J’aime la solitude. Pour être honnête, la colocation, le covoiturage et les festivals me donnent envie de me jeter dans l’océan avec un congélateur accroché à la cheville. Cette volonté de me couper de mes congénères est sans doute une réponse au fait que mon travail – journaliste – et la ville dans laquelle je vis – Paris – m’oblige à y être constamment confronté. Il s’agit donc très clairement d’un choix de riche. Mais si l’expression « sans amis » reste l’insulte ultime à destination de tous les collégiens qui ont des pantalons en velours trop courts et des notes trop élevées, c’est bien parce qu’elle touche une corde sensible.
Selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) à destination de la Fondation de France publiée en décembre dernier, cinq millions de Français seraient en situation de solitude, soit un Français sur dix. S’il y a toujours eu des « sans amis » dans nos classes, la situation devient relativement problématique puisque l’étude révèle qu’entre 2010 et 2015, on dénombre un million de personnes seules en plus. Et non, cela ne concerne pas que les vieux. La situation des 18-29 ans, qui étaient « jusque-là préservés » affirme l’enquête, s’est considérablement aggravée au cours de ces quatre dernières années. Les jeunes – vous, donc – ne sont désormais plus épargnés.
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Pour s’en rendre compte, il suffit de traîner quelques minutes sur des forums pour tomber face à de nombreux SOS, telles des bouteilles envoyées à la mer. Sur le forum du site psychologies.com, on peut voir l’utilisateur Gchet expliquer : « Salut j’ai 17 ans et je n’ai personne avec qui sortir ou parler », ou encore Mbx21 en train de prendre conscience de sa solitude : « Depuis peu j’ai réalisé que je n’avais pas d’amis, personne sur qui compter. Je suis lycéenne et pendant les vacances scolaires personnes ne m’a appelé pour à sortir ou même pour prendre de mes nouvelles ». D’autres, comme Patricia, écrit à la chroniqueuse Lucile Bellan que : « Personne ne me voit. Socialement, je n’existe plus ». Si certains de ces messages peuvent paraître misérabilistes, ils restent représentatifs de la vie de Français qui n’ont effectivement personne avec qui parler, aller au cinéma ou fumer leur première clope en cachette.
Avant d’esquisser un sourire narquois parce que vous êtes un être entièrement dépourvu d’empathie, sachez que vous êtes peut-être l’un d’eux sans même le savoir. L’étude pour la Fondation de France affirme que pour ne pas être en situation de solitude, il faut avoir des contacts réguliers avec des personnes de vos cercles familial, professionnel et amical en même temps. Passez vos soirées à boire des pintes avec vos collègues au bar du coin ne fait donc pas de vous quelqu’un de populaire, mais de statistiquement seul. Même chose donc, si à l’inverse vous ne parlez à personne au bureau et avez « toujours quelque chose de prévu » alors que vous ne pensez qu’à rentrer chez vous pour terminer Resident Evil 7.
De la même manière que l’écart entre les riches et les pauvres s’accentue, celui entre ceux qui ont des amis et ceux qui n’en n’ont pas s’aggrave logiquement lui aussi. Anne, une jeune femme de 36 ans avec qui j’ai pu discuter sur Twitter, m’expliquait comment sa solitude extrême est arrivée pour des raisons économiques : « J’ai pris conscience de cette solitude quand je me suis retrouvée sans emploi, dans une région où je ne connaissais personne. Je voyais mon conjoint partir au travail, ma fille partir au collège. Et moi, je restais entre mes murs. » Arnaud Fontaine, un psychologue qui travaille avec de jeunes adultes détaille : « Dans bien des cas, il y a un repli sur soi. On a l’impression que personne ne nous comprend, de ne pas être compatible et adapté à la société. Cela peut souvent donner des idées noires ». La solitude est surtout toujours perçue comme quelque chose d’anormal dans une société où les interactions sociales se multiplient grâce aux nouvelles technologies. Arnaud Fontaine estime que « la solitude des jeunes débute souvent par une hyper connectivité. Ils sont dans la quantité et mettent en scène leur vie, mais que sur du positif qui n’est pas toujours représentatif de leur quotidien ». Rien d’étonnant donc à ce qu’une enquête ait mis en évidence que le temps passé sur Facebook est inversement proportionnel au sentiment de bonheur ressenti dans la journée.
« Quand la nuit tombe, notre côté animal ressort. On se retrouve alors face à soi-même et c’est toujours là que la solitude se fait sentir » – Arnaud Fontaine
Selon John T. Cacioppo, sociologue à l’université de Chicago, explique dans son livre Loneliness: Human Nature and the Need for Social Connection, « Admettre que vous êtes seul revient à vous coller un gros S sur le front ». Anne, la jeune femme avec qui j’ai pu discuter me confirme ce sentiment : « J’étais honteuse, dans le sens où j’ai perdu ma place dans la société. C’est une perte d’indépendance et plus encore, d’identité. Je n’en parle pas car je finis par me renfermer. La solitude appelle l’isolement au bout de plusieurs années. » Arnaud Fontaine confirme cela : « Pendant l’adolescence, on est dans la construction de son réseau et de son identité. C’est donc la course au nombre car la société fait qu’on a besoin de se montrer en compagnie pour se valoriser. L’homme est un animal grégaire. » Il est donc compliqué de dire qu’on est seul.
Si vous vous demandez ce qu’on fait quand on a personne, Anne peut en témoigner : « On “essaie” de prendre soin de sa famille, on s’occupe des repas, du linge, du ménage, des démarches administratives, de la recherche d’un emploi » dit-elle. « Et soi même ? Et bien on oublie. On est seule et on fait avec », termine-t-elle. Mais tout n’est jamais complètement noir. Une étude réalisée en 2016 par les neuropsychologues Satoshi Kanazawa de la London School of Economics et Norman Li de la Singapore Management University, publiée par le British Journal of Psychology, montre que les 18-29 ans solitaires ont un QI très souvent nettement supérieur à ceux qui sont ultra sociabilisés. Si passer du temps avec vos amis vous rend malheureux, c’est donc que vous êtes potentiellement plus intelligent que la moyenne. Ce à quoi Arnaud Fontaine ajoute : « Les gens très sociabilisés veulent à tout prix se conformer à la société. La pression sociale est plus lourde pour eux. Les autres, ceux qui le sont moins ou pas, prennent de la distance face à cela et préfèrent cibler leurs propres besoins. »
Gardez donc espoir sur la suite de votre vie et mettez cette intelligence à profit. Pour Carol Graham, psychologue du bonheur contactée par le Washington Post qui a relayé l’étude, cela ne fait aucun doute : « Les jeunes qui sont intelligents passent moins de temps avec les autres car ils sont focalisés sur des objectives à long terme plus importants. » Sont-ce pour autant de simples opportunismes ? Évidemment, non.
Selon Satoshi Kanazawa et Norman Li, le cerveau des gens intelligents est en fait calqué sur notre monde ancestral, à l’époque où les tribus vivaient en Afrique au beau milieu de plaines. Notre cerveau ne serait en fait pas adapté pour des villes comme Paris où vivent 21 000 personnes au kilomètre carré. Les gens intelligents arriveraient donc à s’extirper de cette densité oppressante pour finalement se concentrer sur l’essentiel – comme nos ancêtres d’Afrique qui se focalisaient sur leurs ressources et la chasse. Ce serait donc à la fois une preuve d’intelligence, mais aussi à un retour à des instincts primaires face à une société hyper connectée.
Malheureusement, cela implique évidemment quelques effets secondaires. Se sentir seul n’est peut-être pas simplement une question de quantité d’interactions sociales. Selon John T. Cacioppo, il vaut mieux avoir deux amis « de qualité » plutôt que des centaines d’interactions sociales éphémères. Arnaud Fontaine ajoute : « La solitude est concept ressenti, pas forcément réel. Il s’agit donc clairement de qualité plus que de quantité. C’est un mécanisme conscient. »
Si nos sociétés font tout pour lutter contre l’obésité, l’alcoolisme et le tabac, aucun médecin ne peut prescrire quoi que ce soit contre la solitude. Pourtant, la solitude peut faire autant de ravages que le tabagisme ou les maladies cardiovasculaires. C’est pour cela que des initiatives se lancent partout, notamment en France avec l’Association française des solos. Cette structure combat la solitude de tous en proposant des activités dans toutes les régions – genre un bowling – que chacun peut rejoindre pour se faire des potes. Bien évidemment, ce genre d’association s’adresse surtout aux seniors. On voit mal des lycéens se taper un Madison le dimanche après-midi dans la salle des fêtes avec de parfaits inconnus – même si au fond, ils rencontrent bien des étrangers en permanence sur Tinder.
À défaut de « soigner » la solitude de toute une génération, certains ont flairé l’odeur de l’argent. Rent a Friend est une société anglaise qui vous propose de louer un ami pour 12 euros de l’heure. Preuve que les jeunes sont bien touchés par la solitude, la demande la plus posée sur le site est la recherche d’un partenaire pour une soirée étudiante de fin d’année. Mais la solitude est parfois un choix dont certains ont besoin, comme moi. Les skippers qui prennent la mer pour des courses de plusieurs semaines, seuls sur leur bateau au milieu de l’océan, adorent ça. Mais la solitude est naturelle : « Quand la nuit tombe, notre côté animal ressort. On se retrouve alors face à soi-même et c’est toujours là que la solitude se fait sentir », termine Arnaud Fontaine. Bon courage pour ce soir.
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