C’est un effet secondaire bien connu des fumeurs, mais pendant longtemps les scientifiques furent incapables d’expliquer pourquoi fumer de la weed vous pousse inévitablement à bouffer un paquet de chips entier avant de vous jeter sur un McDo – en gros, pourquoi la weed donne autant la dalle.
Une étude publiée en 2014 dans la revue Nature Neuroscience donne un début de réponse : le THC, le principe actif du cannabis, agit sur certains récepteurs situés dans le cerveau qui régulent votre odorat. En gros, le THC fait en sorte que vous soyez plus sensible aux odeurs de nourriture, ce qui vous ouvre l’appétit et vous pousse donc à manger plus. En tout cas, ça marche très bien avec les souris de laboratoire.
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« La faim accroît l’acuité sensorielle, ce qui entraîne une surconsommation de nourriture. Mais les mécanismes à l’œuvre sont encore assez mal compris, écrivent les chercheurs. Nous avons découvert que les récepteurs cannabinoïdes de type 1 (CB1) stimulaient la consommation de nourriture chez les souris en augmentant leur sensibilité aux odeurs. »
Les chercheurs ont mené leurs expériences sur des souris en observant leur sensibilité à l’odeur de banane et d’huiles d’amande, et quelle quantité de nourriture elles ingéraient quand elles étaient défoncées. C’est ainsi qu’ils ont découvert qu’une dose de THC « abaissaient le seuil de détection de l’odeur, et que cet effet était clairement corrélé à la consommation de nourriture. »
Visiblement, cela s’explique par le fait que le THC se loge dans des récepteurs cannabinoïdes situés dans une zone du cerveau connue sous le nom de « bulbe olfactif ». Quand les chercheurs ont modifié génétiquement certaines souris pour qu’elles ne possèdent pas ces récepteurs, le THC n’a pas modifié leur appétit. Le blog du Smithsonian résume bien l’article et souligne également que, au-delà de leur absorption de THC, lorsque les souris génétiquement modifiées étaient forcées à jeûner pendant quelque temps, leur appétit ne s’accroissait pas. Pour les chercheurs, cela « indique que le THC et les cannabinoïdes naturels produits lors du jeûne agissent par le même biais pour nous rendre plus sensibles à l’odeur et au goût, et donc nous faire manger davantage. »
Ces résultats nous expliquent certes pourquoi fumer nous donne aussi faim, mais ouvrent aussi la porte à de potentielles applications cliniques. Savoir comment améliorer l’odorat ou augmenter l’appétit pourrait s’avérer utile pour traiter certaines maladies qui affectent les sens.
L’auteur principal de l’étude, Edgar Soria, de l’université de Bordeaux, m’a expliqué par e-mail que cette étude n’était qu’une première étape dans ce champ de recherches et qu’il y avait encore beaucoup à apprendre, mais que cela pourrait un jour avoir des applications médicales concrètes. « On sait que certaines maladies neuropsychiatriques telles qu’Alzheimer ou la dépression se caractérisent par un déficit de la perception olfactive, explique-t-il. Il est intéressant de remarquer que le système endocannabinoïde (ECS) semble jouer un rôle dans ces maladies. On peut donc penser qu’en manipulant l’ECS au sein du système olfactif, nous pourrions améliorer l’état de patients souffrant de ces maladies. »
Il insiste sur le fait qu’on en est encore loin, mais il imagine que l’on pourrait par exemple développer des sprays nasaux contenant des composés cannabinoïdes utilisés par les malades. On pourrait aussi rechercher l’effet inverse pour soigner des individus ayant un appétit trop développé. « Par exemple, dans le cas de l’obésité, on pense (mais on ne sait pas encore exactement) que le problème puisse être lié à une hyperactivité de l’ECS olfactif, détaille Edgar Soria. Dans ce cas précis, il pourrait être utile de bloquer les transmissions de cannabinoïdes vers le bulbe olfactif. »
Pour l’heure, les recherches restent limitées aux souris, et n’en sont qu’à leurs balbutiements. Soria met en garde contre la volonté de développer trop rapidement des solutions supposément thérapeutiques, comme c’est arrivé avec le Rimonabant, un médicament vendu comme un traitement anti-obésité qui bloquait les récepteurs cannabinoïdes. Celui-ci avait dû être rapidement retiré de la vente en raison d’effets secondaires inquiétants. Mais le chercheur conclut : « une meilleure connaissance des mécanismes impliqués dans la sensation de faim ne peut que nous mener à une meilleure approche thérapeutique. »