Pourquoi la mafia de Montréal est-elle en guerre ?

Le salon de coiffure Streakz Coiffure de Laval (la banlieue nord de Montréal) n’a pas brûlé tout seul ce lundi matin. En plus du salon, une épicerie, une boulangerie et un magasin de glace ont aussi été réduits en cendres à cause de la propagation du feu. D’après la presse locale, une bouteille de gaz avait été lancée dans le salon et les réservoirs de propane installés à proximité ont participé à la férocité du feu.

C’est le deuxième salon « Streakz Coiffure » à flamber en une semaine. Le premier, aussi à Laval, avait été ciblé quelques jours auparavant, le jeudi 5 janvier aux alentours de 2 heures du matin. La police avait indiqué que les pompiers avaient senti un accélérateur de feu en arrivant sur place.

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Les deux salons appartenaient à Caterina Miceli, la femme de Carmelo « Mini-Me » Cannistraro, un homme de 46 ans, gérant d’un cercle de paris qui fricotait avec la famille Rizzuto — autrefois dominante dans le milieu montréalais, mais aujourd’hui sur le reculoir.

Les deux salons rejoignent la longue liste de commerces liés à la famille Rizzuto à prendre subitement feu. Un article de La Presse de décembre indiquait qu’il y a eu 13 incendies criminels (ou tentatives) liés à la mafia montréalaise, dont 12 depuis septembre dernier. Onze d’entre eux ont ciblé des commerces qui entretiendraient des liens avec les Rizzuto.

Les attaques ne se limitent pas aux incendies. Trois membres importants de la famille Rizzuto ont été assassinés l’année dernière : Lorenzo Giodarno, 52 ans, en mars, Rocco Sollecito, 67 ans en mai, et Vincenzo Spagnolo, 65 ans, en octobre.

Le cercueil de Vito Rizzuto porté à la sortie d’une église de Montréal, le 30 décembre 2013. (Photo via THE CANADIAN PRESS/Graham Hughes)

Pour les observateurs extérieurs, cela signifie que la famille Rizzuto, qui a dominé le milieu du crime montréalais sans accroc pendant près de 40 ans, est assiégée par des ennemis et reste sur la défensive depuis la mort du patriarche, Vito Rizzuto — mort depuis trois ans. Mais qui exactement met le feu aux boutiques, déclenche des bombes et assassine les membres de loyalistes ?

Il existe d’autres théories. Certains pensent que la mafia de Toronto essaye d’affaiblir la mafia montréalaise, d’autres pensent que les Hells Angels pourraient avoir leur responsabilité. Autre possibilité, la mafia montréalaise serait déchirée par des luttes internes, plus ou moins calquées sur des lignes géographiques. Cette théorie voudrait qu’une faction sicilienne des loyalistes à la famille Rizzuto soit attaquée par une faction calabraise, qui était loyale à la famille Cotroni qui dominait la ville avant l’arrivée de Nicolo « Nick » Rizzuto, le père de Vito, dans les années 1970, début 1980. (Nick a été assassiné en 2010.)

« C’est comme si vous aviez plusieurs coqs dans un seul et même poulailler »

Pour Antonio Nicaso, un auteur de Toronto et professeur spécialiste du crime organisé, le conflit qui agite la mafia montréalaise vient de l’intérieur. Mais il ne pense pas que ce conflit relève d’une rivalité sicilo-calabraise.

« C’est comme si vous aviez plusieurs coqs dans un seul et même poulailler, » explique Nicaso. Après la mort de Rizzuto d’un cancer des poumons en 2013 (à la suite d’un long passage en prison pour son implication d’un triple homicide à Brooklyn en 1981), des luttes internes ont émergé au sein de la famille Rizzuto.

« On assiste à un affrontement entre la vieille garde et ceux qu’on pourrait appeler des rebelles, » explique Nicaso. Les rebelles, dit-il, « n’aiment pas l’idée de remplacer Rizzuto par une autre personne afin de rétablir le type de mafia monarchique qui a contrôlé Montréal pendant 30 ans. »

Ils veulent une « structure plus démocratique », où le pouvoir n’est pas concentré dans les mains de quelques élus ou un boss unique.

Nicaso pense que la faction rebelle est sans doute financée, ou du moins soutenue, par une alliance entre les Hells Angels du Québec et la branche de l’Ontario de la ‘Ndrangheta, l’organisation criminelle basée en Calabre. Impossible de prouver cette théorie pour le moment, mais Nicaso estime que cela fait sens d’un point de vue stratégique.

« Ils aiment l’idée de remplacer la mafia monarchique par une confédération de clans, » dit Nicaso. « Parce qu’ils n’auront plus à traiter avec une grande et puissante organisation comme avant. C’est mieux d’évoluer dans un paysage où vous traitez avec des pairs, plutôt que d’avoir un boss qui contrôle tout. »

Des membre de la famille Rizzuto. Leonardo (à droite), sa soeur Bettina et sa mère Giovanni Cammalleri (au centre) quittent les funérailles de Vito Rizzuto à Montréal, le 30 décembre 2013. (THE CANADIAN PRESS/Graham Hughes)

S’il est tentant de résumer le conflit qui agite la mafia montréalaise par des considérations géographiques, certains se rangeant du côté de la Calabre, les autres de la Sicile, la réalité est bien plus complexe. Il indique que, par exemple, l’un des membres les plus importants de la famille Rizzuto était Raynaud Desjardins, un Canadien francophone. Depuis, Desjardins a quitté l’organisation.

Oui, dit-il, il y a des Calabrais qui essayent de détruire les Rizzuto. Mais, « ceux qui défient la vieille garde ne sont pas tous Calabrais. » Les Rizzuto se sont fait de nombreux ennemis au cours des dernières décennies, tout en créant une puissante et richissime organisation. Puisque le clan se retrouve sans leader et affaibli, cela fait sens stratégiquement d’attaquer l’organisation à ce moment-là. Il pense qu’une alliance de raison s’est formée entre divers groupes, chacun animés par leurs motivations, pour détruire la main mise des Rizzuto sur le crime montréalais.

Néanmoins, la violence est et a toujours été mauvaise pour les affaires, ajoute Nicaso. Le plus tôt tout cela s’arrête, mieux cela sera pour tout le monde. Mais quand les fusillades, les bombes et les incendies s’arrêteront, cela signifiera sans doute que le pouvoir centralisé des Rizzuto est tombé — pour toujours.


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