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Pourquoi le Big Mac a changé la face du monde

1967. Ronald Reagan devient gouverneur de Californie. Jimi Hendrix commence à mettre le feu à sa gratte et le Dr. James H. Bedford devient la première personne à se faire cryogéniser. La contre-culture pacifiste bat son plein. Pour la jeunesse américaine, c’est le fameux « Summer of Love ».

Pendant ce temps, dans la petite bourgade de Uniontown en Pennsylvanie, un McDonald’s détenu par Michael « Jim » Delligatti se met à servir un cheeseburger qui allait marquer la culture américaine tout aussi profondément que les événements précédemment cités. Le Big Mac était né.

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Deux steaks hachés, une tranche de fromage industriel, des cornichons, des oignons, de la laitue iceberg, une « sauce spéciale » complètement dingue et une troisième tranche de pain révolutionnaire. Delligatti venait de créer un véritable monument de la restauration rapide. Le burger est devenu depuis bien plus que la somme de ses ingrédients. Il forme un tout mythique dont l’influence peut être ressentie bien au-delà de l’arche dorée.

Cuistots, journalistes, stars de YouTube et ancien salarié de McDo ont tous un avis sur le passé, le présent et le futur de ce burger et de sa légende qui symbolise à lui seul les Etats-Unis d’Amérique et la culture fast-food.

La Supernova Big Mac

D’abord, le Big Mac ne s’est pas toujours appelé comme ça. À l’origine, il avait été baptisé « The Aristocrat » – parce qu’il se posait comme le hamburger de luxe du menu de McDo. Sans surprise, ce nom très snob n’a pas plu aux masses populaires qui fréquentaient la chaîne. Il sera temporairement renommé « Blue Ribbon Burger » ce qui n’était à l’évidence pas la meilleure des idées.

Finalement, c’est une petite secrétaire du département publicitaire de McDo, Esther Glickstein, 21 ans, qui propose l’idée du « Big Mac » en 1967. Un responsable marketing était venu la voir en panique pour lui demander une idée de nom avant un meeting et elle a sorti ça sans réaliser qu’il allait s’agir du nom d’un des produits les plus vendus au monde. Bien sûr, tous les hommes du bureau se sont bien moqués d’elle en mode Mad Men et il a ensuite fallu 17 ans pour que McDonald’s reconnaisse la contribution essentielle d’Esther.

Deux ans après ce changement d’identité, le « Big Mac » est au menu de tous les McDo du pays et représente déjà 19 % des ventes totales de la chaîne.

« C’est une légende. Son histoire est intéressante mais ce qui est marquant dans le Big Mac, c’est son goût », assure Dan Coudreaut. En plus d’être chef, Dan est aussi vice-président du secteur « innovation culinaire » chez McDo. Son job est donc d’imaginer de nouvelles créations dans les laboratoires de la chaîne. Malgré ses tentatives, le Big Mac reste la colonne vertébrale de McDo.

« Le Big Mac a un goût qui traverse les époques, un goût qui plaît à tous, à travers le monde. L’unique combinaison de ses ingrédients créé une harmonie parfaite. Cela fait 50 ans que l’on sert des Big Mac et ça reste un des produits les plus populaires de notre menu. En mars dernier, on en a même vendu deux fois plus en proposant une promotion exceptionnelle, les Millenials ont adoré. »

Les saveurs du Big Mac jouent sur tous les tableaux : le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami. C’est la perfection absolue.

Pour expliquer comment un burger des années 1960 plaît toujours à une génération de kids habitués à se faire péter les papilles gustatives à coup de têtes brûlées, de sodas acides et d’autres trucs bien chimiques, Dan invoque la parfaite harmonie des ingrédients du Big Mac. Comme un nombre d’or.

« C’est ce soupçon de moutarde et nos cornichons qui font la différence. L’arôme de la sauce est fort et quand on mord dans ce burger juteux, la salade vient apporter une touche croquante. Les saveurs jouent sur tous les tableaux : le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami. C’est la perfection absolue. D’ailleurs, on ne cache pas les ingrédients de notre sauce. Vous pouvez regarder ma vidéo YouTube ! »

Ouais, bien sûr Dan, on va faire ça.

Bao Mac

Dan n’est pas le seul chef à prendre le Big Mac au sérieux. Il est pour beaucoup une source d’inspiration, un sorte de « burger muse ». Il y a d’ailleurs un fait irréfutable : rien dans le monde n’a exactement le même goût que le Big Mac alors qu’il est reproduit environ 2,4 millions de fois par jour sur la planète. Bref, ce « je ne sais quoi » d’inimitable pique la curiosité des cuisiniers.

« Pendant des années, je me suis dit que le Big Mac me rappelait un truc. J’ai réalisé ensuite que ça me rappelait la bouffe chinoise », avoue Nick Liu, le chef et propriétaire du Dai Lo. « Mais je n’arrivais pas à dire quoi exactement. Et d’un coup, j’ai percuté. »

Le Big Mac Bao Bun de chez Dai Lo à Toronto. Photo de Luis Mora.

En mordant dans le pain au sésame du Big Mac, Nick se souvenait en fait des baos de son enfance. « Pour moi, le Big Mac est une expérience complètement nostalgique, un truc qui me renvoie direct à mon grand-père. Il venait me chercher et on allait au McDo. J’étais toujours super impatient de prendre un Big Mac. C’est un truc précieux pour moi, et c’est pour ça que j’adore le McDo », confie Nick.

Je pense que les gens ont tort de critiquer McDo à tout va. Ne venez pas me dire que maintenant, ça vous dégoûte parce que je sais que vous avez kiffé !

C’est en trouvant ce pont gustatif que Nick a eu l’idée de créer le Big Mac Bao pour son restaurant. Le produit est immédiatement devenu populaire, à tel point que Nick l’a retiré du menu parce qu’il craignait qu’on ne l’identifie trop à son resto. « Je sais que, si j’ai gardé ce souvenir, alors d’autres personnes l’ont fait aussi. C’est comme ça que je peux créer un plat qui parle à tout le monde. En me servant de ma mémoire et de ma nostalgie », explique Nick tout en précisant que s’il ne mange plus des masses de Big Mac, il continue de le considérer avec respect.

« Je pense que les gens ont tort de critiquer McDo à tout va. Tout le monde y a mangé ! Et quand on était gosse, on aimait tous ça ! Ne venez pas me dire que maintenant, ça vous dégoûte parce que je sais que vous avez kiffé ! »

Burgeronomie

Pendant les années 1980, les kids comme Nick avalaient les Big Macs à la chaîne sans se préoccuper de quoi que soit. Le burger était tellement omniprésent en Amérique du Nord et sur les autres continents que son importance culturelle a commencé à s’étendre au-delà de la sphère du fast food.

James Fransham, journaliste pour The Economist, s’occupe de la data. Quand je lui demande de m’expliquer son job, il me dit : « Toi, tu analyses de la bouffe ; moi, j’analyse des chiffres. » OK.

L’un des trucs que James calcule régulièrement s’appelle la PPA, la Parité du Pouvoir d’Achat. « La PPA, c’est l’idée que même s’il y a un écart de valeurs entre les monnaies, ce n’est pas ça qui représente le coût réel de la vie dans chaque pays, » me résume-t-il. Comme à partir des années 1980, le Big Mac était pratiquement vendu partout dans le monde, l’éditrice de The Economist Pam Woodall a réalisé qu’il pourrait constituer un bon point de comparaison pour mesurer le pouvoir d’achat. James raconte que Pam s’est alors mise à appeler des McDonald’s partout dans le monde pour leur demander le prix du Big Mac. Elle a ensuite collecté ses données annuelles dans le Big Mac Index.

The Economist n’a jamais pris l’index au sérieux mais le public, oui.

Donc par exemple : si le prix moyen du Big Mac aux Etats-Unis est de 5,06 $ (4,30 €) et de 130 roubles (1,83 €) en Russie, c’est que le rouble est sous-évalué de 57,5 % par rapport au dollar, selon le Big Mac Index. The Economist présente le Big Mac Index comme « un moyen pédagogique de voir si les monnaies sont à leur juste valeur ». James précise que personne dans la rédaction n’a jamais pensé qu’il s’agissait là d’un outil d’analyse sérieux. Il n’empêche que ça reste un moyen de rendre plus digeste au commun des mortels une notion d’économie. Justement parce que tout le monde connaît le Big Mac et sait à peu près le prix dans son pays.

« The Economist n’a jamais pris l’index au sérieux mais le public, oui. Le Big Mac n’est qu’un produit, il ne peut pas à lui seul rendre compte de la complexité à l’œuvre dans la baisse du pouvoir d’achat sur un panier de commissions », ajoute James. « Ça reste un bon moyen pour s’initier à un principe de l’économie et nos lecteurs apprécient ça, c’est marrant, on peut balancer des jeux de mots, c’est fun. Mais personne ne souhaite sérieusement que le BMI rentre en compte dans l’évaluation des monnaies. »

Big Maths

Une autre personne s’est intéressée au Big Mac pour rendre plus pédagogique un problème d’arithmétique : il s’agit de Fred Morin, chef et propriétaire du Joe Beef. Fred a carrément écrit une page entière sur le « Théorème de l’assaisonnement du Big Mac » dans The Art of Living According to Joe Beef.

« J’essayais de trouver un bon exemple pour expliquer à mes apprentis cuisiniers l’équilibre parfait des saveurs d’un assaisonnement. Et le Big Mac m’est apparu comme la référence la plus parlante. Tout le monde sait ce que c’est, du bourge qui part au ski à l’étudiant dans la dèche qui compte ses sous. »

Pour Fred, le Big Mac explique parfaitement ce qu’on ne peut représenter sur un diagramme en camembert : « Il ne suffit pas d’ajouter la bonne dose de sucre, de sel, d’acidité, il faut que chaque élément interagisse. Chaque ingrédient évolue avec les autres. Assaisonner, ce n’est pas ajouter des éléments, c’est créer une interaction complexe. »

« J’avais un étudiant qui était venu bosser au restaurant, il faisait des maths je crois. Bon, les vrais mathématiciens me diraient sans doute que mon équation n’a rien de rigoureux mais c’est plus un truc pédagogique qu’un théorème d’économie », explique Fred. C’est donc cet étudiant matheux qui l’a aidé à formuler son pseudo-théorème.

Le Théorème du Big Mac n’a aucune prétention académique mais il permet d’éclairer simplement l’harmonie complexe à l’œuvre dans le goût inimitable du burger.

Comme le Big Mac Index, le Théorème du Big Mac n’a aucune prétention académique sérieuse mais il permet d’éclairer simplement l’harmonie complexe à l’œuvre dans le goût inimitable d’une bouchée de Big Mac. Selon Fred, cette méthode permet aux jeunes chefs de comprendre comment marche une bonne sauce, même ancienne.

« Paul Bocuse a créé la Sauce Choron – une béarnaise avec des tomates – et si vous lisez ses vieilles interviews vous apprenez qu’il met pas mal de piment de Cayenne dedans. Les gens pensent que c’est une sauce au beurre parce que c’est une sauce française mais c’est surtout une sauce complexe alliant le sel, le poivre, la tomate et le piment d’une façon très étudiée. »

Le Big Maki

On quitte l’univers des sauces époque Escoffier pour revenir à des chefs plus contemporains qui s’inspirent encore et toujours du Big Mac. Parmi eux, l’improbable maître sushi Hiroyuki Terada du restaurant bar NoVe, à Miami. MUNCHIES a rencontré Hiroyuki pour cet article quelques jours seulement avant qu’il n’entre dans le Guinness Book des Records pour avoir tranché des carottes à l’aveugle dans le show de Gordon Ramsay, The F Word.

En 2015, Hiro a posté une vidéo sur Youtube dans laquelle il transforme un Big Mac en maki. Bien sûr, certains ne se sont pas gênés (en commentaires) pour dire que le chef dénaturait son art en s’abaissant à considérer le Big Mac en guise d’ingrédient. Mais ça lui fait une belle jambe, à Hiro.

Il voit sa chaîne YouTube comme un moyen de se marrer et non comme une scène où mettre en avant des techniques de découpe et des gros plans de riz rincé au ralenti. Clairement, avec ses 770 000 abonnés et ses 130 millions de vues, Hiro a trouvé un public tout en parvenant à s’affranchir des clichés du maître sushi austère et ascétique – tout ça en partie grâce au Big Mac.

Hiro avoue manger souvent des Big Mac et il adore par dessus tout sa sauce. Il pense qu’avec un goût pareil, le burger allait finir un jour où l’autre sur Will It Sushi ?, sa série Youtube. « C’est vraiment un truc unique. J’adore le McDo. J’adore le Big Mac », affirme-t-il sans honte.

Il décrit ensuite son maki inspiré par la légende : « Le goût était pas mal mais la forme n’était pas la même. J’ai coupé le rouleau en huit pièces. On avait l’impression de manger un accompagnement ». Il a un peu pimpé avec des frites, de l’avocat et des pousses de légumes.

Je n’aime plus le Big Mac. C’est trop sucré pour moi. C’est devenu un peu ennuyeux, je ne suis plus surpris. C’est même un peu trop bon.

Une autre création qui a fait le buzz sur Internet rend hommage au Big Mac. C’est le chef Jaimie van Heije qui a eu l’idée de préparer un Big Mac Tartare en n’utilisant que des ingrédients du McDo.

Contrairement aux autres chefs, il n’a pas fait cela pour rendre hommage au célèbre burger. Il avait un truc à prouver. « En vrai, je ne me suis même pas inspiré du Big Mac. Quelqu’un m’a mis au défi de faire un plat qui soit bon avec les ingrédients du Big Mac mais je lui ai répondu que je ne pouvais pas : je n’aime pas le Big Mac et je n’étais pas sûr que les ingrédients soient de qualité. J’avais vu quelques vidéos en ligne sur le pink slime de McDo. »

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Mais après avoir visité une usine McDonald’s en Allemagne, Jaimie a accepté le défi et tenté d’utiliser les ingrédients du Big Mac. Sa seule condition était de les obtenir crus afin de les préparer comme il le voulait. « J’ai fait un tartare pour prouver que la viande était de suffisamment bonne qualité pour être mangée crue. » Il a utilisé la sauce Big Mac pour assaisonner le tartare, ajouté une émulsion au sésame, une crème à la laitue et un jaune d’œuf par-dessus pour rappeler le fromage fondu.

Le résultat est une ode au fast-food visuellement impeccable. Finalement, le principal défaut du Big Mac est peut-être le fait qu’il plaise à tant de monde.

« Quand on était gosse, le Big Mac était le burger pour adultes parce qu’on ne pouvait pas l’avoir avec un Happy Meal », se souvient Jaimie. « Mais je ne l’aime plus. C’est trop sucré pour moi. C’est devenu un peu ennuyeux, je ne suis plus surpris. C’est trop bon. »