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Pourquoi le record de vitesse aérien n’a jamais été battu en 50 ans

Cette semaine marque le 50ème anniversaire du vol le plus rapide jamais réalisé par un avion piloté : en octobre 1967, William Joseph Knight emmenait l’avion-fusée X-15 A-2 à une vitesse de 7 272,68 km/h – c’est-à-dire six fois la vitesse du son.

Ce record est distinct du record de vitesse d’un avion sans pilote : depuis, le X-43A a volé seul dans l’immensité des cieux et atteint les 11 236,68 km/h en 2005.

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Nous vivons une époque merveilleuse peuplée de flottes de drones militaires, d’atterrissages de précision, et bientôt, de fusées géantes destinées à atteindre la planète Mars. Alors comment se fait-il que le record du X-43A n’ait jamais été battu au cours de 50 dernières années ? La réponse à cette question est enfouie dans l’histoire du X-15 lui-même, pur produit de son époque.

En 1967, l’armée américaine finançait toujours le complexe militaire-industriel qui a émergé pendant la Seconde Guerre mondiale. Après 1946, alors que les dépenses militaires des pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont chuté à un tiers de ce qu’elles étaient au plus fort du conflit, les États-Unis ont maintenu près de la moitié de leurs dépenses militaires. Dans les 25 ans qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le pays a dépensé environ 328 milliards de dollars par an (chiffre ajusté pour tenir compte de l’inflation) dans le secteur militaire.

Pour des agences telles que la NASA et l’US Air Force, ces fonds ont été utilisés pour financer des véhicules et technologies expérimentaux.

L’avion expérimental X-15 était l’un des 30 “véhicules X” produits par les agences militaires américaines – Air Force, Marine et NASA – entre 1946 et 1971. Ces véhicules X, principalement des avions et des missiles, étaient des technologies expérimentales conçues dans l’espoir d’atteindre des altitudes record et des vitesses hypersoniques.

Testés dans le désert du Nevada, ils devaient servir à produire des données utilisées pour concevoir des engins spatiaux, et en particulier des engins pouvant abriter des humains. Neil Armstrong s’est d’ailleurs entraîné pour la mission Apollo 11 en pilotant le X-15.

Afin d’atteindre des vitesses hypersoniques, le X-15 possède un moteur de fusée qui utilise de l’ammoniac et de l’oxygène liquide. Peu économe en carburant, son moteur peut consommer 6800 kg de carburant en 80 secondes seulement. Après des dizaines et des dizaines de tests à des vitesses extrêmement élevées, l’Air Force a souhaité testé le X-15 a sa limite de vitesse absolue. Sur les douze personnes qui ont piloté le X-15, William Joseph Knight était l’homme le plus indiqué pour cette mission : il avait déjà trois ans d’expérience du X-15 derrière lui, après avoir été recruté au sein du programme de formation de l’École de pilotage de recherche aérospatiale.

(Si le nom de Knight vous semble vaguement familier, c’est parce que l’homme s’est distingué pour son extraordinaire homophobie. Les Américains le connaissent notamment parce qu’il a fait passer la loi qui interdit le mariage homosexuel en Californie en 2000, lorsqu’il était sénateur.

En dépit de l’expérience de Knight comme pilote, les risques liés au vol étaient clairs. En juin 1967, Knight a du composer avec une panne moteur tandis qu’il pilotait le X-15 à 107 000 pieds d’altitude. Il a dû atterrir en urgence au milieu du Mud Lake, au Nevada.

Knight n’est pas le seul pilote à avoir frôlé la mort lors d’un atterrissage d’urgence. En fait, les accidents et les blessures graves étaient très fréquents chez les pilotes militaires américains, et ce depuis des années. Le 9 novembre 1962, le major Jack McKay a fait l’expérience d’une panne de moteur et a été forcé d’atterrir à grande vitesse. Il a dû sauter du X-15 avant que celui-ci ait atteint la surface d’un lac (Mud Lake, encore une fois), et s’est brisé le dos et la nuque. Après sa rémission miraculeuse, il pilotera l’appareil 22 fois supplémentaires.

Le X-15 endommagé après un atterrissage forcé à Mud Lake, dans le Nevada, le jour du crash de McKay. Novembre 1962. Image : NASA

Le jour où Knight a établi le record de vitesse d’un avion piloté, le vol s’est passé sans encombre. Au vu de la dangerosité de l’appareil, ce n’était pas le scénario le plus probable. Quelques semaines après la réussite de Knight, le Major Michael Adams est mort lors d’un vol similaire.

Adams avait pour mission de tester les limites d’altitude du X-15, et s’est envolé 130 km au-dessus de la Terre, dans la thermosphere – une altitude suffisante pour mettre un satellite en orbite autour de la Terre. L’Air Force incitait vigoureusement ses pilotes à atteindre cet objectif périlleux, de la manière la plus explicite qui soit. Elle a même décerné des ailes d’astronaute aux pilotes qui ont atteint cette altitude.

Quand Adams a amorcé sa descente, des perturbations électriques ont endommagé les instruments du X-15. Adams a perdu le contrôle de l’avion, qui a atteint des vitesses hypersoniques alors qu’il plongeait vers le sol. Souffrant du vertige, Adams s’est trouvé incapable de sortir de l’avion et est mort lorsque le X-15 s’est écrasé dans le désert de Mojave. Il avait 37 ans.

Schéma du X-15 A-2, tiré d’un mémo de 1968 de la NASA sur la résistance à la chaleur de l’appareil. Image : NASA.

Malgré la tragédie, le X-15 a volé neuf fois supplémentaires l’année suivante. Knight devait effectuer son 200e vol en novembre 1968, mais après une série d’incidents techniques, celui-ci a été annulé et le X-15 a officiellement été mis au placard. Même si les expériences sur les véhicules X ont continué jusqu’en 1971, battre le record de vitesse de vitesse aérien d’un avion piloté n’a jamais été tenté depuis.

Il est fort possible qu’avec le succès du programme Apollo et le développement de l’arme nucléaire, les États-Unis aient progressivement perdu leur intérêt pour ce genre d’expérimentation. Mais surtout, après la mort d’Adam et l’accumulation des accidents graves, la NASA a entrepris de mieux évaluer les risques encourus par les pilotes lors des tests de vol, et a remis en question la nécessité de les associer à de simples tests de vitesse.

Cette prudence est évidente lorsque l’on examine l’approche actuelle de la NASA dans la recherche sur les aéronefs. Une fiche d’information concernant les protocoles PTERA (Prototype-Technology Evaluation and Research Aircraft) explique que tous les tests sont désormais effectués en laboratoire : “La possibilité de modifier la configuration PTERA permet de tester de manière rentable des conceptions non conventionnelles qui, autrement, seraient trop dangereuses ou coûteuses à réaliser avec un avion équipé à grande échelle“.

Les pilotes encourent toujours de grands dangers lors des tests de vols hypersoniques, mais le risque a désormais été déplacé vers les équipes terrestres. Les forces aériennes américaines, chinoises et russes font actuellement l’objet de tests de drones hypersoniques. En fait, ces pays ont déjà développé des missiles hypersoniques qui peuvent atteindre la vitesse de 4800 km/h.

Ces armes pourraient devenir monnaie courante dans les guerres futures. Une perspective pour le moins inquiétante : imaginez des véhicules aériens sans pilote qui bombardent des zones de conflit et s’enfuient avant même que quiconque ait entendu une détonation.

Les tests du X-15 ont indubitablement soulevé des préoccupations éthiques importantes concernant les relations entre humains et leurs créations hypersoniques. Bien que le record de vitesse d’un vol piloté ait duré cinquante ans, ces préoccupations sont loin d’être obsolètes.