Le rap west coast est, depuis de nombreuses années, associé à l’été et aux beaux jours en général. Par exemple Diddi Trix a sorti le clip de son hit « Chien d’la casse » seulement en août alors que ça date de mars, et tout le monde trouve ça logique : sirène, gros culs, piscine, petits pas de C-Walk, bref c’est « un son west pour l’été ». C’est une évidence pour beaucoup d’auditeurs, mais tentons de comprendre d’où vient exactement ce rapprochement à l’origine.
Instinctivement, ce qui vient en tête en premier, c’est l’idée que les musiciens et donc les œuvres qu’ils produisent s’accordent consciemment ou non avec leur environnement. Or en Californie, il y a beaucoup, beaucoup de soleil, en tout cas beaucoup plus qu’ailleurs. Ajoutons le sable et l’océan à disposition. Il semble donc assez logique que les rappeurs de là-bas livrent un son qui correspond à l’ambiance de la région. Forcément, vu de chez nous, c’est plutôt associé à la période estivale et il n’est pas rare d’avoir des auditeurs qui font la part belle à des playlists orientées west durant les beaux jours, comme pour s’accorder avec la hausse de température et tout ce qui va avec.
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Les sonorités et l’ambiance qui en découle
De l’avis général, le rap issu du wild wild west a produit bien plus de titres dansants que tout le reste du territoire américain. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à dire que ce type de rap est même « plus mélodieux ». À l’arrivée, cela nous donne une avalanche de tubes qui, effectivement, évoquent les soirées et les déhanchés, donc les filles et les gros fessiers, donc l’été, parce que c’est là qu’ils sont le plus visibles. Quand Katy Perry veut son tube de l’été, c’est Snoop Dogg qu’elle va chercher en renfort, et ça donne « California Gurls », parce que même elle connaît les bases et les valeurs sûres. Même avec l’évolution qu’a connue cette musique, avec toutes les déclinaisons jusqu’à aujourd’hui, ça continue : les tubes de YG, les prods de DJ Mustard et tout ce que certains avaient commencé à appeler la New West ont conservé cet ADN si particulier qui contient souvent une forme de légèreté dans le son. Et puis seuls les dépressifs et les cas sociaux écoutent du Mobb Deep ou du M.O.P à la plage. Concrètement, si en pleine activité du mois de juin, juillet ou août un type se met à gâcher la fête en faisant cracher ce genre de morceaux sur ses enceintes, que ce soit au milieu d’un barbecue, sur un bateau ou même dans la rue, dénoncez-le aux autorités les plus proches, ou plus simplement abattez-le, pour son propre bien et celui des autres.
En été on a l’air bien con avec des Timberlands
Parce que la West c’est aussi un style de vie, ne l’oublions pas. On a souvent raillé le rap français d’influence west coast sur le mode « il fait quand même seulement 15 degrés les deux tiers de l’année les gars, vous avez l’air cons avec votre bandana sur la tête et vos sons façon Los Angeles là ». L’inverse marche à fond pour les Etats-Unis. Concrètement l’esthétique d’un certain rap new yorkais est liée dans l’inconscient collectif à la froideur, des ambiances obscures, des clips souvent tournés de nuit dans des ruelles sombres, quand on n’a pas carrément droit à des vidéos sous la neige. À l’inverse, voir des rappeurs s’éclater dans leurs lyrics et plus généralement constater que leur attitude est à peu de choses près celle d’un vacancier qui prend du bon temps en bord de mer, c’est plus facilement assimilable à l’été. Faut être logique les zozos, chacun sa place et les moutons seront bien gardés.
Le visuel
Un nombre incalculable de clips de rap californien fleure bon les vacances à tous les étages. On a en premier lieu l’imagerie, puisque par définition tourner un clip sous le soleil de San Francisco, Oakland et bien sûr Los Angeles entraîne certaines habitudes qui deviennent ensuite des codes : les longues voitures décapotables, les gros plans sur des filles dont les vêtements laissent peu de place à l’imagination, des défilés de lascars en t-shirts ou chemises et surtout, surtout, la lumière du soleil qui éclaire tout ça comme nulle part ailleurs, systématiquement.
La West a été exposée avant le South
Ça s’est joué à un poil de cul mais il y avait un autre gros prétendant au poste d’ambianceur de l’été, c’est le rap du Sud des Etats-Unis. Si l’on écoute des bangers des stars d’Atlanta, Houston, Miami, La Nouvelle-Orléans et même une partie de Memphis, on se rend bien compte que l’ambiance générale était très, très proche. Que l’on parle des clips ensoleillés, du côté ultra détendu, de l’amour des grosses voitures au ralenti, des danses très identifiées (les autres ont le C-Walk, eux ont le Gangsta Walk, le « buckin & jookin», etc) et bien sûr des fesses XXL dans des mini shorts, l’essentiel est là. L’ambiance chill et fumette de Devin The Dude, les classiques de Fat Pat, Tela, Al Kapone, la Screwed-up Click, Swisha House, chacun dans son registre a apporté sa pierre à un édifice qui est monté aussi haut que son homologue californien.
D’ailleurs à une certaine époque il n’était pas rare de désigner certains rappeurs du South sous l’étiquette West Coast tant le style n’avait rien à leur envier, même si c’était géographiquement faux. À l’ancienne, Master P et tout son label No Limit Records par exemple étaient vus comme ça. Seulement voilà, c’est d’abord la scène de Californie qui a connu un gros succès national et international, alors que le Sud a mis un peu plus de temps malgré des talents et des classiques indéniables. Raison historique en quelque sorte, ce sont donc les premiers arrivés qui ont pris la main, marqué les esprits et fini associés pour toujours et à jamais à ce créneau. C’est le jeu.
Sauf que bon, toutes ces raisons ne suffisent pas totalement à expliquer pourquoi cette musique est à ce point associée à l’été, dans la mesure où d’autres registres de rap pratiqués chez les westeux ne correspondent pas du tout à ces critères, et surtout notre vision depuis notre côté de l’Atlantique est un brin (voire beaucoup) déformée. Il existe forcément d’autres explications.
Le léger souci c’est que le principe même de théorie des climats est le genre de raisonnement qui a conduit des crétins à expliquer que les habitants des pays chauds ont un comportement forcément différent de celui des pays tempérés, donc il vaut mieux chercher d’autres causes et clarifier certains malentendus. Pour ce faire, on a réquisitionné le rappeur et producteur Aelpeacha, qui pratique ce registre depuis maintenant plus de 20 ans, tout en restant lucide sur cette musique. Et il s’avère que plus qu’un raccourci, l’équation rap west coast = soleil est un sacré quiproquo. Explications.
On a pris les choses à l’envers
Aelpeacha : « Ce que les gens appellent le « rap westcoast » en général n’est rien d’autre qu’une évolution moderne du funk. Les mêmes accords simplifiés, les mêmes samples, mélodies, etc. Des thématiques un peu ”rajeunies” mais si tu prends des tubes de Snoop, c’est la même chose que ce que chantait George Clinton 20 ans plus tôt. Donc déjà le prisme qui associe la westcoast et le soleil, c’est faux. C’est juste que le rap californien des années 90 est un petit grain sur la plage musicale. Quik met toujours du reggae dans ses instrus, donc la Jamaïque, le soleil, ok. C’est dans l’autre sens : la musique, la célébration, le soleil inclut le rap westcoast, entre autres. En France on a décidé que le rap c’était New York, donc forcément on a fait le raisonnement inverse : « la west coast c’est les barbecues, les belles journées ». Alors qu’à la base, tout le rap descend du funk, jusqu’à ce que les mecs ne fassent que de la boîte à rythme, c’était que des musiciens. Ensuite chacun s’est emparé du style, de Miami à Run DMC, t’as déjà de la fusion avec du rock, après quand Public Enemy arrive, avec le côté Black Power, forcément c’est ni plus sombre ni plus festif qu’autre chose, ils ont juste leur propre esthétique. »
New York n’est pas en reste
« C’est seulement vers le début des 90’s avec le Wu-Tang et d’autres que ça part en sombre, samples de piano classique, etc, mais avant ça n’existait pas. Comme NY est la « Mecque » du rap et qu’ils ont tout pété à ce moment là, également en réponse au son west de Ruthless et Death Row, je sais pas si c’était conscient, mais les new-yorkais ont enfoncé le clou là où ils étaient bons : les ambiances froides. Mais avant eux ce n’était pas la règle. NY est blindé de Jamaïcains, c’est dance hall, sound system, ils dansent, ils breakent, ils écoutent du funk, tu as des gens comme De La Soul, tout le crew Native Tongues, Salt N Peppa… Toutes les années 80, c’est pas spécialement froid et sombre, même à NY. Notre prisme français n’est pas réel, on imagine le rappeur New Yorkais en Timberland avec ses dents pétées à la ODB, mais ça ne représente pas l’intégralité du son fait à NY : c’est juste que quand on découvre vraiment le rap à ce moment avec notre regard extérieur, il se trouve que ces mecs avaient tout brûlé avec un son révolutionnaire. »
Cela ne concerne qu’une partie du rap de Californie
« Le G-Funk n’est pas le seul et unique son du rap californien. MC Eiht, rappeur star de Compton dans les années 90, n’a jamais fait de G-Funk. C’était plutôt une sonorité affiliée à Long Beach, avec Warren G, LBC, etc. Quik n’a jamais été estampillé G-Funk, juste gangsta rap. En gros le G-Funk est un sous-genre d’un sous-genre (le rap west coast) du rap. Mais comme ça a explosé, pour des raisons commerciales, les maisons de disque, les labels et même les artistes se sont eux-même caricaturés. »
Décalage du point de vue français
« Même en remontant : Clinton, ses 2 influences sont Sly Stone et James Brown, donc respectivement l’Ouest et le Sud. Quoi qu’il arrive, le soleil a toujours été là. Si on remonte plus en amont, laisse tomber : les Caraïbes, le Nouveau Monde, sans parler de l’Afrique, c’est une constante. »
« On a ce stéréotype chez les gens qui ont connu le rap des années 90 : le piano/violon contre la sirène, mais c’est une vision tronquée. Comme pour nous c’est pas une culture mais un truc importé, on a appris la leçon par cœur alors que si c’était une vraie culture, ça se régénérerait et se réinventerait tout seul. Parfois ça se produit d’ailleurs, avec le côté africain : d’abord Passi/Bisso Na Bisso, et maintenant MHD/Afro-Trap. Ca a été digéré et ça s’est redistribué sur le territoire français, c’est là que ça devient intéressant. Griezmann et Pogba qui dansent du zouglou en 2018 devant des milliards de personne, c’est là que ça devient fort. »
Et le South dans tout ça ?
« Comme t’as dit, Death Row et Ruthless ont tellement tout éclaté fin 80/début 90 que le Dirty South était un peu dans la roue des mecs mais ils font presque le même son : déjà tous les mecs du Sud sont des fans de West. C’est pas le même lifestyle mais c’est la même approche, parfois les mêmes samples… Ils ont leur son, mais tu sens une filiation « solaire » (rires) mais si Rap-a-Lot et Luke Records avaient été sur le toit du monde à la place de Death Row, ça aurait été le même impact : on serait là à bouffer des burgers du Texas et rouler encore plus lentement dans nos voitures. Tout ça c’est juste le résultat de la guéguerre East-West des 90’s, quand tout le monde a choisi son camp. En France on a choisi NY parce que les 1ers français ramenaient de la musique de là-bas. Mais concrètement, si tu prends le Wu, c’est pas les prophètes du rap aux USA, c’est ”juste” des grands classiques, parmi d’autres grands classiques. »
Clichés
« Eazy-E n’a jamais dit “je viens de Kelly Park Compton, je suis un Crip, blablabla” mais une fois que le gangsta rap a marché, toute une génération de mecs s’est mis sur le créneau “on vient de tel bloc, etc”, alors qu’Eazy venait du même bloc, avait le même mode de vie mais ne le mettait pas en avant comme ça. Pareil pour les vêtements : j’adore South Central Cartel mais y’a rien de plus caricatural objectivement. Sur la pochette de ‘N Gatz We Truss, tu les vois avec les 9mm, les tresses et les Ben Davis. Sauf qu’ici quand on voit ça on dit ”ah tiens y’a les clowns” alors que plein de groupes East Coast sont arrivés avec les Timberlands parce que c’était un code. C’est le principe d’une mode dont tout le monde s’empare. Vers le milieu des 90’s, tous les mecs étaient des clichés ambulants, donc les rappeurs west arrivaient avec leur barbecue, leur low-ride, etc. Même si ça restait lié à leur lifestyle, cette imagerie s’explique aussi par une logique économique, parce qu’ils reproduisaient un modèle qui marchait. Une fois que ça devient une tendance, c’est la porte ouverte à tous les clichés. Y compris chez les Français hein, je me mets dedans, y’a pas de problème [Rires]. »
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