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Pourquoi les cours commencent-ils toujours aussi tôt ?

On est au début des années 2000, et je n’ai pas franchement la forme. Il est 23h00. Manuel de révisions dans une main, Guronsan dans l’autre, je m’apprête à vivre l’une des pires nuits de ma vie.

C’était peut-être en 1995, en fait. Ou en 2012. De toute façon, rien n’a changé. Littéralement. Et tous les ex-lycéens se souviennent de ces années marquées par un terrible manque de sommeil, pire encore qu’à la fac.

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Alors que de nombreuses études récentes ont prouvé l’évidence – les adolescents manquent souvent de sommeil et travaillent nettement mieux quand ils sont reposés -, pourquoi presque tous les établissements scolaires insistent-ils pour que leurs étudiants soient en classe dès l’aube ?

La plupart des étudiants se couchent après minuit, pour se réveiller péniblement quelques heures plus tard et aller en classe. Les cours débutant généralement à 8h00, les élèves doivent théoriquement se coucher vers 22h00 s’ils veulent avoir huit heures de sommeil et se permettre le luxe d’un petit déjeuner et d’une douche avant de partir le matin.

Si ces horaires peuvent éventuellement convenir à de jeunes enfants ou à des adultes plus âgés qui ont pris l’habitude de se coucher tôt, de nombreuses recherches montrent que les cycles de sommeil surviennent plus tard chez les adolescents, ce qui signifie qu’il leur serait plus bénéfique de commencer la journée plus tard. Dès lors, demander à tout le monde de se lever tôt est assez absurde.

Surtout qu’on a déjà testé des horaires plus tardifs par le passé, avec succès. En 1996, des chercheurs de l’université du Minnesota ont convaincu toutes les écoles du district d’Edina de faire passer l’heure du début des cours de 7h20 à 8h30. Les résultats furent incontestablement bénéfiques : 92% des parents déclarèrent que leurs enfants étaient bien plus faciles à gérer ; le pourcentage d’élèves dormant huit heures ou plus par nuit passa de 34% à 43% ; la consommation d’alcool et de tabac chez les adolescents baissa nettement ; et les notes s’améliorèrent. Au vu de ces résultats, le district de Minneapolis changea à son tour l’heure de début des cours (de 7h15 à 8h40) l’année suivante.

Si l’on sait tout ça depuis le milieu des années 90 (et de nombreuses autres études abondent dans le même sens), pourquoi n’avons-nous rien changé en 20 ans ?

L’une des raisons, ce sont les transports. Pour les écoles situées dans les zones périurbaines et rurales, modifier les horaires des bus signifierait certainement de faire circuler davantage de bus et de redessiner certains parcours, ce qui aurait évidemment un coût.

“Les gens ne comprennent pas qu’il s’agit d’un phénomène biologique, et non de paresse.”

C’est ce qu’il s’est passé dans le comté de Fairfax, en Virginie, où l’on a débattu des horaires pendant plus de cinq ans, avant de finalement les modifier pour l’année scolaire 2015-16. Le comté a fait de nombreux efforts pour que ce changement n’ait aucun impact négatif.

« Le coût nous est toujours apparu comme un obstacle, mais nous l’avions certainement surestimé. Quand on a calculé les coûts réels, il s’est avéré qu’il s’agissait d’un investissement relativement mineur – environ 5 millions de dollars pour acheter quelques bus supplémentaires », explique John Torre, agent d’information publique du comté.

Il m’assure que les retours qu’ils ont eus sont très majoritairement positifs.

« Nous pensons qu’avoir modifié les horaires de bus est un sacré pas en avant, m’affirme Stacy Simera, porte-parole de l’association Start School Later. Les horaires de bus ne devraient pas avoir un effet négatif sur la santé, l’éducation et la sécurité. »

L’association fait du lobbying auprès des districts scolaires partout aux Etats-Unis pour modifier les horaires des écoles. Elle s’intéresse de près aux districts comme Fairfax, qui ont déjà franchi le pas.

« Modifier les horaires des bus et en acheter quelques-uns n’a pas posé de gros problèmes, contrairement à ce que certains redoutaient », dit John Torre.

L’autre obstacle majeur, c’est que les gens n’y connaissent pas grand-chose aux aspects scientifiques du sommeil, estime Simera.

« Beaucoup de gens ignorent que c’est à cause de la biologie que les ados et les jeunes adultes se couchent tard, alors ils pensent que c’est parce qu’ils sont trop feignants », dit-elle.

Du coup, les adultes manquent d’empathie à leur égard, puisque leurs propres corps fonctionnent différemment. Malheureusement pour les ados épuisés, ce sont les adultes qui prennent les décisions.

Il existe de nombreux autres obstacles : certains services publics, comme les bibliothèques, devraient alors eux aussi s’adapter afin d’éviter que les élèves ne manquent de temps pour faire leurs devoirs et réviser. Et si on ne modifiait que les horaires des lycéens, par exemple, alors les plus jeunes enfants se retrouveraient plus souvent seuls à attendre le bus le matin et en fin de journée sans surveillance.

Mais aux Etats-Unis, de nombreux districts tentent déjà de remédier à ces problèmes de façon innovante, par exemple en équipant les bus du wi-fi pour que les élèves puissent faire leurs devoirs en rentrant de l’école, et Simera m’assure même que certains ont déjà trouvé des moyens de modifier les parcours des bus sans dépenser trop d’argent.

Et peut-être qu’un jour, quand tous les décideurs auront lu les études scientifiques, nous verrons disparaître le stéréotype de l’adolescent constamment fatigué.