Pourquoi les hommes préfèrent les femmes qui se sapent « sexy » mais « discrètes » ?

Je me rappelle précisément de mon réveillon de l’An 2000. J’avais 14 ans et j’étais en vacances au ski avec mes parents et ma sœur. Comme c’est souvent le cas à cet âge-là, j’en voulais à la Terre entière. C’est pourquoi, en guise de protestation, j’avais décidé de me rendre au dîner du réveillon en jean accompagné d’un gros pull torsadé à col roulé.

En descendant au restaurant, j’ai eu droit à plusieurs réflexions. Toutes étaient émises par des hommes : des ados de mon âge certes, mais aussi leurs pères, des amis de mes parents qui ouvraient tous de grands yeux hallucinés en me faisant remarquer d’un ton goguenard que j’aurais quand même pu « faire un effort ». Je ne savais pas encore précisément ce que ces derniers envisageaient par le terme Faire un effort mais je crois que ça signifiait : me maquiller, enfiler une robe à paillettes décolletée dégueulasse Made-in-China et des chaussures à talons. Bref, arborer une tenue festive, mais surtout féminine !

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En grandissant et en en discutant avec mes amies du deuxième sexe, je me suis peu à peu créé une liste non exhaustive des tabous partagés par la majorité des hommes en matière de fringues féminines. Tout d’abord les vêtements oversized, qui empêchent d’évaluer précisément la façon dont vous êtes gaulée. Puis les imprimés à pois, sans doute trop « voyants ». Mais aussi les chaussures compensées (signe d’hystérie), les ballerines (ne « mettent pas assez en valeur les formes ») et sans surprise, les survêtements – les yoga pants ultra-moulants sont dans une autre catégorie, puisqu’il s’agit de l’uniforme réglementaire des bonnasses d’Instagram.

Des années plus tard, j’ai vu que ma liste mentale avait été corroborée par des études plus sérieuses. Sans surprise, le Telegraph révélait en 2011 que les salopettes, les jeans dits boy-friend larges, les sarouels, les épaulettes, les fringues vintage et les imprimés léopard étaient également bannis dans une large part du cerveau des hommes britanniques. Ce que je confirme tout à fait : à chaque fois que j’ai porté ce type d’habits, j’ai eu droit à des remarques négatives de la part des hommes – certaines sur le ton de la plaisanterie, beaucoup plus premier degré.

De là, j’ai commencé à me poser une question : et si, en réalité, ce que haïssaient les hommes basiques, c’était tous ces vêtements qui mettent la femme dans une position : d’intellectuelle, de meuf marrante, de meuf étrange, ou de meuf affirmant un goût différent de celui de la masse ? En gros, et si ce qui rebutait tant les mecs, c’était toutes ces choses ce qui mettent la femme dans une position de force ?

Dans un article publié par Plurielles en 2012 et intitulé « Saint Valentin, les vêtements qui plaisent aux hommes », un certain Jérôme, 35 ans, donnait un bon aperçu de ce qu’il envisageait comme un style décent pour toute femme bien sous tous rapports : « J’adore les séries aux accents rétro comme Pan Am ou Mad Men, commençait-il. Du coup je fantasme sur les femmes en jupecrayon et chemisier ouvert sur soutien-gorge en dentelle. » Plus tard, il indiquait aux lectrices du site que le « top du top » des chaussures pour femmes selon lui, c’étaient incontestablement les stilettos pointus. « Waouuu », ajoutait-il, indubitablement positif.

Car c’est aussi ça le goût des hommes : la lourdeur. L’idéal vestimentaire féminin pour Jérôme évoque en effet les grandes lignes d’un film érotique que personne n’a envie de voir. Mais il met aussi en lumière un autre point. Les hommes préfèrent que leurs femmes portent des fringues inconfortables. Car il est difficile, voire impossible de prendre le métro en « jupe crayon » et stilettos pointus, sans même parler du pénible « chemisier ouvert sur le soutif ».

Outre nombre de femmes à poil, voici ce que l’on trouve en tapant « fashionable woman » sur Flickr. Photo via Flickr.

Mais je n’ai pas envie de vous refaire le coup du corset et des stilettos qui seraient une énième invention de notre société patriarcale opprimant chaque jour un peu plus la gent féminine. D’un point de vue personnel, j’adore les chaussures à talons. Je les collectionne par dizaines. Mais sérieusement, j’en appelle à tous les mecs : essayez simplement de marcher une journée en équilibre sur dix centimètres de haut, et vous comprendrez peut-être pourquoi de nombreuses filles sont adeptes des bottes fourrées UGG – que les gens haïssent pour des raisons esthétiques légitimes.

De la même manière, un grand nombre de professionnels de la mode opposent constamment les idées de confort et de sexyness. Donatella Versace a déclaré à ce sujet il y a quelques années : « Si une tenue est confortable, elle ne fait pas partie du vocabulaire fashion. Si vous voulez être à l’aise, restez chez vous en pyjama. »

Avec le recul, force est de constater que la période où je me faisais le plus brancher dans la rue – par des jeunes, des moins jeunes, de bons pères de famille et des mecs louches – était ma période la plus craignos niveau style.

De ce point de vue, j’ai pu remarquer aussi une sorte de lobby masculin silencieux contre le port des baskets chez les femmes. S’il existe bien entendu de nombreuses exceptions et plein de mecs qui apprécient les femmes fringuées sportswear, de nombreux hommes croisés dans ma vie considèrent les baskets comme un authentique turn-off. Quand ce n’est pas un signe affiché de négligence ou un manque de coquetterie manifeste – surtout lorsqu’elles sont portées lors d’un rencard.

J’ai un exemple sous la main : celui de ma sœur. Ma sœur donc, collectionne les baskets. Quoiqu’ultra-féminine et dotée d’un 95 D, elle se prend régulièrement des remarques de la part de gros lourds qui lui disent en substance, hilares : « Ah ben toi au moins, tu t’emmerdes pas avec la séduction hein ! Tu privilégies le confort. »

Ce manque d’ouverture d’esprit manifeste touche malheureusement les hommes français de tous bords politiques et de toutes CSP, sans distinction. Les lourds sont, comme on le sait, partout, des milieux les plus modestes aux plus aisés. Une exception notable tout de même à cette règle : l’homme imprégné de culture hip-hop. De par la porosité des styles de musique rap et R&B de même que sa connaissance de la manière de se fringuer dans les quartiers populaires d’outre-Atlantique, celui-ci sait apprécier la beauté moins évidente des filles en baskets et l’esthétique de la fly girl. Celle-là même que LL Cool J portait déjà aux nues il y a déjà 26 ans dans son morceau « Around the way Girl ».

Valeria, une amie proche avec laquelle je discutais du sujet récemment, a résumé la situation en une phrase : « Même un mec civilisé et subtil sera toujours plus attiré par une nana moulée dans des fringues cheap en synthétique ultra revealing que par une fille classe dans un sublime pantalon oversized Margiela, pense-t-elle. C’est déprimant, mais c’est comme ça. »

Ce sinistre constat est également partagé par la blogueuse Leandra Medine, aka Men Repeller, qui déclarait dans une interview : « Si je dois dire adieu à la mode que j’aime pour un homme, alors je préfère ne pas être en couple. » C’est pour cette raison qu’elle a d’ailleurs fait de ses coups de cœur vestimentaires ouvertement « repoussoirs à mecs » sa marque de fabrique – et son gagne-pain.

Avec le recul, force est de constater que la période où je me faisais le plus brancher dans la rue – par des jeunes, mais aussi des moins jeunes, de bons pères de famille et des mecs louches, toutes CSP confondues – était ma période la plus craignos niveau style. C’était quand j’avais entre 16 et 18 ans. Je me maquillais à la truelle, je portais des débardeurs Zara en lycra à fines bretelles, sur d’infâmes soutiens-gorge push-up rembourrés, et surmontées de jeans Diesel taille basse délavés. À cette époque, tous les mecs me mataient.

Au cours des années, j’ai interrogé plusieurs mecs sur leurs goûts et leurs tabous en matière de fringues féminines. Ces brèves mais enrichissantes interactions m’ont permis de dresser un portrait-robot assez précis de leur idéal vestimentaire au féminin. Tous répètent qu’ils aiment les filles « féminines » mais « discrètes ». Certains parlent de « sexyness non ostentatoire ». De la même manière, ils répètent qu’ils ne veulent pas d’une fille habillée de façon « trop voyante ». On peut dire que les hommes préfèrent les filles timides quoique jolies, qui n’attirent pas les regards mais qui ne sont pas trop laides non plus. Les hommes aiment les potiches, en gros. Ce qui est assez désespérant.

Sans surprise, lorsque je leur ai demandé pour quelles raisons ils aimaient ces filles sexy-mais-pas-trop, ils m’ont répondu que « les filles trop stylées recherchaient l’attention et les regards », ce qu’ils envisagent comme « une façon de combler un manque de confiance en elles ». Cette remarque est objectivement stupide. Car on peut s’interroger sur celui des deux qui souffre de déficit d’estime lorsque l’homme ne tient plus à « assumer » la compagnie d’une fille originale, rigolote ou « trop stylée », sur laquelle les autres hommes se retournent.

En effet, si cette volonté de s’entourer de femmes low profile sans aucune volonté de se démarquer paraît de prime abord assez affligeante, elle cache en général un gros manque de confiance en soi de la part des mecs. Si j’en crois les nombreux témoignages que j’ai recueillis, les femmes intelligentes, sûres d’elles et originales, fascinent les mecs autant qu’elles les font flipper. Ils ne se sentent pour la plupart pas les épaules pour – une nouvelle fois – « assumer » une femme qui sort de la masse des potiches. Ils n’aiment pas celle qui attire les regards. Et que l’on risque par voie de conséquence de leur piquer à un moment ou à un autre.

Mais évidemment, le problème ne vient pas seulement des hommes. Car en 2016 plus que jamais, tous les articles de presse féminine le rabâchent à longueur de temps : pour un first date, il est conseillé aux femmes de se vêtir de façon « sexy mais subtile », en évitant à tout prix ce que les rédactrices nomment « les coups d’éclat ».

Un code de conduite sous forme d’injonction permanente au girly est de fait parfaitement résumé par le chapo de cet article de Cosmpolitan intitulé « Ce que les hommes aiment chez une femme, mythe ou réalité ? » Au détour de deux ou trois conseils roués, on peut y lire : « Ils n’aiment pas les franges, les lunettes, le rouge à lèvres et les filles overlookées. En revanche, ils craquent pour les jeunes (!), l’épilation intégrale, les jupes et la discrétion. » Une preuve de plus, s’il en fallait, qu’il reste encore pas mal de boulot avant qu’hommes comme femmes cessent d’être des gros beaufs.

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