À la télévision russe, parler de l’apocalypse nucléaire semble banal. La rédactrice en chef de Russia Today, Margarita Simonyan, a notamment déclaré qu’une attaque nucléaire lui semble plus probable que tout autre scénario. Ce à quoi le présentateur a ajouté que les patriotes russes iront au paradis, tandis que l’Occident mourra.
En outre, le président russe Vladimir Poutine a menacé l’Occident d’utiliser des armes nucléaires à plusieurs reprises depuis l’invasion de l’Ukraine. Et le 5 mai dernier, l’ambassadeur russe a déclaré que les pays de l’OTAN ne prennent pas la menace nucléaire au sérieux.
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Est-ce du bluff ou devons-nous vraiment nous inquiéter ? Sur TikTok, les jeunes semblent s’en soucier pas mal. Dans une vidéo virale, on peut lire : « Si Poutine prévoit de larguer une bombe atomique sur la Belgique, tu dis à ton crush que tu l’aimes ? »
Les armes chimiques et biologiques sont illégales. Le droit international stipule que les pays en guerre doivent éviter autant que possible de faire des victimes civiles. Or, avec les armes chimiques ou biologiques, vous ne pouvez pas faire la distinction entre les cibles militaires et civiles, et c’est pourquoi elles sont interdites par le protocole de Genève. Alors pourquoi les armes nucléaires ne sont-elles pas illégales ?
Eh bien, en fait il existe déjà un traité de l’ONU interdisant les armes nucléaires. Problème : aucune puissance nucléaire n’a signé ce traité. Pas même la Belgique. On a demandé une explication à Ludo De Brabander de Vrede, une ONG basée à Gand. Vrede fait partie de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, aux côtés de quelque 450 autres ONG dans le monde. En 2017, la coalition a reçu le prix Nobel de la paix, en récompense de sa lutte contre les armes nucléaires.
VICE : Vous êtes inquiet d’une potentielle escalade nucléaire de la guerre en Ukraine ?
Ludo : Tout à fait. Il y a des raisons à ça. Les menaces deviennent de plus en plus fortes depuis Moscou. C’est aussi inquiétant que les États-Unis déclarent soudainement et ouvertement qu’ils veulent gagner la guerre. Vous n’avez aucune idée de la façon dont la Russie va réagir à ça.
Si la Russie devait perdre la guerre, il y a une réelle chance qu’elle ait recours aux armes nucléaires en dernier ressort. Même l’utilisation d’armes nucléaires plus petites serait désastreuse pour l’Europe. On ne doit pas minimiser la probabilité que ça se produise.
Que se passe-t-il si une bombe nucléaire est effectivement déployée ?
Une étude a été réalisée sur l’impact d’une guerre nucléaire limitée entre l’Inde et le Pakistan – deux puissances nucléaires qui s’affrontent souvent. On parle de millions de morts à court terme et jusqu’à un milliard à long terme. Quand la bombe explose, il y a une énorme explosion et une boule de feu. Tout le monde à proximité est tué immédiatement.
À long terme, beaucoup de gens meurent de maladies dues aux radiations. Et encore plus cynique : une guerre nucléaire avec 250 armes nucléaires garantit déjà qu’une épaisse couche de suie pénètre dans l’atmosphère et atténue la lumière du soleil. Ça entraîne une baisse de température de 2 à 5 degrés sur la terre. Ça pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’agriculture et entraînerait la faim dans le monde.
Vous ne pouvez pas gagner une guerre nucléaire. Il y a une raison pour laquelle ce sont des armes de destruction massive. Ils ont le potentiel d’anéantir l’humanité.
Y a-t-il aussi des armes nucléaires en Belgique ?
C’est un secret de polichinelle, le gouvernement ne l’a jamais confirmé, mais sur la base militaire de Kleine-Brogel se trouvent des armes nucléaires américaines dans le cadre de l’OTAN.
Quels sont les arguments des politiques en faveur des armes nucléaires ?
La doctrine militaire développée pendant la guerre froide qui justifie les armes nucléaires est appelée « MAD », abréviation de « Mutual assured destruction » (destruction mutuelle assurée). L’idée vient de Robert McNamara, alors secrétaire américain à la défense, sous le président Kennedy. À cette époque, les États-Unis et l’Union soviétique détenaient encore le monopole des armes nucléaires. L’idée était que personne ne serait assez fou pour être le premier à utiliser des armes nucléaires, parce que ça conduirait à une destruction mutuelle totale.
Aujourd’hui, le problème est que ce monopole a été brisé ; des pays comme la Corée du Nord possèdent également des armes nucléaires. En plus, il y a de moins en moins de dissuasion. L’idée d’utiliser une bombe nucléaire tactique, une bombe nucléaire plus petite, devient de plus en plus légitime. C’est totalement absurde, bien sûr, ça provoquerait aussi une destruction massive.
Les armes chimiques et biologiques sont illégales au regard du droit international. Les armes nucléaires ne le sont pas, pourquoi ?
L’industrie de l’armement y a d’énormes intérêts. Les bombes nucléaires de l’OTAN à Kleine-Brogel, par exemple, seront remplacées par de nouvelles bombes B61-12 entre 2022 et 2024. Ceux-ci sont plus sophistiqués. Leur puissance explosive peut être ajustée, ce qui augmente également la probabilité qu’ils soient déployés. À elle seule, cette mesure coûtera entre 6 et 9 milliards d’euros.
Les armes nucléaires rendraient la situation plus sûre. Mais s’il fallait en arriver à une guerre nucléaire, il est fort probable que la Russie veuille détruire notre capacité de riposte. Ça ferait aussi de la Belgique une cible. Donc ils nous rendent juste plus vulnérables.
L’énorme méfiance entre les superpuissances est un autre facteur. Personne ne va désarmer tant que l’autre ne le fait pas non plus. J’espère qu’après la guerre en Ukraine, on pourra travailler à la création d’une zone exempte d’armes nucléaires en Europe. Ça n’est possible qu’avec une confiance mutuelle.
Depuis la guerre froide, il y a eu des négociations pour se débarrasser des armes nucléaires. Comment rendre ça possible ?
Selon le traité de non-prolifération (TNP) de 1968, les armes nucléaires seraient limitées aux cinq puissances nucléaires initiales : les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la Chine et la France. C’est un échec total. Aujourd’hui, la Corée du Nord, l’Inde, le Pakistan et Israël possèdent également des armes nucléaires. En plus, l’OTAN place des armes nucléaires en Europe – y compris en Belgique donc. C’est également totalement illégal selon le TNP.
Un deuxième pilier est le désarmement. Des succès limités ont été enregistrés sous la pression du Mouvement pour la paix dans les années 1980. Souvenez-vous de la plus grande manifestation que la Belgique ait jamais connue, avec près d’un demi-million de participants, le 23 octobre 1983. Les manifestant·es sont descendu·es dans la rue pour protester contre l’installation de missiles de croisière à Kleine-Brogel. Ces armes ont finalement été installées, mais après quelques années, elles ont été retirées et détruites.
Un certain nombre de pays étaient frustrés que le désarmement n’aille pas assez loin. Ils ont donc commencé à travailler sur un nouveau traité qui interdirait complètement les armes nucléaires. Ce traité est entré en vigueur le 22 janvier 2021 et a été signé par 86 pays. Parmi eux, pas une seule puissance nucléaire et pas la Belgique non plus.
Que peut-on faire pour encourager la Belgique à signer le traité ?
Du 21 au 23 juin, une conférence de tous les pays qui ont signé le traité aura lieu à Vienne. D’autres pays, même s’ils n’ont pas signé, peuvent adhérer en tant qu’observateurs. En agissant ainsi, la Belgique enverrait un signal fort à l’OTAN, lui indiquant qu’elle réfléchit au désarmement nucléaire.
En tant que citoyen·ne, c’est important d’exprimer son mécontentement à propos des armes nucléaires, sur les réseaux sociaux et dans la rue. On peut comparer les armes nucléaires au changement climatique. Les deux ont le potentiel de rendre la vie sur terre impossible. À la grande différence près que se débarrasser des armes nucléaires est très simple : il suffit d’une volonté politique. La transition climatique est beaucoup plus complexe.
On doit agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Les marches pour le climat de ces dernières années me donnent de l’espoir. Les jeunes descendent à nouveau en masse dans la rue. Ça me rappelle l’époque où, jeune garçon, je protestais moi-même contre les missiles nucléaires. On a besoin de la même énergie dans la lutte contre les armes nucléaires. Ce n’est que de cette façon qu’on pourra écarter cette menace planétaire.
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