Cela n’aura échappé à personne, c’est Kendrick Lamar qui est en charge de la Bande Originale du film Black Panther, nouveau blockbuster de l’écurie Disney-Marvel Studios qui sort cette semaine, racontant les aventures du héros éponyme. Le rappeur est officiellement le producteur exécutif de l’album qui accompagne le long-métrage, avec à ses côtés Anthony Tiffith, boss de son label Top Dawg Entertainment. Du coup les fans de Kendrick et de la musique en général croisaient les doigts pour que cette B.O soit plus ou moins le tant attendu et fantasmé « album T.D.E », qui regrouperait logiquement tous les artistes du label, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a du beau monde puisqu’en plus de Lamar on retrouverait entre autres Schoolboy Q, Ab-Soul, Isaiah Rashad, Jay Rock, SZA, etc.
A l’arrivée, même si ce n’est pas exactement un projet 100 % made in TDE, on a quand même droit à un album très solide. Rien que les extraits distillés en amont étaient prometteurs, du duo simple et efficace avec SZA à « King’s Dead », la connexion entre Jay Rock, Kendrick, mais aussi un Future inspiré et James Blake qui, rappelons-le, n’est pas Ed Sheeran, et ça c’est assez classe.
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Le reste du tracklist nous réserve d’autres combinaisons, parfois avec des super stars du moment (Travis Scott, The Weeknd, Swae Lee…) mais aussi d’autres moins médiatisés comme Saudi, Yugen Blakrok ou encore Zacari. Du coup on a la nette impression que Kendrick et ses potes ont eu la main, trouvant un bon compromis qui aboutit à un véritable album, ou à la rigueur album-concept, plus qu’une simple compilation. D’autant que niveau instrus, on ne change pas une équipe qui gagne : Cardo, Mike Will Made-It, Sounwave ou encore Frank Dukes sont de la partie. Et surtout il y a le rappeur Mozzy sur un morceau. Gloire à Mozzy.
Bref, ça sent bon, mais malgré les retombées financières, médiatiques et populaires pour Kendrick et sa clique, c’est surtout très finement joué de la part de la prod du film en lui-même.
En terme de promo toutes les étoiles sont alignées. Parce que l’attente et l’effervescence autour du film sont également au rendez-vous. Sauf que cette fois ce ne sont pas seulement les fanatiques de Marvel, des comics, etc. On compte aussi un nouvel élément : les Noirs. Dès la première photo officielle de Black Panther dans Civil War il y a maintenant deux ans, ce que les gens appellent le « black twitter » était en feu outre-atlantique. Mais ce n’était rien comparé à ce qui se passe depuis quelques mois autour du film solo du superhéros.
On assiste à des rafales de posts qui expliquent à quel point ce film fait plaisir, « nous » représente, va marquer l’Histoire, et puis franchement il était temps, et en plus l’acteur Chadwick Boseman il est sexy, etc. En toute logique, des quidams qui n’avaient jamais manifesté le moindre intérêt pour le personnage adoptent des pseudos originaux comme T’ChallaFromTheBronx, KingOfWakanda ou le classique BlackPanther972 pour les plus intrépides. Certains ont même émis le souhait que le casting participe au fameux « take a knee » comme les stars du foot lors de leur apparition au Comic Con.
Et c’est là qu’on commence à entrevoir le léger malentendu, qui pour le coup n’a rien à voir avec les qualités ou défauts du long-métrage. A moins de n’avoir vu aucune bande-annonce et de croire dur comme fer que Black Panther est un film qui retrace l’histoire du Parti du même nom, il est assez illusoire de s’imaginer qu’une production Disney-Marvel soit autre chose qu’un film d’action super-héroïque. En gros un blockbuster calibré à ce point ne peut pas se permettre de s’adresser uniquement à une portion des spectateurs et encore moins de contenir un quelconque message, dans la mesure où, quel que soit ledit message, il est vu comme un risque de s’aliéner la partie du public qui ne partagera pas cette vision. Donc si vous y allez en tant qu’amoureux du personnage ou des productions Marvel Studios, en tant que curieux, ou simplement dans l’espoir de voir un bon film, bonne séance mon con, si c’est pour quoi que ce soit d’autre à portée plus profonde, vous pouvez vous la mettre sous le bras, ça sert à rien de branler un chien pour qu’il miaule.
Là où c’est intéressant c’est que ça souligne à quel point les Afro-américains vivent dans une détresse totale, puisqu’en gros il suffit d’un appât gros comme une maison pour en convaincre certains qu’un film sera forcément un chef d’œuvre. D’ailleurs ça dépasse les frontières, des Français sont aussi tombés dans cet écueil ; même chose, la frustration est telle qu’on a des génies qui vont s’extasier devant des acteurs américains en train de singer un accent africain imaginaire dans un pays qui n’existe pas. Niveau aliénation et vie de merde on est très, très loin et surtout on s’éloigne dangereusement de l’appréciation normale d’un film, à savoir sa réussite en terme de cinéma.
On pourrait dire que c’est un peu expéditif, c’est pourquoi on va inviter un guest sans plus attendre, l’acteur principal Chadwick Boseman lui-même. Le type est super sympa, il offrait des rafraîchissement à tous les journalistes qui rentraient dans sa caravane sur le tournage de Captain America Civil War. Mais surtout il était totalement lucide sur son travail : sa hantise était d’être « insultant envers les Africains, si jamais l’accent est foiré », il rappelait que le Wakanda « relevait de la science-fiction pure, puisque c’est un pays qui n’a jamais été colonisé », affirmait que « jouer James Brown était un bien plus gros défi que jouer Black Panther » mais surtout, reconnaissait que quelle que soit la valeur représentative de son personnage, ce n’était pas du tout son but premier, c’était plus une sorte d’effet secondaire positif « mais c’est cool si des gens partent d’aussi bas niveau symbole ». Là je crois que j’ai dit « comme Rocket Raccoon dans les Gardiens de la Galaxie, grâce à lui les gens respectent grave les ratons-laveurs », il a rigolé et on m’a redonné de l’eau.
Le fait est que consciemment ou pas, ce qui fait plaisir, c’est juste de voir un gros casting de Noirs dans une superproduction. Certes ça aurait été plus classe de faire appel à des acteurs et actrices africains, mais manque de pot ils ne sont pas bankables ces cons là. Et tourner dans des vrais décors du continent, c’est non aussi, l’Argentine et les USA sinon rien. C’est ballot.
Il faut malgré tout reconnaître que Marvel a contacté une Africaine, plus précisément l’artiste libérienne Lina Iris Viktor afin de pouvoir utiliser son travail dans le long-métrage niveau décor. Bon, la dame a flairé le film de merde à des kilomètres et logiquement refusé, mais c’était bien tenté. Du coup ils ont juste complètement volé son boulot et recyclé tout ça dans le clip de Kendrick ; tout ce beau monde est donc actuellement en justice. Déclaration de l’intéressée dont les peintures ont été plagiées : « C’est un problème éthique, car tout le but du film est l’émancipation des Noirs, l’excellence africaine, c’est tout le concept de l’histoire. Et au même moment, ils volent aux artistes africains. » Mais du moment qu’on peut sortir son super cosplay afro à l’avant-première US du film, c’est le principal.
Évidemment tout ça n’est qu’un détail qui n’est même pas un vrai défaut du film. Simplement tout devient ridicule quand des cons prennent la promo d’un blockbuster américain à 200 millions de dollars au pied de la lettre. Ils ne sont pas méchants, juste un peu simplets : des photos de profil de Beyonce/Rihanna pour les filles et de King Kong/ La Planète des singes pour les mecs, les mêmes qui relaient systématiquement des photos de vacances de la famille Obama, ou de grands threads sur le Blackface d’un footballeur déficient pour ensuite voter PS, des cinglés qui expliquent le plus sérieusement du monde que Empire est une série supérieure à The Sopranos… On en connaît tous.
Mais il faut l’admettre, ce genre d’illusion entretenue par la promo est à peu de choses près le prolongement de ce qu’on l’a déjà eu cette année pour d’autres films. Et c’est d’ailleurs assez logique, ce n’est pas juste des vilains méchants studios d’Hollywood qui récupèrent des revendications actuelles pour faire du chiffre, c’est aussi la pop culture qui se nourrit de la réalité. Le seul souci c’est qu’étant des grosses productions, ils ne peuvent décemment pas aller jusqu’au bout de ce que promet un marketing cynique attrape-gogols.
Des petits champions avaient par exemple trouvé que le film Wonder Woman était féministe. Là encore, la promo écrasante suffisait pour que certains parlent d’une première au cinéma, en zappant du même coup l’intégralité des héroïnes des années 80, 90 et 2000 (ou alors c’est des gens qui n’ont jamais vu un seul Alien et dans ce cas, il faut les prendre en charge), tout comme d’autres font très bien semblant de croire que Black Panther est une première mondiale dans l’histoire du ciné. Quant à Wonder Woman, concrètement on parle d’une superhéroïne qui se remet à croire en la race humaine grâce au pouvoir de l’amour quand elle réalise que son mec s’est sacrifié pour elle après lui avoir dit je t’aime. Il est difficile d’imaginer qui que ce soit écrire un truc aussi stupide pour un héros masculin, d’ailleurs on avait presque exactement la même configuration dans Captain America et c’était également l’homme qui se sacrifiait, jamais l’inverse.
Cette donnée ne change pas dans Wonder Woman. Mais hey, si des gamines peuvent avoir le sourire en achetant des costumes à son image, tout va bien.
Parce que c’est aussi l’argument phare des nouveaux cinéphiles : montrer des photos d’enfants qui ont l’air super contents de se déguiser comme le ou les héros du film. Gros combo s’il s’agit d’enfants atteints de maladie graves, et maxi bonus si le casting du film va leur rendre visite à l’hôpital. Ça a été fait pour la plupart des derniers blockbusters, l’aspect caritatif est sympa tout en étant la forme de promo la plus cynique du monde. Parce que si tu es contre, quelque part ça veut dire que tu es aussi contre ces enfants. On va y aller calmement : c’est super d’avoir une leucémie Kevin, mais c’est une façon un peu cavalière de forcer des gens à aimer un film de merde.
D’autant que c’est à double tranchant à chaque fois : si le film est réellement raté comme le remake/reboot de Ghostbusters et qu’il a été vendu avant tout comme quelque chose d’important uniquement via sa valeur symbolique, on perd tout. Outre le fait que Stéphanie, 8 ans, réalisera dans quelques années avec horreur qu’elle se tapait la honte avec son cosplay issu d’un nanar, il faut aussi prendre en compte les débiles qui gueulent contre une version féminine de leur film d’enfance juste parce que c’était désormais des femmes à l’affiche. Ces mecs-là, ils s’estiment gagnants si le film est raté.
Lorsque l’on déplace le curseur non sur le sexe mais sur la couleur de peau, c’est bien sûr encore pire, surtout en Amérique. Il y a eu des cris de protestation à chaque fois qu’un personnage de comics blanc est devenu noir (Idris Elba dans Thor à l’époque, c’était quelque chose), on ne compte plus les pétitions ou les menaces en ligne, bref une belle dream-team de tarés. Autant ceux qui fantasment une représentativité parfaite vont droit dans le mur, autant le camp d’en face est totalement dégénéré. Mon anecdote préférée étant ceux qui avaient expliqué en découvrant le casting du premier Hunger Games « au début j’étais énervé que Rue soit jouée par une Noire mais au moins sa mort à l’écran sera moins triste grâce à ça ». Sachant qu’on parlait d’une fillette de 10-12 ans empalée par une lance, c’était de toute beauté.
C’est légèrement moins énervé côté hexagonal, même si des petits malins ont fait une super blague sur le net tandis que d’autres blaguaient sur le mode « un pays africain riche ? Trop lol ». On voit que l’intention y est mais ils n’ont pas encore le sens du spectacle de leurs homologues US, ça reste des gens plus à l’aise pour planquer du porc dans le rayon hallal de Franprix.
Vient ensuite la polémique, la vraie de vraie, celle qui oppose une asso antiraciste à la LICRA (tous ceux qui ont pensé « mais la LICRA aussi est antiraciste », on a dit qu’on arrêtait le comique de répétition merci).
Un match de catch assez pathétique dans la mesure où les « militants » des deux côtés de la barrière font exactement la même erreur dans leur regard sur ce qu’est vraiment le film.
Pour ceux qui veulent se préserver de tout spoiler, voici un schéma explicatif assez complet.
Comment un crétin (ou un facho) voit Black Panther :
Comment un producteur voit Black Panther :
Comment un producteur vend Black Panther à des crétins :
Là il faut rentrer rapidos dans du spoiler, donc on va marquer le coup avec un clip de Mozzy pour en baliser le début et la fin.
SPOILER
Si on prend la chose comme un produit Marvel lambda, c’est sympa, ça passe le temps malgré des longueurs, moins d’humour inutile, joli cast, si c’est votre truc, tout va bien. Mais pour tous ceux qui ont cru voir un message super positif sur le peuple noir et l’Afrique en général, plusieurs trucs clochent. Le Wakanda est super avancé technologiquement mais tu peux toujours devenir roi si tu bats ton rival en slip dans la boue ; les références tribales sont mimis niveau vestimentaire mais les cris façon bêtes sauvages ça le fait moyen ; plusieurs passages sont plus ou moins des remakes de plans du Roi Lion et une partie du scénario aussi dès lors qu’on comprend que les Dora Milaje ont exactement le même rôle que les lionnes en fin de film tandis que l’équipe de W’Kabi sont les hyènes ; la phase finale du plan diabolique du méchant n’inclut pas d’invasion de pays ou de conquête du monde mais se résume simplement à « aidons nos frères partout dans le monde à s’émanciper par la lutte armée en les faisant profiter de nos ressources » ce à quoi l’intégralité des gentils du Wakanda pensera « ce type est un fou dangereux, va falloir le tuer », ce qui est probablement la morale de fin la plus décomplexée depuis longtemps. Par contre, concernant le perso le plus gênant, ils ont viré le surnom « Homme-Singe » présent dans les comics pour l’appeler simplement par son nom civil M’Baku. Bien joué les gars, vous au moins vous êtes des perfectionnistes.
FIN DU SPOILER
Et c’est là qu’on réalise qu’avoir confié la B.O à Kendrick est un move très, très malin. Déjà parce que je l’avais prédit 6 mois à l’avance et que j’aimes bien avoir raison, en règle générale. Ensuite parce que le rappeur n’allait pas dire non : non seulement il bénéficiait d’une promo énorme mais en plus il faisait plaisir à ses fans. Si jamais l’album avait été décevant, les auditeurs auraient considéré que l’équipe TDE s’était fait brider par la production du film et donc que ce n’était pas de leur faute. Et si l’album était bon (c’est le cas), tout le monde saluerait Kendrick comme celui qui a imposé à une énorme production Disney-Marvel une B.O rap digne de ce nom frappée du logo TDE.
Du côté de ces derniers, absolument tous les défauts du film et la défiance de la frange la plus teigneuse (c’est-à-dire qu’il existe encore des gens pour dire « vous engraissez des producteurs blancs, arrêtez de parler de représentation ») sont symboliquement annulés par le travail musical de Kendrick Lamar et ses interviews où il explique faire ça « pour la culture » tant il a aimé lui-même le film. C’est la meilleure façon un peu matoise de flatter une communauté sans avoir l’air d’y toucher et de façon plus directe, ça rend leur héros plus moderne que jamais.
Bon, en réalité je ne crois pas un mot de toutes ces théories, pour moi Kendrick a accepté tout ça juste pour faire oublier à tout le monde qu’il avait déjà posé sur la B.O d’un autre film de superhéros : The Amazing Spider-Man 2, autrement dit un étron fumant désavoué plus tard par une partie de l’équipe du film qui a regretté des coupes absurdes du scénario et du montage.
Et puis bon, si ça peut au moins éviter une B.O rap français au film ou inciter des gens à se renseigner sur l’un des auteurs phares de la BD, c’est déjà ça de pris.
Yérim Sar est sur Twitter.