Culture

Pourquoi arrêter de boire ou de prendre de la drogue?

Cette année, j’ai essayé de m’abstenir d’alcool et de drogue tout le mois de janvier. Les excès des fêtes m’avaient épuisé et je me disais qu’un mois sans consommation m’aiderait à m’éclaircir les idées et à me remettre sur pied. Même si je ne m’étais jamais considéré comme un gros buveur, je me suis vite rendu compte que ma vie sociale tournait autour de la consommation d’alcool. Que ce soit les soirées à la maison, les soupers au resto, les rencontres, les concerts et même le cinéma, c’était chaque fois l’occasion de prendre au moins un verre. Ma tentative d’abstention a duré deux semaines. J’ai cédé à la fête d’un ami après qu’un inconnu m’a dit que j’étais un rabat-joie. J’ai fumé un joint avec d’autres et bu un cidre.

Mon échec m’a amené à réfléchir à l’abstention. Je pense que les préjugés contre la consommation n’aident en rien; sincèrement, j’ai fait des expériences positives sous l’effet de l’alcool ou de drogue, mais, comme j’ai tendance à devenir accro et qu’il y a des troubles de santé mentale dans ma famille élargie, j’ai toujours surveillé la fréquence de mes consommations et les quantités. Je n’ai l’intention de bannir aucune de mes habitudes, mais longtemps j’ai cru que je le pourrais si je le voulais. Le fait de n’avoir pas pu tenir un mois m’a forcé à admettre que c’était faux. J’ai donc voulu savoir pourquoi et comment des gens s’abstiennent de consommer alcool et drogue.

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Toutes les histoires de sobriété que j’avais entendues jusque-là dans ma vie, j’en avais été gavé à l’école ou c’étaient des récits sensationnalistes dans les bulletins de nouvelles. Les suivantes sont le fruit de conversations réelles avec des amis qui ont arrêté de consommer. Ces récits m’ont paru parfois beaucoup plus simples et parfois beaucoup plus grands que je ne m’y attendais.

Krissy Howard, rédactrice, The Hard Times

Depuis la toute première fois que j’ai été gelée, j’ai voulu retrouver cette sensation aussi souvent que possible. Je fumais avec des amis et on allait ensuite au centre commercial. Je me rappelle seulement des fous rires. Je ne me suis jamais acceptée comme je suis, seule ou avec d’autres, et la possibilité d’interrompre mon anxiété me donnait l’impression d’avoir trouvé un moyen de mieux vivre ma vie.

Au début, consommer était une activité sociale vraiment amusante. Je buvais et fumais du pot. À l’occasion, j’ai pris des acides ou des analgésiques. À 19 ans, je suis passée aux seringues pour la première fois. Je ne suis pas tout de suite devenue une vraie accro, mais je savais que j’aimais vraiment ça et je consommais aussi souvent que je le pouvais. Ensuite sont venus l’OxyContin et le Xanax. J’arrivais à ne pas perdre mes emplois tout au long de cette période, mais c’est devenu de plus en plus difficile.

Je ne me sentais pas bien et ne pouvais plus du tout fonctionner sans drogue. J’ai perdu mon emploi. J’ai eu du mal à garder mon appartement. J’ai commencé à fumer du crack. Je m’enfermais dans ma salle de bains pour fumer pendant des jours. Je ne sortais que pour regarder dans le judas de la porte d’entrée. Je n’allais jamais très bien, mais si je m’arrêtais j’étais malade et de toute façon je ne savais pas quoi faire d’autre.

Je me rappelle m’être retrouvée devant la porte de mon appartement à me dire que c’était ça, ma vie. J’étais une droguée, j’allais mourir et, étrangement, ça m’était franchement égal. Je me convainquais que ma vie était le prix à payer pour le mauvais karma de quelqu’un d’autre. Quelqu’un avait dû faire quelque chose de vraiment terrible il y a des centaines d’années et sa punition avait été de se réincarner en moi. Je sentais que j’allais franchir un point de non-retour, comme m’injecter une dose vraiment trop forte et mourir.

Mon corps a cessé de fonctionner comme un corps de 20 ans. Je n’avais pas de règles pendant des mois. À un moment, je ne pesais que 87 livres. J’étais couverte d’abcès ouverts qui ne guérissaient pas. Mon corps n’allait pas et ma vie non plus. Entretenir quelque relation que ce soit était absolument impossible. Pas d’amis. Pas d’argent. Pas de but. Je n’avais plus de contact avec ma famille.

J’ai fait trois surdoses, dont la dernière dans la salle de bains chez mon père. J’ai presque accepté de l’aide parce que je voulais que mon père se sente mieux. Je suis retournée à New York après des années au Texas. J’avais l’intention de cesser de consommer, mais ça ne s’est pas passé comme ça. Je le voulais et je ne le voulais pas, je pense, et il a fallu beaucoup de temps avant que je m’engage vraiment. J’y suis arrivée le 19 mai 2010. Depuis, je récupère.

Je pense que le plus difficile a été de décider de faire autre chose dans ces moments où l’envie était si forte. Je me souviens de m’être sentie comme si mes sens allaient m’achever. Comme si j’allais prendre en feu si je ne consommais pas. Après m’être habituée à prendre des décisions différentes pendant un certain temps, l’obsession de me geler est devenue moins envahissante. Mais je détestais vraiment ne même pas pouvoir prendre un verre avec des amis. Il y a beaucoup de choses que je ne pouvais pas faire pendant un moment parce qu’il y avait de l’alcool et de la drogue, et que la tentation était trop forte, comme aller à des concerts ou même passer dans certains quartiers. Je ne m’en rendais pas compte à ce moment, mais, en y repensant aujourd’hui, je peux voir que c’est devenu plus facile avec le temps. Je me suis trouvé de nouveaux moyens de faire face à ce qui arrivait.

Brian Finch, militant

J’avais 13 ans et je vivais à Winnipeg quand j’ai découvert que ma sœur fumait du pot. Je lui ai aussitôt demandé si je pouvais essayer. La première fois qu’on a fumé, je n’ai rien ressenti. J’étais déçu. J’ai gardé un joint pour plus tard. Mes parents avaient divorcé et, un week-end, mon père a oublié de venir me chercher. En colère et blessé, j’ai sorti l’autre joint. Je l’ai fumé. Cette fois, j’ai été vraiment gelé. Quinze minutes plus tard, on a cogné à ma porte. C’était lui. Il m’a emmené dans un spectacle canin. J’étais complètement paranoïaque. J’ai regardé cette interminable compétition d’obéissance jusqu’à la fin. Quand je suis revenu à la maison, je suis allé voir ma sœur et je lui en ai demandé plus. Après, je n’ai jamais arrêté de consommer.

Ma relation avec les drogues a continué, mais s’est modifiée avec le temps. J’ai commencé à fréquenter les bars gais et à consommer de la MDA, qui a précédé la MDMA. Ma consommation est devenue incontrôlée. J’ai commencé à vendre. Avec l’argent que je me suis fait, je suis parti me désintoxiquer dans le sud de la France. La vie a été calme pendant un temps. Je pensais en avoir fini avec la drogue. Je suis revenu chez moi. Ç’a été pendant quelques années, jusqu’à ce que j’entre dans une relation terriblement abusive avec un accro. Il avait le même nom de famille que le tueur en série : Manson. Je ne savais pas qu’il était accro avant que je le redevienne avec lui. Il est mort récemment. Je ne sais pas si la drogue est en cause.

Mon incapacité à dire non m’a mené en eaux très troubles. Je suis passé au GHB, mille dollars par mois y passait. Ensuite, la meth. Tout ce sur quoi on pouvait mettre la main. Je suis tombé si bas que je ne me souciais plus de rien, et j’ai fait une surdose. J’ai cessé de respirer. J’ai pris conscience de la facilité avec laquelle on peut mourir. Je pensais au suicide. La pression de faire de l’argent pour payer notre consommation, qui nous coûtait des milliers de dollars, était forte. Je suis devenu travailleur du sexe. J’ai publié une annonce, ça a commencé comme ça. Je gagnais beaucoup d’argent et je voyageais souvent. New York et Amsterdam sont devenues mes deuxièmes chez-moi.

Ce qu’il y a avec la dépendance, c’est qu’une voix forte dans ma tête me dit que je n’ai pas de problème. Je ne suis pas un accro. C’est facile à croire.

Mes souvenirs de cette période de ma vie sont flous. J’ai rencontré un autre travailleur du sexe à Manhattan et on est vite devenus les deux prostitués du nord du New Jersey. J’étais barman à The White Party de South Beach. Défoncé à la meth, je me suis retrouvé dans un bar appelé Chains. Je faisais de la coke à l’arrière avec le gérant. Je ne portais que des bottes et un cockring. On fait beaucoup de rencontres comme ça. J’ai rencontré un couple de gars de moto très musclés avec des tatouages. Je suis resté avec eux pendant quatre semaines après avoir jasé avec eux pendant seulement dix minutes. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je me retrouverais.

Tout a bien commencé, mais ensuite c’est devenu une mort spirituelle à petit feu. Comme je me déplaçais constamment, je n’étais de nulle part. Je faisais partie d’une sous-culture détachée de la société. J’en suis venu à un point où je me suis rendu compte que j’avais arrêté d’avoir des désirs, des rêves, des buts. C’est ce que j’appelle ma période Peggy Lee.

La combinaison des voyages et de la forte consommation de drogues me ruinait la santé. Je suis allé m’effondrer à Toronto, je me suis relevé et je suis allé recommencer ce manège ailleurs. J’étais accro à tout ça. Il y avait de graves conséquences sur ma santé dont l’évolution ne m’a toujours pas quitté. Il y a des choses avec lesquelles je devrai vivre pour le reste de mes jours.

Il m’a fallu beaucoup de temps pour m’en sortir. La première étape a été de réduire les risques. La deuxième étape a été d’arrêter de me débarrasser de la meth, de la coke, du GHB, de l’ecstasy. L’autre problème, c’est qu’en arrêtant la drogue, j’arrêtais de voir mes amis avec lesquels je consommais. Je me suis retrouvé tout seul, il n’y avait personne pour les remplacer. Pendant un moment, j’ai été vraiment isolé. Je me suis inscrit à un programme en douze étapes. Dix ans plus tard, je suis ici. Je travaille fort pour y rester. Il n’y a pas grand-chose qui me manque, à part l’illusion de l’évasion. Si seulement c’était vrai. Et l’énergie pour aller dans les bars ou pour faire des activités en fin de soirée, mais je me fais vieux.

Chris Popadak, batteur de Hawthorne Heights

Pour mes 19 ans, un de mes colocs m’a donné du LSD en cadeau. Jusque-là, je n’avais essayé que le pot. Ç’a été une expérience absolument merveilleuse et c’est ainsi qu’a commencé ma relation sérieuse avec la drogue, qui a duré des années. Après avoir commencé à consommer du LSD, ajouter une deuxième drogue, puis plus tard une troisième et une quatrième ne me semblait pas effrayant. J’avais aimé l’acide, pourquoi est-ce que je n’aimerais pas les autres?

Dans cette période, je me suis fait des amis qui prenaient tous de l’héroïne. J’étais curieux. Je me souviens de la première fois que j’ai demandé à l’un d’eux s’il pouvait me faire essayer. Il a dit non. Il a continué à dire non pendant un certain temps. Il ne voulait pas en porter la responsabilité. Finalement, je lui ai dit que, s’il acceptait de me fournir un sachet, je lui paierais un sachet en retour. Il a accepté et, comme toutes les drogues que j’ai essayées, j’ai adoré ça.

J’avais eu de la chance, ou pas, d’avoir des drogués dans ma vie. Je voyais les mauvais côtés dès le début et, pour un bon moment, ça m’a permis d’éviter d’être complètement aspiré dans ce monde. Classiquement, je consommais le week-end. C’est resté ainsi pendant des années. J’étais convaincu que je maîtrisais tout, mais, avec du recul, je sais que je m’en sortais de justesse. Je ne payais pas mes factures ou mon loyer, on m’a évincé, mais j’arrivais à trouver de l’argent pour ma consommation de drogue et d’alcool. Je n’aime pas me rappeler à quel point j’étais égocentrique.

Des années durant, toute ma vie tournait autour du skateboard et de la drogue. Je jouais dans des groupes ici et là, j’avais en tête de continuer la batterie, mais souvent ma vie était trop sens dessus dessous pour que je puisse en avoir une. Je dérapais. Je pourrais raconter une foule d’anecdotes, mais, en somme, tout ça n’est qu’une grosse perte de temps.

Le changement s’est produit lentement. Deux choses l’ont provoqué : je me suis rendu compte que je ruinais ma relation avec mon fils. Je me souviens de lui encore bébé, il avait à peu près deux ans. Il pleurait, comme le font les bébés, et j’étais furieux contre lui parce que je ne pouvais pas endurer le bruit. Je ne pouvais pas supporter mon fils en pleurs. Il y a enfin eu un déclic, j’ai compris que mon fils n’y était pour rien. La drogue me rendait impatient et irascible. C’est ce qui a commencé à me faire prendre conscience que j’avais vraiment un problème. Je n’ai pas aussitôt arrêté de consommer, mais j’ai commencé à supprimer des drogues une après l’autre. Peu de temps après, j’ai passé un week-end à faire le party et, quand je me suis réveillé, je me suis senti vraiment mal. J’avais payé pour me retrouver dans cet état. Ç’a été la goutte qui a fait déborder le vase. J’ai pris la décision de tout arrêter sur-le-champ et je m’y suis tenu depuis.

Après que j’ai arrêté de consommer alcool et drogue, j’ai décidé de prendre la musique très au sérieux. Je faisais partie d’un groupe avec deux gars straight edge. Auparavant, en raison de certaines expériences, j’avais des préjugés envers les gars straight, mais eux m’ont montré le côté positif de l’abstention, que je n’avais jamais connu.

Je ne dirais pas que je suis un militant, mais je suis maintenant plutôt contre la consommation de drogues sous toutes ses formes. La communauté straight edge a eu un effet très positif sur moi. J’ai l’impression que quiconque veut cesser de consommer n’importe quelle drogue, ils doivent en venir à vraiment détester ce qu’ils font. Il ne suffit pas d’arrêter de consommer. Il faut couper les ponts avec ceux que vous considériez comme vos amis et bloquer beaucoup de mauvaise énergie.

Marilla Wex, correspondante à l’étranger, The Beaverton

Cesser de consommer semble être une montagne insurmontable avant de le faire. Je pense qu’avant de le prendre ma décision, je croyais qu’il fallait un désastre terrible avant de toucher vraiment le fond et pouvoir arrêter de boire. J’ai dû regarder trop d’épisodes d’ Intervention. Puis j’ai parlé à un ami qui a compris après avoir eu 40 ans que l’alcool le déprimait. Je me suis reconnue.

J’ai remarqué que ma réaction physique à l’alcool avait dramatiquement changé : j’étais en état d’ébriété beaucoup plus vite. Je devenais belliqueuse et mes lendemains de veille ne pouvaient pas être plus terribles, écrasants. Ça m’a pris du temps, mais j’ai fini par voir que le plaisir de boire ne faisait pas le poids contre les horribles conséquences physiques. Pour moi, pour arrêter de boire, il ne fallait qu’en prendre la décision. Pas de A.A., pas de 12 étapes, pas de Jésus. Simplement prendre conscience que je ne voulais plus de la paranoïa, de la déprime, du sentiment de perdre la maîtrise de moi.

Cesser de boire est l’une des meilleures choses que je n’ai jamais faites pour moi. Je peux me réveiller, repenser à ce que j’ai fait la veille sans être emportée dans une spirale de paranoïa : « Oh, merde, est-ce que cette personne a été insultée? Est-ce que j’ai été stupide? Est-ce que j’ai eu l’air saoule? » J’assume tous mes mauvais coups, sachant très bien que j’étais parfaitement à jeun.

Cela dit, ce qui est le plus difficile quand on décide d’arrêter, ce sont les réactions des autres. J’ai longtemps été une personne pas trop sûre d’elle et, dans la vingtaine au Royaume-Uni, je n’aurais jamais pu résister. À mon âge et au Canada, c’est plus facile, mais j’ai quand même eu droit à des commentaires absolument irréfléchis et méprisants : « Si je bois, tu bois », « Tu veux avoir du fun ou non? », « Et le pot ou la coke? », « Comment est-ce que je pourrais entrer dans ton lit autrement? » Je ne me considère pas comme une alcoolique, mais j’ai parfois envie de répondre à ces débilités : « C’est déjà assez difficile de résister à l’alcool sans les morons comme toi qui se moquent d’une alcoolique. »

Et si on peut être honnête : peut-on s’occuper du manque de boissons sans alcool décentes dans les bars? Je sais que c’est stupide, un problème de riche, mais quand on me demande de débourser cinq dollars pour un verre de Coca-Cola en fontaine, on se paie un peu ma tête. Dans un bar correct, je demande un cocktail mystère sans alcool et, s’il est sympa, le barman accepte le défi et me prépare quelque chose dont je dois deviner les ingrédients. J’ai fait un numéro dans un bar où on servait du kombucha. Je pensais que j’étais morte et arrivée au paradis. La bière me manque parfois, mais le kombucha est excellent parce qu’il a aussi l’arrière-goût de la levure et du pétillant.

Felix Hagan, chanteur, Felix Hagan and the Family

Pour moi, boire de l’alcool n’a jamais été un plaisir en lui-même. C’était un moyen d’être saoul. L’idée de boire juste pour le plaisir m’était complètement étrangère, mais j’aimais la détente paresseuse de l’ébriété, la chaleur jusqu’aux os, le sentiment de confort et de confiance que me donnait l’alcool. Quand je suis arrivé à la puberté, je me suis senti mal à l’aise en groupe, mais je me suis rendu compte que, si je buvais, je devenais intéressant et amusant. C’est à peu près à ce moment que j’ai commencé à me laisser séduire par l’image de l’artiste en état d’ivresse. Je ne voyais rien de mal à boire tout seul. Sauf qu’au lieu d’écrire de grands romans ou de composer des pièces géniales, je regardais Lord of the Rings avec les commentaires . Je ne faisais que prétendre être ce que j’idéalisais.

Mon premier groupe après le secondaire m’a brusquement poussé dans le vrai monde des spectacles dans de vraies salles. Je me suis jeté dans l’hédonisme comme si je devais incarner l’archétype insensé du chanteur rock ivre. Le spectacle n’en était qu’une petite partie. Je voulais le party, l’aventure, je voulais être cette caricature que je m’étais inventée. Même si je sortais de scène avec l’impression d’avoir renversé le public, c’est un supplice de revoir ça aujourd’hui. Dans les vidéos, on voit derrière le micro un personnage lourd qui mange les paroles de chansons, manque chaque note et parfois même s’écroule.

Même si c’était affreux sur scène, j’avais le sentiment de vivre mon heure de gloire. Le problème quand on est alcoolique, c’est que les bons moments ne sont que des fragments dans un néant engourdi. Je me saoulais au point de perdre conscience tous les jours. Ma première année d’université n’a été qu’un long écrasement. J’avais pris l’habitude de garder près de mon lit un grand verre de vin rouge, que je vidais au réveil simplement pour fonctionner, puis j’apportais en classe une bouteille de Sprite remplie de gin. Mes parents ont été les premiers à me faire remarquer combien destructrice devenait ma consommation. Ils ont verrouillé l’armoire où était rangé l’alcool. Quand j’ai trouvé la clé, ils ont installé un cadenas à combinaison.
J’ai frappé un mur : je me suis réveillé un matin baignant par terre dans mon sang. Il semble que j’avais conduit un quatre-roues dans la cour, complètement ivre, et que j’avais foncé dans une clôture avec barbelés. J’avais une plaie ouverte au bras, dont j’ai toujours la cicatrice aujourd’hui. J’ai laissé le quatre-roues embourbé là et pour le tirer de là j’ai pris la voiture, qui est restée embourbée aussi. À l’intérieur, j’ai fait exploser le cadenas avec une grande hache, rien de moins, et j’ai vidé la bouteille de gin. Quand mes parents sont rentrés, ils m’ont trouvé complètement brisé, en pleurs. Mais j’ai continué.

C’est ma blonde qui a réussi à m’amener à prendre la route vers le rétablissement. Elle parlait de plus en plus de ma consommation après quelques incidents. La première fois qu’elle s’est rendu compte qu’il y avait un problème, c’est le jour où elle m’a laissé à la gare et que je me suis acheté une bouteille de vin et une autre de vodka pour la journée. Ce n’était pas une blague. Ç’a été le comble le soir où, chez mes parents, alors que je devais ensuite conduire pour rentrer, j’ai vidé en cachette deux bouteilles de champagne pour arrêter de trembler. C’est un peu avant qu’on parte qu’elle a vu dans quel état j’étais. Elle a eu le cœur brisé et elle est rentrée seule en train. Ce n’était plus drôle. J’avais vingt et un ans et je suis entré en cure de désintox pour la première fois deux jours plus tard.

J’y ai passé cinq semaines (moins un jour pour le premier spectacle avec mon groupe à Glastonbury) à apprendre à exister sans alcool. Le plus difficile est survenu quand j’ai quitté la sûreté de la clinique. Je me cherchais une excuse pour faire une rechute. Environ trois mois plus tard, je donnais un spectacle au Water Rats à Kings Cross et j’étais arrivé d’avance. Il y avait cette odeur de pub, un sublime arome de bière qui s’infiltre dans le cerveau, et c’est là que je me suis remis à boire autant qu’avant. Sauf que je buvais en cachette. Un jour, mon père m’a surpris alors que je marchais en chancelant à la maison. C’est la première fois que je l’ai vu pleurer. À la deuxième cure de désintox, j’ai retenu la leçon. C’était il y a huit ans et demi.

Avoir constamment les idées claires m’a permis d’arrêter de prétendre que j’étais un musicien et de commencer à en être un pour vrai. Comme dans tout, surtout la création, pour s’améliorer il faut de la maîtrise et de la discipline. C’est ce que j’ai appris, même si j’ai l’impression de ne pas être responsable de mon rétablissement. Ce sont les personnes autour de moi, ma famille, mes amis et le fabuleux personnel de la clinique ainsi que les autres personnes aux A.A. C’est un long travail. Bien que les récits du parcours vers la dépendance soient tous différents, les récits du parcours pour s’en sortir doivent se ressembler beaucoup.

L’idée fausse la plus répandue parmi les accros, c’est qu’on est seul. Mais les A.A., les N.A., les Alanon sont à notre porte. Sans eux, je ne serais pas ici aujourd’hui. C’est très difficile d’arriver à cesser de consommer seul, mais on peut faire autrement. Il y a des rencontres tous les jours, partout. L’aide et le soutien existent. Il suffit d’aller les chercher.

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