Pourquoi le Canada vend des réacteurs nucléaires futuristes à la Chine

Tandis que le premier ministre de la République populaire de Chine, Li Keqiang, se tenait devant le Parlement canadien aux côtés de Justin Trudeau en septembre dernier, un espoir nouveau naissait au sein de l’industrie nucléaire canadienne.

Les deux hommes supervisaient une cérémonie officielle de signature de contrat entre la Compagnie nucléaire nationale chinoise (CNNC) et le géant de l’ingénierie canadien SNC-Lavalin, propriétaire de la technologie de réacteur nucléaire CANDU. Cet accord permettra d’implanter prochainement les deux prochaines générations de CANDU à 100 kilomètres au sud-ouest de Shanghai.

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L’industrie nucléaire canadienne est en plein boom, notamment grâce à la volonté du pays de réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. Or, les équipes de SNC-Lavalin développent actuellement des technologies nucléaires avancées qui nous aideront à nous défaire progressivement de notre dépendance aux combustibles fossiles, et, adoptant cette logique, de nombreux écologistes ont choisi de soutenir le développement du nucléaire.

Si tout se passe comme prévu, les réacteurs CANDU du site nucléaire de Qinshan fonctionneront grâce à des « combustibles avancés » : de l’uranium de retraitement, et plus tard, du thorium, explique Justin Hannah, directeur du marketing, de la stratégie et des relations publiques de la division CANDU du SNC.

Seuls une poignée de sites en Europe et au Japon sont capables de retraiter de l’uranium usagé aujourd’hui, et il n’existe aucune norme internationale sur ce processus. Pourtant, l’uranium de retraitement a beaucoup de potentiel, puisqu’il pourrait permettre de réduire considérablement les quantités de déchets radioactifs et de rendre les pays qui l’utilisent moins dépendants des importations d’uranium.

CANDU pourrait commencer à utiliser du thorium, ce qui, avec l’appui de la Chine, pourrait permettra de réaliser ce que les industriels appellent « le rêve du thorium. »

Le thorium a de nombreux avantages par rapport à l’uranium : il est trois fois plus abondant (et fournit une quantité d’énergie équivalente), et ne permettrait pas d’élaborer une arme nucléaire puissante car il ne produit pas de plutonium.

En revanche, il est très difficile à extraire. Son utilisation comme combustible est également très complexe, et on ne dispose pas encore de réacteurs et des chaînes d’approvisionnement adaptés. La perspective que les réacteurs CANDU soient en mesure d’utiliser du thorium, avec le soutien de la Chine, pourrait permettre de réaliser ce que les industriels appellent « le rêve du thorium », à savoir l’utilisation généralisée du carburant nucléaire le plus propre et le plus abondant que nous connaissons.

La Chine compte actuellement 36 réacteurs nucléaires en fonctionnement, 21 en construction, et souhaite doubler sa production d’énergie nucléaire d’ici 2021. La plupart des réacteurs existants sont des réacteurs à eau pressurisée classiques qui utilisent de l’uranium enrichi ; cependant, le pays a entamé une stratégie agressive visant à se procurer des réacteurs avancés capable d’utiliser de l’uranium de retraitement. La Chine a également commencé à stocker du thorium en masse, puisqu’il s’agit d’un sous-produit de l’exploitation minière de métaux – un marché que la Chine domine très largement.

La Chine montre un appétit croissant pour les énergies sans carbone, et le gouvernement a déclaré la guerre à la pollution provenant des centrales électriques alimentées au charbon. De plus, la technologie canadienne pourrait avoir une forte valeur stratégique.

« Ils ont à la fois du thorium, et de l’uranium retraité », a déclaré Hannah.

Justin Trudeau s’entretenant avec le premier ministre chinois Li Keqiang à Ottawa en septembre 2016. Image : Adrian Wyld/The Canadian Press

Le Canada devrait bénéficier, lui aussi, de cet accord sans précédent avec la Chine. « Cela pourrait faire de l’industrie nucléaire canadienne la meilleure au monde » a déclaré Jerry Hopwood, président du Réseau d’excellence universitaire en génie nucléaire, un partenariat entre 12 universités canadiennes, le gouvernement et l’industrie nucléaire canadiens.

La nouvelle entité commerciale sino-canadienne devrait être enregistrée en Chine d’ici l’été 2017, et les travaux de pré-construction devraient être réalisés entre 2019 et 2026, explique Hannah. Quant au thorium, il est prévu de l’utiliser à partir des années 2030.

Avant de savoir si le Canada pourrait un jour passer au “tout thorium”, ce qui est certain, c’est que le pays procède des réserves d’uranium de grande qualité, en abondance. La transition vers le thorium ne va donc pas de soi, et dépendra essentiellement de facteurs politiques et économiques. « À l’heure actuelle, il n’existe aucun motif économique suffisamment fort pour justifier la transition, » explique John Luxat, expert en sûreté nucléaire à l’Université McMaster. « Les services publics ne souhaitent pas se passer de l’uranium pour le moment. Mais nous savons que ce sera possible, à terme. »

Hopwood estime qu’avec les nouveaux investissements dans le secteur de l’énergie sans carbone, la résurgence du nucléaire canadien pourrait créer la surprise.

L’industrie a connu un boost en 2016 suite au soutien de l’Ontario pour la remise en état de la centrale nucléaire de Darlington, et le plan lancé en 2015 pour prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires de Bruce Power devrait coûter environ 13 milliards de dollars. De plus, SNC envisage de construire un autre réacteur CANDU en Argentine.

Actuellement, les start-up canadienne du secteur nucléaire sont à la poursuite de nouvelles technologies. Terrestrial Energy compte, par exemple, construire un réacteur nucléaire à sels fondus (MSR) rentable d’ici les années 2020.

Depuis que le concept a été développé par le Laboratoire national d’Oak Ridge dans les années 1960, il est admis que ce système est plus sûr que les réacteurs actuels. Le concept de TE, petit et modulaire, est destiné aux communautés isolées – qui disposeront alors d’une énergie sans carbone facile d’accès, sans nul besoin des installations de l’industrie lourde.

Le combustible nucléaire utilisé dans un MSR est liquide et ne peut pas fondre, car il est chimiquement lié au liquide de refroidissement à base de sels fondus. Cela signifie qu’un défaut de refroidissement – comme ce qui est arrivé à Fukushima en 2011 – n’est pas possible, a déclaré Canon Bryan, co-fondateur de TE.

Le combustible fondu est très corrosif, et les MSR devront encore prouver qu’il ne présente aucun danger. TE a malgré tout recueilli près de 30 millions de dollars d’investissements et autres subventions non déclarées pour ce projet, et a requis une garantie de prêt d’un milliard de dollars auprès du gouvernement américain par l’intermédiaire de sa filiale américaine, explique Bryan.

Si le MSR de TE pourrait utiliser du thorium comme combustible à l’avenir, son objectif est avant tout de devenir rentable le plus vite possible ; cela signifie que la société devra se contenter d’uranium pour le moment.

« Le débat progresse rapidement », explique Jerry Hopwood. « Le fait que le Canada ait la ferme intention de lutter contre le changement climatique nous met dans une position de force ».