L’organisation terroriste État islamique poursuit une sinistre stratégie de communication : pour enterrer les mauvaises nouvelles, rien de mieux qu’une attaque soudaine et ultra-violente. Le groupe a déjà utilisé cette tactique à plusieurs reprises, et c’est ce que semble avoir à nouveau voulu faire l’EI ce vendredi à Paris.
En début de journée, ce vendredi, les États-Unis avaient annoncé la mort probable (dans une attaque de drone) de Mohammed Emwazi, plus connu sous le surnom de « Jihadi John », qui est apparu dans plusieurs vidéos de l’EI où des otages sont décapités. Plus tard, le groupe terroriste a subi deux défaites militaires majeures et bien plus significatives de l’état de santé de l’organisation. Les forces kurdes peshmergas ont repris des mains de l’EI la ville de Sinjar. Quasiment au même moment, les combattants des Forces démocratiques syriennes menés par les Kurdes ont saisi la ville stratégique de Al-Hawl dans le nord-est syrien. Ces deux victoires bloquent les accès routiers aux deux principales villes de l’EI : Rakka et Mosoul.
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La journée de vendredi s’est terminée avec les attaques simultanées de plusieurs lieux de vie parisiens, où 129 personnes ont été tuées selon un bilan encore provisoire. Dès le samedi matin, l’EI a revendiqué ces attaques multiples dans un communiqué.
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À ce stade, il semble être plus facile pour l’EI de mener une attaque dans une ville européenne que de gagner une victoire militaire en Syrie ou en Irak. Les frappes aériennes de la coalition internationale menée par les États-Unis et les forces locales au sol commencent à donner des résultats probants dans leur combat contre l’EI.
L’attaque à Paris, comme le crash de l’avion russe dans le Sinaï revendiqué aussi par l’EI, représente une remarquable inversion des rôles dans la querelle qui oppose l’EI et son géniteur, Al-Qaïda. L’EI se vantait d’être capable de prendre le contrôle d’un territoire au Moyen-Orient, écornant par là l’image d’Al-Qaïda, une organisation terroriste à l’ancienne, qui s’appuyait sur des attaques spectaculaires, mais sans effet stratégique, en Occident.
Mais dorénavant, l’EI commence à perdre du terrain et prendre l’eau d’un peu partout en Syrie et en Irak, alors que la branche syrienne d’Al Qaïda, Jabhat Al-Nosra, a dévoué toute son énergie à calmer toute tentative de construction d’un État dans les zones sous son contrôle.
La méticuleuse coordination et sophistication des attaques de Paris indique que le projet a été préparé bien en amont, mais qu’il a peut-être été déclenché à la hâte pour répondre aux récentes défaites militaires du groupe. Le but d’une telle attaque est double : introduire la peur parmi les Occidentaux, mais aussi rassurer les partisans de l’EI (notamment ceux présents en Occident) — les récentes défaites militaires seraient juste un accroc, voilà le message.
Avant même que l’EI ne revendique l’attaque de Paris, des comptes Twitter non-officiels de partisans de l’EI se sont réjoui des attentats simultanés, leur permettant de rompre leur relatif silence suite aux défaites de la journée.
Il est encore trop tôt pour prévoir les conséquences politiques et diplomatiques de l’attaque. Le président François Hollande a décrit cette attaque comme un « acte de guerre » qui mérite une « sévère riposte, » posant ainsi les bases d’une réponse globale — qui pourrait prendre la forme de l’invocation de l’article 5 de l’OTAN, permettant une attaque globale contre l’EI.
Difficile de savoir pour le moment ce que la France peut faire contre le groupe — à part peut-être envoyer des troupes au sol, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Les avions de combat français, dont ceux qui partent depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle, frappent les positions de l’EI en Syrie et en Irak. Récemment, la France a pris part à un effort commun avec les États-Unis, pour briser le business de la vente de pétrole de contrebande par l’EI.
La France est une puissance militaire importante, comme le Royaume-Uni par exemple, mais n’a pas les moyens de renforcer unilatéralement le combat contre l’EI. D’autant plus que le pays est déjà engagé en Afrique — notamment au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane. Si tant est que les citoyens français soutiennent une intervention au sol en Syrie et en Irak, la capacité de la France à envoyer des soldats sur le terrain, sans le soutien de l’OTAN ou des États-Unis, est maigre. La violence de l’attaque à Paris pourrait en revanche encourager David Cameron, le Premier ministre britannique, à renforcer son engagement militaire en Irak et en Syrie.
Une issue plus probable serait de voir la France apporter son soutien aux deux groupes les plus efficaces dans la lutte contre l’EI : les forces armées kurdes peshmergas et les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes, accompagnées de leurs alliés arabes notamment les Forces démocratiques syriennes. Cela pourrait être plus facile à vendre à l’électorat français, plutôt que d’envoyer des troupes françaises au sol. Comme cela a été le cas en Libye, les forces spéciales françaises pourraient former ces groupes pour les rendre plus efficaces et leur apporter des renseignements aériens. Ainsi, la France pourrait les aider pour les prochaines batailles prévues, notamment l’assaut contre Rakka, la capitale de l’EI, vers laquelle les Forces démocratiques syriennes avancent.
L’EI et ses partisans sur Internet installés en Occident clament que les attaques de Paris sont une réponse aux frappes françaises en Syrie et en Irak contre l’EI. Cette justification est hypocrite : l’EI avait pris en otage des Occidentaux bien avant que les puissances occidentales n’interviennent, avec le but de se faire connaître aux yeux du monde entier. Bien avant le début des frappes américaines, l’EI avait aussi défié l’Amérique de faire quoique ce soit, menaçant directement les États-Unis dans une vision millénariste qui consiste à entraîner le monde entier en guerre.
L’EI frappe les intérêts occidentaux parce qu’il le peut, et parce que l’organisation subit des défaites sur le champ de bataille. L’Occident a ignoré la guerre en Syrie le plus longtemps possible. Maintenant, Paris — et le reste de l’Occident par extension — va assister aux funérailles des victimes, aux manifestations qui vont suivre et voir les militaires faire des rondes dans la capitale française.
La guerre en Syrie se retrouve au coeur de l’Europe, et des attaques comme celles de vendredi vont se répéter jusqu’à ce que la communauté internationale s’accorde enfin pour mettre un terme à ce conflit une fois pour toutes.
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