Nous sommes en bord de mer au Touquet, assis à une terrasse parisienne dans le XVIe arrondissement ou à une dégustation de vin à Bordeaux. Pas de Nike TN ni de casquettes Gucci fraise à l’horizon, mais une bonne dizaine d’hommes dont les épaules sont subtilement habillées d’un gilet au-dessus de leur polo. Après tout, il fait doux mais frisquet, c’est de saison.
Pourtant, cette mode n’est pas du goût de tout le monde. Ce style est bien souvent rattaché à la bourgeoisie française dès que l’on aperçoit quelqu’un succomber à ce genre. Pourquoi cet a priori alors qu’il est évident que nouer un sweat, pull ou autres « petites laines » sur ses épaules est bien plus classe que le porter autour de son postérieur ?
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L’origine de ce style est inconnue des historiens et sociologues mais l’une des premières fois où il apparaît comme modèle est aux États-Unis dans des catalogues de ventes par correspondance comme Sears au début des années 60, un équivalent plus chic et cher des 3 Suisses chez nous.
« Le vêtement a longtemps marqué une particularité. Sous l’Ancien Régime, c’était un peu la carte d’identité des individus. Il indiquait le genre, le rang dans la société et souvent le travail aussi. »
Très populaire au sein de la population WASP américaine, quelques modèles masculins s’exposent dans les pages du magazine avec un pull noué autour des épaules. Petit à petit, cette mode va être liée à l’élitisme à l’anglaise, avant de s’exporter outre-Manche. En France, ce style débarque dans les années 80 et va prendre au fur et à mesure de plus en plus de place jusqu’à, forcément, arriver dans les défilés des grandes maisons de couture.
Et il n’aura échappé à personne que ce choix vestimentaire a rapidement gagné le coeur d’un électorat en particulier : celui de droite. Dès les années 90, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Alain Juppé et les jeunesses de l’UMP popularisent cette mode au sein de la bourgeoisie française et ancrent ce lien entre pulls sur les épaules et hommes de droite.
L’historienne de la mode, Yvane Jacob, autrice de Sapé comme jadis y voit un lien ironique avec les capes que les rois et princes portaient pour leurs tableaux officiels de sacre, comme ci-dessous, celui de Louis II de Bavière. Il était, certes, plus difficile de mettre une cape ailleurs qu’accrochée à son col mais le choix de porter son pull de la même manière que la haute société drapait ses épaules est équivoque.
Les accessoires et les façons de porter un habit sont devenus un marqueur social comme un autre. Et à de nombreuses périodes clés en France, l’habit a été un signe de distinction et de reconnaissance entre pairs : « Le vêtement a longtemps marqué une particularité. Sous l’Ancien Régime, c’était un peu la carte d’identité des individus. L’habit marquait le genre, le rang dans la société et souvent le travail aussi. On s’en est aussi beaucoup servi pour faire passer des messages, notamment au moment de la Révolution », précise Yvane.
« Une classe sociale adopte des codes qui la distinguent de celle du-dessous, puis les abandonnent quand ils sont trop imités »
En effet, à cette époque, certains vêtements étaient totalement interdits car considérés comme une atteinte à la sûreté publique, autrement dit à l’État. Dans quelques quartiers parisiens, notamment autour du boulevard des Italiens, au « petit Coblentz », quartier général des royalistes, hommes comme femmes exhibent, en signe de protestation, des cocardes vertes, noires et blanches, défiant ouvertement les sentinelles, les indicateurs et les forces de l’ordre.
« Sous l’Ancien Régime, en France, mais aussi dans d’autres pays occidentaux comme l’Angleterre, le pouvoir édictait des édits et des lois somptuaires qui restreignaient l’usage de certaines couleurs et de certains tissus à une catégorie de la population (la famille royale seulement, ou bien certains rangs de l’aristocratie) », rappelle l’historienne.
Si en France, cette mode est remplie de préjugés, elle ne représente pas la bourgeoise partout. Ce n’est, par exemple, pas le cas de nos voisins italiens qui se sont approprié ce port du pull sur les épaules d’une manière beaucoup plus décontractée que la nôtre.
C’est ce style qui a permis à des individus toujours tirés à quatre épingles d’arborer une tenue plus moderne et plus « proche du peuple ». Logique qu’il ait séduit les hommes politiques de droite.
« Une classe sociale adopte des codes qui la distinguent de celle du-dessous, puis les abandonnent quand ils sont trop imités. En Italie, ça n’est pas forcément connoté à droite, peut-être parce qu’ils ont une expérience plus généralisée de l’élégance casual. C’est la “sprezzatura” », suggère Yvane Jacob.
Ce terme, introduit par l’écrivain italien de la Renaissance Baldassare Castiglione dans Le livre du courtisan, incite à savoir faire preuve de subtilité pour cacher un travail de longue haleine : « d’’user en toutes choses d’une certaine nonchalance, qui cache l’artifice, et qui montre ce qu’on fait comme s’il était venu sans peine et quasi sans y penser ». On peut l’appliquer à la mode italienne, caractérisée par une paresse feinte dans le vêtement masculin et des tenues, en réalité, travaillées avec soin.
Mais l’Italie reste l’exception qui confirme la règle au vu du nombre de comédies anglophones avec des personnes présentées comme prétentieuses et bourges à souhait portant ledit pull. Le gilet sur les épaules reste très marqué par cette identité aristocrate et est sujet à un véritable rejet social lorsque ceux qui les porte sortent de leur milieu social.
Souvent en costume, l’homme de droite a fini par trouver une tenue décontractée qui lui permet de tout de même rester au-dessus de la masse, de se distinguer de la foule en restant un poil plus classe que les autres. C’est aussi ce style qui a permis à des individus toujours tirés à quatre épingles, d’arborer une tenue plus moderne et plus « proche du peuple ». Logique qu’il ait séduit des hommes politiques de droite.
Ce qui fait de cette mode une tendance de droite n’est finalement pas le pull sur les épaules en lui-même mais toute la panoplie qui accompagne l’esthétique bourgeoise. Si en dessous du pull se trouve un polo dont le col est relevé, parfois surmonté d’une écharpe, avec en prime un bermuda cargo et des chaussures bateau, l’attirail de l’homme de droite au repos est au complet.
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