Tamba Diarra est le maître d’hôtel du Radisson Blu de Bamako. Il a raconté à BFM TV comment vendredi dernier il a été contraint de sortir de ses fonctions habituelles lors de la sanglante prise d’otage dont son hôtel a été la cible et qui a fait au moins 19 morts dans la capitale du Mali.
Après avoir réussi à s’enfuir de l’hôtel, Diarra va rejoindre les forces d’intervention qui attendent à l’extérieur du bâtiment. Les soldats ont besoin de quelqu’un qui connaît les lieux pour pouvoir aller libérer les otages. Diarra enfile alors un gilet par balle, et guide le bataillon de soldats « porte par porte, couloir par couloir, étage par étage pour libérer tout le monde un à un. » Il fournit par téléphone aux clients retranchés dans leur chambre un mot de passe — son prénom, « Tamba » — pour qu’ils soient sûrs que ceux qui tapent à leur porte sont bien des soldats et non des terroristes.
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Malgré l’aide de Diarra, de nombreuses personnes sont tombées sous les balles des assaillants. Ce lundi, le bilan définitif n’est pas encore connu.
Un bilan encore incertain
Le gouvernement malien fait état de 19 morts (18 clients et un gendarme malien), et deux assaillants tués. De son côté, la Minusma (la mission de l’ONU de stabilisation au Mali) parle de 22 personnes tuées dont deux assaillants. Enfin, des sources militaires maliennes évoquent 27 morts, sans compter les assaillants.
Parmi les victimes on compte au moins 14 étrangers : six Russes, trois Chinois, deux Belges, une Américaine, un Sénégalais et un Israélien — d’après les informations fournies par les gouvernements respectifs des pays endeuillés. Au moins six Maliens ont été tués.
Ce lundi, il est aussi difficile de savoir combien d’assaillants ont mené cette attaque. D’après un communiqué du ministère de la Défense française (des forces spéciales françaises ayant participé à la libération des otages), deux terroristes ont été tués. Des analyses sont en cours pour définir l’identité des deux assaillants. Des spécialistes français en criminalité sont arrivés au Mali pour aider à l’identification des corps.
Un témoin cité par le New York Times rapporte une sombre anecdote à propos de l’un des terroristes. L’homme serait allé dans les cuisines de l’hôtel en plein milieu du carnage pour se faire cuire un steak avant de retourner tuer les otages. Toujours selon le témoin du Times, les assaillants avaient la petite vingtaine.
À lire : Un hôtel de Bamako attaqué
Des auteurs difficiles à identifier
« Difficile pour le moment de dire de quelle nationalité sont les assaillants, mais le plus important à noter est qu’ils sont Noirs — ce ne sont pas des Berbères ou des Arabes », explique ce lundi à VICE News, Lemine Ould Salem, journaliste pour la BBC, entre autres, et spécialiste des groupes djihadistes de la région. « Ainsi, ils ont pu passer inaperçus dans la population. » Les groupes terroristes de la région sont principalement composés de Touaregs, Berbères ou Arabes.
Trois complices présumés, qui auraient aidé à préparer les attaques, sont aussi activement recherchés, d’après Boubacar Sidiki Samaké, procureur du pôle juridique spécialisé de lutte contre le terrorisme à Bamako. Ce lundi matin, la télévision publique malienne a diffusé les images d’un homme et d’une femme suspectés d’avoir participé à la préparation de l’attaque.
Dans une revendication de l’attentat par le Front de libération du Macina (FLM) — envoyée dimanche soir au bureau de RFI et de l’AFP à Bamako — le groupe djihadiste malien affirme justement que trois de ses combattants sont « sortis sains et saufs » de l’attaque. Le FLM précise que l’attaque a été menée avec l’aide d’un autre groupe djihadiste de la région, Ansar Dine.
Pourtant dès vendredi soir, une autre organisation djihadiste avait déjà revendiqué l’attentat sur Twitter : Al-Mourabitoune, menée par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, affirmait avoir mené l’attaque « avec la participation » d’AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique). Juste avant la revendication du FLM, Al-Mourabitoune avait aussi envoyé une revendication audio à Al-Jazeera. Un porte-parole d’Al-Mourabitoune y affirme qu’il y avait seulement deux assaillants : Abdelhakim Al-Ansari et Moez Al-Ansari (Al-Ansari faisant référence aux combattants autochtones, donc potentiellement maliens).
« Le Ben Laden du Sahara »
« Il est très probable que Mohktar Belmokhtar soit derrière cette attaque », explique Salem, auteur d’un livre consacré à Belmokhtar, intitulé Le Ben Laden du Sahara. « Belmokhtar a suffisamment d’hommes dans la région pour commettre ce type d’actes et il a aussi l’expérience de ce genre d’attaque. »
Al-Mourabitoune, le groupe de Belmokhtar, avait revendiqué en mars dernier un attentat contre un restaurant de Bamako, fréquenté par les expatriés : La Terrasse. Trois Maliens, un Français et un Belge avaient été tués. Des similitudes avec l’attaque de vendredi se dégagent, notamment le fait de viser des expatriés dans la capitale du Mali — réputée plus sûre que le nord du pays. « Cela permet de démontrer qu’ils sont capables de frapper de partout au Mali », note Salem.
Mohktar Belmokhtar, qu’on surnomme « Le Borgne », ou « Mister Marlboro », se cacherait actuellement en Libye. En juin, le gouvernement libyen avait pourtant annoncé que Belmokhtar avait été tué par des frappes américaines. Mais quelques jours plus tard, AQMI (qui aurait participé avec Al-Mourabitoune à l’attaque du Radisson selon leur communiqué) démentait la mort de Belmokhtar.
Si une organisation (AQMI) dont ne dépend plus Belmokhtar dément sa mort, c’est bien qu’il existe des passerelles entre ces organisations djihadistes, nous explique Salem. Déjà en août dernier, une attaque contre un hôtel de Sévaré (centre du Mali) avait fait l’objet d’une double revendication, là encore par le FLM et Al-Mourabitoune.
À lire : Double revendication pour l’attaque de l’hôtel de Sévaré au Mali
Mutualisation des forces face à l’armée française
« Les groupes djihadistes de la région mutualisent leurs forces » note Salem, notamment depuis l’intervention française dans le nord du Mali — sanctuaire des groupes djihadistes de la région — dès 2013.
Les quatre principaux groupes djihadistes présents au Mali sont ceux qui ont revendiqué les attaques contre l’hôtel de Bamako : Al-Mourabitoune, AQMI, le Front de Libération du Macina et Ansar Dine. Des groupes qui sont tous plus ou moins proches d’Al Qaïda.
« L’attaque de vendredi permet de montrer qu’Al Qaida existe encore, alors que l’EI frappe en Europe ou au Nigéria avec Boko Haram [ndlr, rallié à l’EI] », explique Salem. « L’attaque permet aussi de déstabiliser le processus de paix qui progresse dans le nord du Mali. » Le chef d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, dénonçait il y a quelques jours l’accord de paix signé en juin, à Alger, entre les rebelles et le gouvernement.
Enfin Salem pointe une troisième raison à cette attaque, « frapper les intérêts français, puisque la France est la principale puissance engagée contre les djihadistes dans la région ». Le quotidien britannique The Telegraph rapportait ce lundi matin qu’un équipage d’Air France logé au Radisson pouvait être la cible première des attaques. Les douze membres d’équipages sont sains et saufs.
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