Lointaine me semble ma jeunesse straight edge, quand je buvais une bouteille de Perrier à un show alors que mes amis calaient des cannettes de Pabst une après l’autre. J’aurais tant aimé pouvoir faire partie du club, aller au même rythme qu’eux sans m’enivrer. Bien entendu, les bières sans alcool existaient déjà à cette époque-là, mais, comme je n’aimais pas trop le goût de la bière, en boire une version diluée qui goûte encore moins bon, ça ne me disait pas trop.
Aujourd’hui, les gens ont une panoplie de produits qui s’offrent à eux s’ils désirent ne pas boire. La bière sans alcool a aujourd’hui presque exactement le goût de la bière normale, et plusieurs bars offrent des cocktails sans alcool, voire des cocktails « placebos », qui ont le goût de l’alcool sans en contenir.
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Le marché de la bière désalcoolisée, surtout, connaît une croissance sans précédent. Alors que la consommation mondiale de la bière conventionnelle a chuté de 2015 à 2016, celle de la bière sans alcool a grimpé de 5 %. Les géants brassicoles s’y mettent : Budweiser, Corona, Heineken et Carlsberg ont tous sorti des versions sans alcool de leurs bières dans les trois dernières années. Budweiser et Corona estiment que 20 % de leur production de bière sera sans alcool d’ici 2025. Diageo, propriétaire de Guinness, a de son côté décidé d’investir dans une compagnie de spiritueux sans alcool, en plus de sortir la Pure Brew, une lager sans alcool, plus tôt cette année.
(Ce n’est par ailleurs pas très compliqué de faire de la bière sans alcool. On fait une bière conventionnelle, et on la fait ensuite bouillir pour en retirer l’alcool. En plus, on n’a pas besoin de payer de taxes sur l’alcool.)
Mais d’où vient cet engouement soudain pour les boissons sans alcool?
Il faut en premier lieu comprendre que ce n’est pas si soudain que ça. On le voit dans les statistiques depuis un moment déjà : les jeunes d’aujourd’hui sont pas mal moins intéressés par la drogue, l’alcool et le sexe.
Il y a pas mal de raisons. Il y a, étonnamment, la notion que peut-être ( peut-être) toutes ces années de pubs prévenant des dangers de l’alcool ont porté leurs fruits. Et, comme le note Chloe Combi, auteure de Generation Z, « La plus grande influence sur les jeunes, c’est les autres jeunes. Ce n’est plus mal vu de dire “Je ne prends pas de drogues et je ne bois pas”. C’est parfaitement acceptable maintenant. » Pour l’écriture de son livre, Combi a interviewé plus de 2000 jeunes et plusieurs d’entre eux mentionnent que la consommation de leurs parents les a motivés à ne pas consommer d’alcool. Surtout, la popularité des téléphones intelligents et des réseaux sociaux a changé la game. Grâce à eux, les jeunes peuvent aujourd’hui socialiser tout en restant isolés, donc ont moins de raisons de se retrouver au bar.
De plus, l’obsession de la beauté qu’entraîne Instagram fait en sorte que la santé est plus valorisée qu’avant. Et, si ces jeunes finissent par être dans une situation où il y a de l’alcool, ils font hyper gaffe, car, s’ils décident de se mettre de la téquila dans les yeux et de descendre les escaliers menottés à une chaise de bureau pour rigoler entre amis, ils savent que tout le monde voudra le filmer et mettre ça sur les réseaux sociaux. Mieux vaut rester sobre et derrière la caméra.
Par contre, il ne faut pas s’imaginer pour autant que tous les moins de 22 ans restent dans leurs chambres à ne rien faire. Les kids resteront des kids. Ils sont simplement plus conscients qu’ils ne mourront pas s’ils sortent dans un bar avec des amis sans consommer d’alcool. Et c’est dans ces cas-là que la bière sans alcool devient attirante. Le goût est semblable, on peut en boire autant que nos amis tout en gardant l’esprit et, le lendemain matin, on est prêt à aller bruncher avant que les gens avec la gueule de bois arrivent au resto.
D’après The Economist, la pénétration du marché de la bière sans alcool au Moyen-Orient a aussi beaucoup à voir avec son succès. Plusieurs chercheurs et autorités religieuses de l’Islam cherchent encore à déterminer si la consommation de bière désalcoolisée est halal ou non, car le procédé n’est pas parfait, et il peut souvent subsister une quantité négligeable d’alcool, qui est bien sûr proscrit par la religion. Plusieurs ecclésiastiques ont toutefois publié des décrets rendant acceptable la consommation de bière non alcoolisée. Le décret saoudien, par exemple, soutient que le taux d’alcool est si bas qu’il serait extrêmement difficile de se saouler en en buvant.
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Comme pour le jeune occidental qui décide de boire de la Corona sans alcool au party de fin de session de son association étudiante, le marché grandissant de la bière sans alcool au Moyen-Orient s’explique par un certain besoin d’appartenance. Le monde occidental dominant la culture pop, les jeunes d’autres pays veulent les mêmes choses, mais n’y ont pas nécessairement accès, que ce soit pour des raisons économiques, sociopolitiques ou religieuses. D’après Guilda Saber, gérante de la marque Laziza, une bière non alcoolisée libanaise, « boire de la bière, même sans alcool, comble chez les gens au Moyen-Orient un désir populaire d’accéder à un mode de vie mondialisé que ne peut leur apporter le Coca-Cola », explique The Economist.
Avec la popularité sans cesse grandissante d’événements sociaux comme le Dry January et la conscientisation de la population, informée des bienfaits de prendre une pause d’alcool de temps à autre, les bières sans alcool devraient continuer de gagner des parts de marché. De leur côté, les marques font agressivement la promotion de leurs produits désalcoolisés, et des brasseries artisanales emboîtent le pas afin d’offrir des bières tout aussi délicieuses sans alcool. Donc, la prochaine fois que vous répondez à vos amis que vous n’avez pas envie de boire et que vous ne sortirez pas avec eux, rappelez-vous que vous n’avez pas besoin de vous priver de plaisir : un nouveau monde s’offre à vous.