Pourquoi autant de suprémacistes blancs sont véganes

Si certains doutaient toujours qu’il existe encore aujourd’hui des nationalistes blancs, leurs doutes se sont vite dissipés cet été lors de la manifestation raciste de Charlottesville. Alors que le mouvement appelé alt-right prenait de l’ampleur sur internet et se faisait connaître pour ses idées antisémites et racistes (ainsi que pour la sympathie qu’a Donald Trump à l’égard de ses adeptes), des journalistes et des chercheurs ont tenté de le comprendre. Une poignée de leaders de l’alt-right ont été interviewés par de grands médias. Les chaînes des youtubeurs d’extrême droite ont été disséquées. Des adeptes ont été sondés à propos de leurs idées. Des messages sur Reddit ont été passés au crible pour en dégager un sens.

Mais assez peu réalisent qu’aussi étrange que cela puisse paraître, de nombreux nationalistes blancs sont végétariens, végétaliens ou véganes. Ce n’est pas qu’une coïncidence, mais l’expansion de l’un des fondements de leur idéologie : Blut und Boden (« le sang et le sol »).

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Le concept du Blut und Boden, comme on l’appelle en allemand, a été popularisé par Walther Darré en 1930 (bien que les idées à sa base remontent au siècle précédent). Darré a été le ministre allemand de l’Agriculture de 1933 à 1942, ainsi qu’un ardent défenseur de la réforme de l’agriculture dans l’Allemagne nazie. Le « sang et la terre » est devenu une partie intégrante de la nouvelle identité allemande, en mettant l’accent sur l’importance de l’héritage génétique et de l’association d’une ethnie à un territoire déterminé. Les nationalistes blancs ont chanté cette devise à Charlottesville non seulement pour déclarer que les États-Unis étaient le pays des Blancs, mais aussi que le sang des Blancs est lié au sol américain.

À cette fantaisie à propos des liens entre un peuple et la terre, l’idéologie ajoute aussi des notions de pureté raciale et de noblesse. Les choix alimentaires deviennent ainsi un moyen de montrer sa supériorité raciale.

Adolf Hitler, dont le végétarisme est bien connu, a sans équivoque associé l’alimentation à la race. Dans une série de conversations du führer avec son entourage qui ont été transcrites, il soutient que le végétarisme est un choix universellement naturel et sain en se fondant sur des « instincts ancestraux » de végétariens des humains et l’« aversion » des jeunes enfants pour la viande.

Savitri Devi a développé ces idées. Après la Deuxième Guerre mondiale, elle a écrit des livres sur le mysticisme nazi et le végétarisme éthique. Se servant de l’hindouisme comme exemple principal, elle arguait que les végétariens égoïstes s’abstenaient de consommer de la viande par peur d’être punis dans la vie après la mort, alors que les végétariens aryens prouvaient leur nature surhumaine et leur supériorité raciale en se préoccupant du bien-être de toutes les créatures sensibles.

Comment peut-on à la fois défendre les droits des animaux et bafouer ceux d’autres humains? Bien que cela puisse sembler contradictoire, l’histoire du nationalisme blanc est depuis longtemps liée au bien-être des animaux et à l’environnementalisme. Par exemple, le parti nazi comprenait une « aile verte » qui proposait des réformes environnementales, concernant notamment l’agriculture biologique, la reforestation et la protection de certaines espèces d’animaux et de plantes. En plus d’Hitler, Heinrich Himmler était aussi un végétarien qui s’opposait à la vivisection et aux autres formes de cruauté envers les animaux. Des mouvements en faveur de l’agriculture biologique associés à l’extrême droite ont émergé dans l’Australie d’après-guerre, amalgamant des notions de race, de nation, de territoire et de nature.

Pour ce groupe concerné par l’alimentation, « le sang et la terre » s’inscrit dans une vision idéalisée du véganisme éthique aryen, une partie intégrante de l’héritage et de la pureté raciale des Blancs. Ce véganisme peut servir de porte d’entrée dans le nationalisme blanc ou renforcer d’autres convictions de ses adeptes.

Ces idées ont persisté et existent toujours dans le nationalisme blanc d’aujourd’hui. Par exemple, sur aryanism.net, parmi tous les articles sur l’histoire, la philosophie et les positions politiques du nationalisme blanc, on trouve une page entière consacrée au véganisme truffée de citations d’Hitler, Hess, Devi et Joseph Goebbels. Les auteurs anonymes du site web affirment que le véganisme est « un trait caractéristique d’un authentique national-socialiste », ainsi qu’« un signe d’une sincère empathie et d’un degré de noblesse supérieure aux normes populaires actuelles ». Toutefois, il ne suffit pas d’être végane : comme Devi, on stipule que les Aryens doivent être véganes pour des raisons éthiques, et non pas simplement par vanité ou pour des raisons de santé.

On rejette donc l’association caricaturale entre le véganisme et les hippies. Le véritable archétype du végane serait un noble guerrier aryen. Ce qui justifie les représailles violentes. Seuls ceux qui ont renoncé aux attaques violentes comme la consommation de viande sont dignes de prendre part aux représailles violentes contre un monde perçu comme dégénéré. Les Aryens qui font preuve de violence en consommant des produits d’origine animale ne valent pas mieux que les non-Aryens et sont inaptes à améliorer le monde. Enfin, aryanism.net, en supposant que les fermiers aryens ne consommaient que des végétaux et des céréales, soutient que les Blancs ont une prédisposition génétique pour le véganisme, contrairement aux éleveurs et mangeurs de viande que sont les juifs.

La notion voulant que le véganisme soit en quelque sorte « naturel » pour les Blancs a aussi été propagée par un nationaliste blanc célèbre sur YouTube, Jayme Louis Liardi. Sa carrière sur YouTube a débuté en 2012 avec la chaîne Simple Vegan. À l’origine, ses vlogues étaient d’un genre très commun : des listes de livres incontournables sur le véganisme, de raisons de cesser de consommer des produits d’origine animale et des exemples de ce qu’il mange au quotidien. Mais en 2014 et 2015, son ton a changé. Il a commencé à adopter une attitude belliqueuse et à critiquer la culture moderne « dégénérée ».

Au début de 2015, il a changé l’image de sa chaîne. Il a commencé à parler de son véganisme comme un moyen d’accéder à sa vérité personnelle, une vérité découlant de son origine européenne : « C’est mon sang, c’est ma génétique. » Le nom Simply Vegan est disparu, et il plaidait désormais contre la mondialisation et en faveur de la séparation raciale. Red Ice Radio l’a interviewé et NationalVangaurd.com a relayé son vlogue Mon éveil : mondialisation contre nationalisme, deux médias internet défendant le nationalisme blanc.

Aryanism.net et Jayme Louis Liardi peuvent sembler n’être que des exceptions. D’ailleurs, tous les nationalistes blancs ne sont pas véganes ni végétariens. Toutefois, on trouve bon nombre d’exemples de promotion du véganisme au sein des groupes nationalistes blancs. Par exemple, Balaclava Küche est une chaîne YouTube végane présentée par des nationalistes blancs de Hanovre, en Allemagne. Homefront, un magazine féminin et nationaliste blanc qui traite surtout de la vie à la maison présente des recettes végétariennes destinées aux familles aryennes.

L’association entre le nationalisme blanc peut paraître insensée, mais elle montre la complexité et les racines profondes de cette idéologie, sans compter de la diversité parmi ses adeptes. Pour combattre ces mouvements racistes, on doit les comprendre, et comprendre entre autres pourquoi ils adoptent des principes que l’on associe souvent à la gauche. On aurait tort de sous-estimer la diversité au sein du nationalisme blanc.

Alexis de Coning est un doctorant en études des médias à l’Université du Colorado à Boulder, où elle étudie les mouvements sociaux réactionnaires et les politiques liées à l’alimentation.