsi, pour aller chercher de nouveaux marchés, l’entreprise pourrait passer des accords afin que ses employés travaillent davantage.
Ces accords ne peuvent pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié.
Si les employés refusent de se soumettre à ces accords « offensifs », ils pourront être renvoyés par l’entreprise. Ce licenciement « ne constitue pas un licenciement pour motif économique et repose sur une cause réelle et sérieuse » ce qui signifie qu’il s’agit d’un licenciement pour « motif personnel ».
Les heures supplémentaires
Actuellement, les heures supplémentaires donnent lieu à une majoration de salaire de 25 pour cent pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes sont ensuite majorées à hauteur de 50 pour cent. Mais des accords de branche peuvent faire baisser cette majoration à hauteur de 10 pour cent (minimum).
Avec la loi travail, les entreprises auraient la possibilité de faire baisser la majoration de salaire à 10 pour cent — sans compter sur les accords de branche. Cette réforme élargit aussi la « période de référence » pour le décompte des heures supplémentaires, en la faisant passer de un à trois ans. En clair, avec la nouvelle loi, il faudra parfois attendre trois ans (maximum) pour être payé de ses heures supplémentaires — contre un an aujourd’hui.
Les apprentis
Pour les apprentis, dans le cadre de la réforme, il serait possible de travailler 10 heures par jour, contre 8 aujourd’hui. La réforme permettrait ainsi de passer à une durée hebdomadaire de travail de 40 heures par semaine, contre 35 heures aujourd’hui pour les apprentis.
Travailler 40 heures par semaine pour un apprenti est déjà possible, mais il lui faut obtenir l’accord de l’inspection du travail et d’un médecin du travail — ce qui ne serait plus nécessaire si la réforme est adoptée.
Ceux qui soutiennent la réforme
Une bonne partie des soutiens de la réforme portée par Myriam El Khomri se trouve au sein du parti d’opposition Les Républicains (LR), ou au sein du Medef, le syndicat patronal présidé par Pierre Gattaz.
Chez Les Républicains, Éric Woerth estime que le texte « répond en partie aux propositions des Républicains et aux attentes des entreprises sur plusieurs questions?: le référendum, le contrat de travail, les 35 heures, les négociations. » Nathalie Kosciusko-Morizet (LR) s’est-elle aussi déclarée favorable à la réforme dans Le Figaro, « Si le texte reste tel qu’il est, je le vote ».
Des candidats à la primaire Les Républicains en vue des présidentielles, comme François Fillon et Bruno Le Maire, ont eux-aussi admis que le texte contenait quelques bonnes idées. L’ancien Premier ministre a même déclaré qu’il était « prêt à soutenir le texte ».
Du côté du Medef, Pierre Gattaz se réjouit de la réforme, estimant que le texte « va dans le bon sens, » ajoutant que les dispositions prévues par le projet de loi permettront de « faire baisser la double peur, celle des patrons d’embaucher et des salariés de se faire licencier ». L’espoir de Gattaz est que la réforme permette de « déverrouiller le marché de l’emploi ».
El Khomri peut aussi compter sur le soutien des partenaires allemands. La ministre de l’Emploi et des Affaires sociales allemande, Andrea Nahles, a assuré que le texte était « bon, juste et courageux ». La Commission européenne a aussi apporté son soutien fin février à la réforme du travail française « dont l’adoption et la mise en œuvre restent déterminantes ».
Une partie de la sphère des économistes a aussi défendu le projet de loi travail, notamment Jean Tirole, prix Nobel d’économie. Dans Le Monde du samedi 5 mars, Tirole et 30 économistes estiment que le Code du travail actuel est une « source d’insécurité pour l’entreprise comme pour le salarié car il laisse au juge un champ d’appréciation qui va bien au-delà des compétences juridiques ». Ainsi, selon ces économistes, « par crainte d’embaucher en CDI, les entreprises ont massivement recours au CDD » — une tendance que le projet gouvernemental pourrait inverser estiment-ils.
Ceux qui sont contre la réforme
En première ligne de l’opposition, on retrouve des organisations syndicales (la CFDT, la CFE-CGC, la CGT, FSU, Solidaires-Sud, l’Unsa) et des organisations d’étudiants (UNEF) et de lycéens (UNL et Fidl). Les syndicats ont publié fin février un communiqué commun où ils refusent en bloc le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement illégal, le jugeant trop favorable aux entreprises.
Mais ces organisations peinent à s’accorder sur les modalités de révision du projet de loi. Certaines dites « réformistes » sont pour des modifications du projet, alors que d’autres prônent sa réécriture ou même son retrait.
Dans les rangs du Parti Socialiste, certaines figures se sont aussi élevées contre le projet de loi travail avec en premier lieu, la maire de Lille et ancienne secrétaire général du parti, Martine Aubry. Dans les colonnes du Monde, elle avait signé le 24 février dernier une tribune acerbe contre le projet de loi (avec d’autres personnalités de gauche, comme Daniel Cohn-Bendit et Benoît Hamon).
« Que le patronat institutionnel porte ces revendications, pourquoi pas, même si elles nous paraissent en décalage avec ce que nous disent les entreprises sur le terrain. Mais qu’elles deviennent les lois de la République, sûrement pas ! Pas ça, pas nous, pas la gauche ! » écrivait Aubry, soutenue dans son combat par les sensibilités les plus à gauche au sein du PS, ainsi que d’autres hommes et femmes politiques à la gauche du parti, comme Jean-Luc Mélenchon.
L’actuel patron de la rue de Solférino, Jean-Christophe Cambadélis, doutait aussi du projet de loi, déclarant sur BFM TV, le 19 février, qu’il « aurait du mal à voter le texte en l’état. » Cambadélis avait quelques jours plus tard adouci un peu son discours en appelant les syndicats et le gouvernement à négocier afin de s’accorder.
L’opinion publique ne serait pas non plus derrière le projet de loi d’après plusieurs sondages, dont celui réalisé pour Le Parisien, le 6 mars dernier. 70 pour cent de Français seraient opposés à la loi El Khomri selon ce sondage. Pourtant, les Français interrogés par Le Parisien sont à 52 pour cent pour une réforme du droit du travail.
La pétition
Le 19 février, la militante féministe Caroline De Haas a lancé une pétition contre le projet de loi travail sur la plateforme change.org. Avec l’appui de syndicalistes (notamment de la CGT), la cofondatrice d’Osez le Féminisme a alors lancé cette pétition qui a désormais battu tous les records en France : il s’agit de la pétition en ligne la plus signée dans le pays. Ce mardi, on approche les 1,2 million de signataires.
Le calendrier
9 mars
Des organisations de jeunesse, avec l’UNEF (le premier syndicat étudiant) en tête, ont appelé au rassemblement ce mercredi 9 mars. Il était prévu que le projet de loi soit examiné en conseil des ministres ce mercredi, avant d’être finalement repoussé au 24 mars. Des organisations lycéennes (l’UNL et le FIDL) et des partis politiques (Jeunes communistes, NPA, Parti de gauche) prennent aussi part à la manifestation de ce mercredi, ainsi que la CGT.
12 mars
Cinq syndicats, CFDT, CFE-CGC, CFTC, UNSA et FAGE, appellent à la manifestation contre le projet de loi El Khomri. « Les salariés et les jeunes [sont appelés] à se mobiliser, pour faire connaitre et appuyer leurs propositions, » peut-on lire sur le communiqué des syndicats.
24 mars
Présentation du projet de loi en conseil des ministres, avec deux semaines de retard par rapport à la date initiale.
31 mars
Sept syndicats (CGT, FO, FSU, Union syndicale Solidaires, UNEF, UNL, FIDL) appellent à la mobilisation « pour obtenir le retrait du projet de loi de réforme du Code du travail, et pour l’obtention de nouveaux droits, synonymes de progrès social ».
Avant l’été
À la rentrée 2015, Manuel Valls avait estimé que la loi travail devrait être votée avant l’été 2016.
Souvenirs du CPE
Cette grande mobilisation sociale survient dix ans après la mobilisation étudiante contre le CPE (Contrat premier embauche), qui a secoué la France au printemps 2006. De nombreux observateurs ont comparé les deux mouvements de protestation. Le CPE était un projet de type de CDI pour les moins de 26 ans, auquel de nombreuses organisations syndicales se sont farouchement opposées — si bien que le projet porté par Dominique De Villepin, le Premier ministre de l’époque, avait dû être abandonné. Un parallèle qui n’a pas échappé à la présidente actuelle de l’UNEF, Marthe Corpet, qui déclare que la loi travail « est un mauvais cadeau d’anniversaire » qu’offre le gouvernement.
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