Aujourd’hui, vous pouvez « scroller » votre mur Facebook jusqu’à choper une tendinite à l’index, vous n’échapperez pas aux vidéos de type « Recette ultime de brownie au Reese’s goût beurre de cacahuète » ou « Pizza gloutonne trois fromages ». Et vous allez mater jusqu’au bout ces images des fils de gorgonzola fondant et s’étirant indéfiniment.
Les réseaux sociaux offrent à l’internaute insatiable un nombre incalculable de vidéos de bouffe. Des Oreos, revisités à toutes les sauces et sous toutes les formes, jusqu’au bacon, qui est probablement le dernier ingrédient du monde libre à ne pas avoir été immortalisé enveloppé dans du bacon.
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Une question mérite cependant d’être posée avant de gâcher à nouveau 30 secondes de votre vie devant une vidéo de recette alléchante – avec la même tête que le loup de Tex Avery devant une pin-up. Est-ce que vous êtes aussi excité que nous ?
Il s’avère que « food porn » n’est pas qu’un mot-clé utilisé sur Instagram pour illustrer un plat de chez Grazie ou une estampe érotique d’Hokusai (si vous captez le second degré). C’est aussi un portail légitime vers l’excitation sexuelle. Pamela Madsen, sexologue, en est persuadée et explique le lien entre les clips de bouffe et le désir.
« La nourriture aujourd’hui est considérée comme une grande équation érotique. Tout est affaire d’obstacle, d’interdit et d’envie, une combinaison parfaite qui mène au désir », explique-t-elle. « On se retrouve face à une forme de culpabilité et plusieurs messages conflictuels comme ‘Hmm c’est super appétissant’ et ‘C’est pas bon pour ton cholestérol’. On aspire à certaines choses – profondément captivé par le désir – comme à un amant qu’on ne pourrait avoir. »
L’écueil ici, c’est que la majorité des gens sont trop flemmards pour préparer cette « recette ultime » de brownie. Et s’ils avaient la force de le faire, ils devraient supporter son caractère profondément grotesque – que les choses soient claires, ce brownie est l’équivalent en dessert du « turducken », cette dinde farcie d’un canard lui-même farci d’un poulet. Paradoxalement, c’est cette envie superflue, qui rend précisément le brownie attirant.
Madsen, qui a déjà mis ses talents au service de Psychology Today, du Huffington Post ou du Oprah Winfrey Show, pense qu’on associe souvent le sentiment de culpabilité avec celui du plaisir. C’est pour ça qu’un sandwich italien de chez Subway apparaît à la fois atroce et bon en même temps.
Est-ce qu’il est néanmoins normal d’être excité par une vidéo de 30 secondes à propos d’un gâteau au chocolat ? Est-ce que c’est sain, d’un point de vue psychologique, ou est-ce qu’on a tellement réprimé nos envies de « junk food » qu’on a besoin de niquer juste pour relâcher la pression ?
Madsen pense que l’excitation sexuelle, quelle que soit la source, est une bonne chose. « Vous stimulez votre pharmacie interne. Vous produisez des endorphines, comme la dopamine. Vous pouvez mater un cookie avec des pépites de chocolat et penser ‘Oh mon Dieu, je veux ce truc. ‘ Mais vous savez quoi ? Vous n’avez pas besoin de le manger. Vous n’avez pas besoin du climax », ajoute-t-elle. « Dans le domaine de la sexualité, on doit encore convaincre certaines personnes que la jouissance n’est pas une obligation. Il est possible d’être satisfait grâce à l’excitation. La bouffe est plus qu’une simple métaphore du sexe. La bouffe, c’est le sexe. »
Si la nourriture est similaire au sexe, elle peut aussi compter sur les nombreuses vidéos de cuisine qui font le job niveau association subtile entre bouffe et pornographie. La plupart des vidéos suivent même un « pattern » similaire : un rapide montage des ingrédients, des instructions et – point culminant – des images qui font saliver ; les plats dégoulinant de sauce renvoyant au fameux « money shot », épilogue des films X.
En fait, le « money shot » n’est pas le seul point commun récurrent entre le « food porn » et l’industrie du porno. On est pas mal à mater des vidéos de cul parce qu’elles nous excite mais aussi parce qu’elles peuvent nous donne des nouvelles idées à appliquer lors de rencontres sexuelles IRL. Le food porn fonctionne un peu de la même manière, dit Madsen.
« Regarder des images érotiques de nourriture nous pousse à essayer des choses que nous n’aurions peut-être jamais tentées. Elles nous convainquent d’élargir nos perspectives alimentaires de la même manière que le porno repousse nos limites concernant le sexe. »
Si vous repensez au nombre indécent de fois où quelqu’un s’est référé à un plat comme étant « meilleur que le sexe », on constate que la bouffe et le cul ont toujours été en conflit sur l’échelle du plaisir. Ce qui explique pourquoi quelqu’un, un jour, a utilisé le terme « foodgasm » pour décrire son expérience d’un aliment. Personnellement je suis assez gênée quand les gens font ce genre de comparaisons, mais il y a probablement moins de différences entre les deux que je veux le croire. La nourriture, surtout quand elle est très clairement présentée sur Instagram ou dans des vidéos de 30 secondes, est une autre façon de parler de sexe.
« On peut faire étalage de ce qu’on mange mais pas de nos orgasmes. Donc on transforme la bouffe en orgasme. Plus on est hédoniste, plus on l’exprime à travers la nourriture. C’est d’ailleurs bien plus simple de dire ‘c’est meilleur que le sexe’ que d’admettre qu’on prend part à quelque chose qui relève de l’expression sexuelle. »
Dans ce cas, permettez-moi d’aller exprimer ma sexualité dans ce cheesecake brownie.