Berlin, une soirée trop arrosée qui s’est étirée jusqu’à devenir trois jours de fête – pis quand je dis « arrosée », je parle de pisse et de sueur. On a terminé tout ça à cinq amis dans un after dans Neukölln, le quartier cool de la capitale allemande. Si ce n’était pas des photos qu’on a prises, je n’en aurais aucun souvenir à cause des mélanges de ci et de ça qu’on a faits.
Le lendemain, après être sorti du coma, je rencontre un gars sur Grindr qui est collectionneur d’art gai. Il me montre ses toiles dans lesquelles je vois des choses des plus variées : deux gars qui s’embrassent, un gars qui se fait fister, une femme en militaire avec un strap-on qui met Hitler. En échange, je lui montre les photos de mes amis nus et je lui raconte nos aventures en rendant le tout plus grand que nature. Rien de ce que je dis n’est un mensonge, mais j’enlève les bouts plates, j’accélère les moments passés en file pour les toilettes et pour entrer dans le club, je me concentre vraiment sur les moments où mon ami bandé enlève son pantalon.
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Il y a de ces choses que je voudrais partager avec mes amis à Montréal, mais qui se partagent juste très mal en story de quinze secondes sur Instagram ou en photo sur mon compte. Au Buttons, mon ami Bert m’a invité sur son finsta – un Instagram privé où tu invites juste tes amis les plus proches – où il met des photos prises en coulisses des gens aux Fashion Weeks partout autour du monde. Vu qu’il y a quinze abonnés max, personne ne le signale.
Je couche avec le collectionneur d’art rapidement – il a un très beau corps, mais on s’entend les deux pour se dire qu’on n’a pas vraiment de chimie sexuelle, too bad – pis encore dans son lit, je décide de me créer un compte où je vais mettre sans gêne mes moments de fête les plus trashs, en ayant choisi un public à qui ça pourrait plaire. Voici voilà, seulement pour mes amis.
Voici : moi au soleil des petites heures du matin emboîté dans Ben, les deux corps fusionnés à cause de la kétamine, dans le parc du Tempelhof. Je prends le moment en photo. Évidemment, on fait dur avec nos cernes de trois jours sans sommeil et notre manque d’hydratation, mais je garde cette photo précieusement.
Voilà : une photo de la figurine que j’ai volée au collectionneur d’art. Je suis parti en courant de chez lui avec cette petite affaire qui pourrait être fait en plasticine : un gars à quatre pattes avec l’anus déchiré. Je ne sais pas si ça vaut des millions ou si ça vaut des pinottes. Ça aussi, je le garde précieusement.
De retour à Montréal, j’ai essayé de trouver des solutions pour exporter le projet au grand public, des photos accompagnées d’un texte littéraire, mais hors de mon groupe restreint d’amis. J’ai décidé à ce moment-là que le projet serait anonyme. Sur mon finsta, avec un maximum de trente témoins, je me sentais libre de parler de tout, sans gêne, sans limites. À partir du moment où je publiais sur le compte @carnetunderground, je pouvais écrire librement sans penser à choquer mes grands-parents ou à déplaire à mon boss. On a remplacé les photos par des illustrations le plus souvent homoérotiques qui se basent sur les anecdotes. Ça devient un genre de safe space textes et images.
Les illustrations font partie intégrante du projet, maintenant. J’imagine plus vraiment les Carnets sans elles. Un ami illustrateur, @cumpug sur Insta, les dessine. Ça permet la rencontre de deux imaginaires qui interprètent juste un peu différemment la culture queer et la culture du rave.
Dans Légende, le premier texte de la série, je raconte comment faire de « la soupe » m’a fait tomber amoureux par-dessus la tête du gars qui s’occupe du casting chez Vogue New York. « Faire de la soupe », ça veut dire mettre dans un tas les fonds de poche de tout le monde : md, extasy, speed et kéta, en plus de l’alcool et du GHB pris au préalable.
Ça a l’air de rien, mais ce genre d’amour est irréversible. Tu mélanges tout ça et la première personne que tu vois, tu y es attaché à vie.
Dans Porno maison, le deuxième texte de la série, j’explique comment j’ai voulu plaire à quelqu’un qui avait le fétiche de posséder des vidéos compromettantes de gars. Il n’a pas défini « compromettant », mais je voyais le genre. Encore high sur la kéta, vers 9 heures du matin en revenant du Buttons à Berlin, je me déshabille devant la caméra et je filme au moins une cinquantaine de fois pour obtenir une vidéo parfaite.
La vidéo n’est pas parfaite, et la réaction du gars me l’a franchement fait savoir.
À une époque où on est obsédé par l’idée de se représenter, de s’identifier sur toutes les photos et de laisser sa trace, je trouve que l’anonymat a quelque chose de subversif. Dans les soirées club kids, avant de partir, on se maquille, on s’arrange, ensuite on veut se faire prendre en photo. J’ai choisi de créer une sorte de dark room littéraire, où on reconnaît un peu, mais pas tout à fait, les gens.
Je mets des mots sur des moments qu’on a tendance à oublier à cause des black-outs et de trop d’alcool. Je les exprime avec un langage poétique, souvent cru : celui de la scène underground. Et depuis que j’ai entamé le projet, je me suis mis à me pousser un peu plus loin, juste pour voir. Par exemple, vers six heures du matin, sur le penthouse d’un gars que j’avais rencontré la soirée même, je me suis plaint que la soirée était trop soft. Je vais être seulement content quand lui et elle enlèveront leur chandail. Leur pantalon. Leurs bobettes. Le lendemain, j’écrivais, inspiré, le dénouement de la soirée.
Mon ami J.-F., « la reine du Unity » comme je l’appelle dans un texte à venir, m’a dit l’autre jour que de lire les nouvelles d’affilée, ça me donnait l’air d’un gars vraiment intense qui ne doit pas dormir beaucoup.
Ce n’est pas faux.
Je suis conscient que le projet est une sorte de glorification de ce mode de vie. Mes stories canalisent l’énergie des partys et j’essaye de me limiter à ça. Trouver ce qui est poétique dans ce matériau rarement exploité. Dans les textes à venir, j’insiste un peu pour montrer les down times d’une vie comme celle-là. Les déprimes des milieux de semaine quand tu as fait de la MDMA le samedi. On se vole l’énergie des jours à venir quand on prend de la drogue comme la coke. J’ai aussi pris de très mauvaises décisions concernant la drogue et j’ai souvent été pathétique. Je voulais écrire à propos de ça, aussi. N’importe quoi d’un peu plus personnel et senti que les milliers de profils d’influenceurs.
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