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Pourquoi j’ai arrêté d’acheter des B.O. de films d’horreur



Du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours écouté des bandes originales de film. Ma première cassette a été Kind of Magic de Queen (qui compilait les titres utilisés dans Aigle de Fer et Highlander sur un même album, autant dire qu’il y avait du niveau) et elle côtoyait les services de presse de Star Wars et Indiana Jones que recevait ma mère. J’avais encore 2001 dans un coin et les seuls à avoir échappé à ce déterminisme était Raising Hell de Run DMC et Thriller de Michael Jackson. J’allais aussi citer Purple Rain, mais… raté – ça a beau être un des plus beaux albumspop des années 80, c’est avant tout une B.O. de film.

J’ai un peu bifurqué pendant l’adolescence, mais les B.O. demeuraient un filon dans lequel je continuais de puiser d’autant plus qu’elles me permettaient de découvrir plein de films dont ne me parlaient pas les magazines de cinéma que je lisais. Je continue de penser que c’est au fil des scores que j’ai construit une partie de ma « cinéphilie » plus qu’à travers les films eux-mêmes. Musiques et visuels permettent de se construire un film mental souvent bien meilleur que le vrai. C’est là que réside la magie d’une bande originale, et de l’artwork qui l’accompagne. C’est ce qui rend une ballade en brocante bien plus enrichissante que n’importe quelle journée passée à la cinémathèque.


L’édition de The Fog de John Carpenter chez Death Waltz

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Il y a deux ans, j’ai découvert le label Death Waltz à l’occasion de leur version de The Fog, une bande originale de John Carpenter jamais exhumée dans son intégralité, malgré le très bon travail de certains éditeurs. Stéphane Lerouge faisait un super boulot en France (il avait notamment sorti une sublime édition d’Assaut), je savais que les Anglais assuraient au niveau du sourcing grâce à des labels comme Trunk (qui avait sorti à la fin des années 90 la sublime BO de Wicker Man) ou Finders Keepers, dénicheur fécond et de haute qualité. Dagored assurait aussi sur les sorties italiennes et quelques autres labels continuaient d’alimenter un marché de niche en s’attachant à des compositeurs classiques, de Hermann à Schifrin, en CD et parfois en vinyle. Mais là où Death Waltz me parlait très intimement, c’est qu’ils avaient l’air d’avoir des goûts proches des miens – leurs premières sorties concernaient presque exclusivement John Carpenter – et qu’ils semblaient tenir à « l’objet » en fétichisant exclusivement le vinyle et en faisant appel à des graphistes inspirés pour réinterpréter l’artwork des films dont ils s’occupaient.

Spencer Hickman, le fondateur du label, s’attaquait aux bandes originales horrifiques à la manière de ce que Mondo faisait avec les affiches. Et à l’époque, je trouvais l’idée pertinente et convaincante. La BO de Fog en l’occurrence, était illustrée par Dinos Chapman, un artiste anglais que j’adorais. Je trouvais l’idée aussi originale qu’ambitieuse, et je suis tombé en pâmoison devant le travail de Hickman et la passion avec laquelle il menait sa barque, d’autant qu’il était toujours dispo pour répondre à un mail. J’ai chopé la quasi-intégralité de son back-catalog en suivant religieusement ses annonces de sortie.

Pas beaucoup plus tard, j’ai découvert qu’un label belge, One Way Static, s’était embarqué dans le même type d’entreprise en ressortant les BO des premiers Wes Craven. En plus de faire ça bien, le parti pris graphique du label – un simple extrait de photo tiré du film en gros sur la pochette, minimaliste et ultra impactant quand tu te retrouves avec la gueule déterrée de Michael Berryman sur un format 30×30 – était différent de celui de Death Waltz, et il m’inspirait encore plus. Quand j’ai découvert le label américain Waxwork un mois plus tard, j’ai compris qu’il se passait un truc. Waxwork exploitait complètement la formule mise en place par Hickman, en faisant appel aux mêmes graphistes que lui – et que Mondo – pour sortir des disques un peu plus chers parce que plus luxueusement emballés.


L’édition de Re-Animator de Richard Band chez Waxwork

À la fin de l’année 2013, le marché comptait 3 labels spécialisés, tous assez récents (la première sortie de Death Waltz, L’Enfer des Zombies signée Fabio Frizzi, date de 2012) et ça m’allait très bien. J’avais même acheté ma première platine, que j’avais fièrement agrémentée d’un tapis Death Waltz pour marquer le coup, afin de pouvoir profiter de mes achats récents, mais aussi redécouvrir les plus anciens. Motivé par les bandes originales de films d’horreur, je tombais dans un enfer consumériste et honteusement tendance auquel j’avais réussi à échapper jusque-là : le vinyle.

Au printemps 2014, je me faisais le chancre de cette nouvelle tendance dans les pages du défunt magazine Metaluna. J’avais chopé Hickman et Sebastiaan Putseys (le boss de One Way Static) pour qu’on parle un peu de l’avenir de ce marché. Ils étaient particulièrement ravis de cet essor et du succès qu’ils rencontraient tous les deux. Ils reconnaissaient volontiers que sortir des cassettes était un peu gadget et qu’il fallait faire attention à ne pas tomber dans le mercantilisme et l’exploitation forcenés en s’attachant à une qualité qui demeurerait abordable. Waxwork s’apprêtait à sortir le vinyle de Creepshow dans une édition onéreuse et ultra-chargée, alors qu’en 2012, Sacred Bones avait proposé une édition d’Eraserhead pour le moins ultime au prix indécent – 60 balles, ce qui à l’époque était relativement indécent pour une sortie vinyle, qui plus est, une bande originale. Quelques mois plus tard, les deux hommes s’associaient pour annoncer la sortie conjointe de Cannibal Holocaust, un graal pour l’amateur de BO de films d’horreur en vinyle, puisque le chef d’œuvre de Riz Ortolani n’était jamais sorti dans ce format particulièrement approprié à son ambiance boueuse.


L’édition de Cannibal Holocaust de Riz Ortolani chez One Way Static

Pourtant, l’excitation provoquée par la nouvelle allait retomber rapidement. Dans un communiqué, les deux labels annonçaient que la sortie prévue en octobre 2014 devait être repoussée à février 2015. La raison évoquée était un peu crispante : Mondo, qui entre temps était devenu une espèce de nouveau jalon du cool, avait repéré qu’il se passait quelque chose au niveau de Death Waltz – qu’ils n’avaient pas attendu pour sortir quelques BO marquantes en vinyle – et tenait absolument à pouvoir sortir Cannibal Holocaust sur le territoire américain conjointement à sa sortie européenne. De fait, il allait falloir attendre encore quelques mois avant de pouvoir mettre le disque d’Ortolani sur sa platine, de peur que les fans américains chouinent un peu trop fort. Allez vous faire foutre.

J’ai trouvé la manœuvre assez basse et commencé à réaliser qu’à l’instar des comics dans les années 90, le petit milieu de la bande originale de films d’horreur était devenu un marché dans lequel les offres les plus insignifiantes se disputaient les prix les plus ridicules pour le plus grand plaisir d’une bande de mecs rêvant de s’offrir un apparat de coolitude (dans le pire des cas. Et une part du gâteau dans le meilleur. Les mois précédents, les labels avaient commencé à se multiplier, en plus des majors qui s’engouffraient de manière opportuniste dans la brèche pour ressortir en vinyle leur vieux catalogue et leur plus récent. Strange Disc, Lunaris ou Terror Vision proposaient des titres qui misaient sur une plus value « culte » et « obscure » plutôt que musicale. Surf Nazis Must Die ou Street Trash (dont le master semble tiré d’un rip VHS) faisaient injustement de l’ombre au sublime Beyond the Black Rainbow en étant rangé sous la même étiquette « bande originale de film d’horreur en vinyle ». Un truc clochait. À côté de ça, le boulot d’illustrateurs abjects avait pris le pas sur celui des graphistes, et ça n’avait l’air de choquer personne (cf. la majorité des sorties Death Waltz depuis Forbidden World et Mrs. 45).


L’édition de Street Trash de Rick Ulfik chez Lunaris

Mon mépris grandissant pour Mondo n’a fait que se confirmer quand ils ont fini par racheter Death Waltz. Je n’ai jamais compris les dessous de l’affaire, les explications données étant relativement cryptiques, mais à mon niveau ça voulait dire deux choses : ça devenait plus relou de communiquer avec Hickman, mais surtout, il allait falloir que je douille grave en frais de port pour choper les sorties du label qui m’intéresseraient, tout ça parce que des mecs voulaient s’offrir une crédibilité acquise par un autre, qui bouffait une part de leur « marché ». De telle manière qu’à la sortie de Cannibal Holocaust en février dernier, j’ai compris que rien ne serait plus jamais pareil.

L’importance donnée à l’événement – plusieurs artworks en fonction du continent allant de la laideur absolue (chez Mondo) au minimalisme acceptable (chez One Way Static) – me semblait tout d’un coup complètement vaine, voire, franchement vaniteuse. Par ailleurs, hormis la BO du Venin de la Peur, Death Waltz semblait s’essouffler un peu et commençait à se consacrer à des sorties de groupes récents pas inintéressants par ailleurs, inspirés par Carpenter et Goblins, en soutenant/phagocytant des petits labels comme Giallo Disco. Hickman avait déjà déclaré que la reprise de Ténèbre par Justice l’avait motivé à lancer Death Waltz. La boucle était bouclée.

Attristé et grommelant, j’ai eu du mal à m’éloigner de ma dernière lubie, puisque Milan annonçait le mois suivant la sortie de la BO de It Follows, un des meilleurs trucs que j’ai vu et entendu cette année. Je me suis dit qu’il restait heureusement quelques mecs pour faire les choses simplement en ce bas monde. Même pas. J’ai découvert qu’ils avaient fait appel à Nicolas Winding Refn pour foutre un coup de projecteur sur une partie de leur catalogue, qui incluait It Follows. Là j’ai vraiment chopé les boules. Non seulement il allait falloir que j’ai le logo Mondo sur mes disques – certes j’avais déjà ceux de L’Au-Delà et de Blue Sunshine – mais j’allais devoir choper un disque « présenté par Nicolas Winding Refn ». Putain. Un seul. Pas deux.


L’édition de It Follows de Disasterpiece « présentée par Nicolas Winding Refn » chez Milan

Quand Milan a annoncé qu’ils ressortiraient sous la même étiquette la BO de Robocop avec un maginfique artwork de Jay Shaw, je n’y ai même pas prêté attention. Ou du moins j’ai fait genre. J’ai déjà la BO de Robocop, ils n’allaient pas me la faire racheter. Tout comme quand Death Waltz a annoncé la ressortie d’une des meilleures BO d’horreur de tous les temps, celle de Phantasm, accompagnée d’une illustration à gerber. Merci Seigneur, j’avais déjà ce disque dans ma collec. J’ai tout de même chopé Phase IV chez Waxwork – malgré un visuel dégueulasse lui aussi, dommage quand on sort la BO du seul film de Saul Bass, le plus grand graphiste de tous les temps – et Nightbreed – putain cette pochette infernale… – mais j’ai passé la main sur celle de C.H.U.D., pourtant un de mes films de monstres des années 80 préférés. J’ai su alors que j’avais laissé toute cette merde derrière moi.

Les disques hors de prix – aujourd’hui, c’est dur de taper une sortie à moins de 40 balles, en boutique ou en commande -, les forums pollués par des crétins s’extasiant devant des illustrations à peine dignes du fan art publié par Mad Movies en 1984, les sorties insensées qui rivalisent d’obscurité plutôt que de qualité (simplement parce que les droits sont moins chers, ou qu’on peut plus facilement essayer de faire croire qu’il n’y a pas d’ayant-droits), les précommandes et les effets d’annonce dirigées par le besoin de « créer le buzz ». J’ai décidé de laisser derrière moi un truc qui proposait sans discernement la bande originale de L’Au-Delà (chef d’œuvre) et celle de Not of this Earth (parfaitement médiocre). Je suis prêt à lâcher 30 balles dans un disque important, mais tous ces éditeurs devraient comprendre que toutes les BO ne se valent pas. Et certaines ne méritent pas un pressage en 180g dans une pochette rigide (et encore moins double). Un peu de détachement les pousserait à reconsidérer leur politique éditoriale.

Vendez moi la BO de C.H.U.D. 15 balles – ou n’importe quelle merde mongolienne qui m’inspirerait un peu – sur du vinyle noir et léger, dans une pochette qui se décollera en deux semaines, et vous aurez récupéré un client. Les considérations dont on entoure un objet qui devrait rester simple et abordable finissent par lui donner une importance et un vernis glamour qu’il ne mérite pas, dans la plupart des cas. A vrai dire, 75% des trucs qui sortent aujourd’hui ne mériteraient même pas d’être sauvés du carcan blogspot 128 Kbps.


L’édition de C.H.U.D. de Martin Cooper & David A. Hughes chez Waxwork

La frénésie galopante qui entoure les bandes originales ces deux dernières années n’a pas eu que de mauvaises retombées cependant. Outre des concerts de Fabio Frizzi et bientôt de Carpenter, je suis convaincu qu’elle n’est pas pour rien dans le fait que j’ai acheté trois BO de films sortis cette année. Parce qu’elles étaient démentes, et que certains « décideurs » se sont probablement rappelés qu’il pouvait être profitable de vendre un film sur sa musique en retombant sur les titres de Death Waltz et consors, qui mettent aussi à l’honneur des compositions récentes. Mais surtout qu’il y avait une clientèle, s’il leur venait à l’idée de la sortir en vinyle.

Par ailleurs, face à un catalogue visiblement trop pauvre pour être exploité à foison, certains ont préféré prendre la tangente. Depuis la rentrée, je louche du côté de Data Discs, qui fait un très beau boulot d’édition des musiques des classiques de Sega. L’entreprise semble sincère, mais je doute que ces mecs se soient autorisés à lancer leur affaire, et surtout des sorties qui finissent elles aussi entre 35 et 40 euros, si Death Waltz n’avait pas auguré cette aberration il y a seulement 3 ans.

« J’ai un peu peur de sursaturer un marché de niche et de le tuer prématurément », déclarait Spencer Hickman à Pitchfork fin 2013. En 2015, il n’a plus à s’inquiéter, les autres s’en sont occupés pour lui, et en ce qui me concerne, ils ont bel et bien tué le marché. Ma platine ne me sert plus qu’à passer du McCartney et du Steely Dan. La meilleure BO que j’ai entendue récemment n’est dispo que sur Bandcamp. Et ce n’est même pas un film d’horreur.

Virgile Iscan est le meilleur d’entre nous. Et il n’est même pas sur Twitter.