Les yeux de l’Australie profonde
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Les yeux de l’Australie profonde

Tim Hillier prend des photos de mecs en sang et fait du breakdance avec des enfants aborigènes.

Je connais Tim Hillier depuis presque dix ans. Pour être honnête, on a même été colocataires. C'est un type adorable qui refuse de manger de la viande, mais qui adore les aventures et se coucher tard le soir. Il skate comme tout le monde voudrait skater aujourd'hui – le dos droit, raide et sans fioriture. Tim fait également de la vidéo et prend beaucoup de photos. On s'est croisé la semaine dernière pour en discuter, de ça et d'autres trucs. Ensuite j'ai écouté l'enregistrement et ai retranscrit la discussion ci-dessous. Puis j'ai édité un peu.

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VICE : Depuis combien de temps tu prends des photos ?
Tim Hillier : Ça fait dix ans que je prends des photos sérieusement. Au lycée, je faisais des photos et des vidéos de skateboard, mais c'était plus pour rire, tu vois.

Comment as-tu transformé ces essais d'adolescent en trucs sérieux ?
Rick [McCrank, un skater pro ] qui débarquait du Canada m'a conseillé d'acheter un Olympus Mju II, parce qu'il était facile à utiliser et que tu pouvais prendre à peu près tout ce que tu voulais avec. C'était du pré-numérique. Du coup, j'en ai acheté un. À peu près au même moment, Sarah Larnach, une amie proche, entrait en école d'art et me montrait les premiers boulots de Ryan McGinley, puis du Nan Goldin, William Eggleston et d'autres trucs du genre – clichés instantanés, cette vibe. Avoir été exposé tôt à ce genre d'artistes m'a poussé à prendre des photos de manière plus régulière. Je tombais trois ou quatre pellicules par semaine.

Est-ce à cette période que tu as délibérément modifié la manière dont tu prenais des photos ?
Je crois que ça a été le moment où j'ai commencé à me sentir à l'aise avec ce que j'essayais de faire, oui. Leur influence a plus porté sur la confirmation que j'allais dans la bonne direction.

Je suppose qu'en tant que skateur, tu n'avais jamais été confronté à ce genre de photos avant ça.
En tant que skater, tu grandis dans un environnement tellement imprégné de photographie et de vidéo que, quelque part, l'art est déjà présent dans tous les aspects de ta vie sans même que tu te sois plongé dedans à proprement parler. Tu vois, j'ai regardé la Vidéo Days de Blindtous les jours pendant genre cinq ans, au point que ma mère la connaissait par cœur du A à Z.

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Quand j'habitais Adelaide, j'étais l'un des seuls mecs qui skatait et prenait des photos. Ensuite, lorsque j'ai emménagé à Melbourne avec toi, j'ai remarqué que toi aussi faisais des plans genre : « je sors dehors prendre quelques photos d'un parking vide. » Là, j'ai compris que toi et plein d'autres mecs étaient dans le même délire que le mien.
C'est arrivé en même temps en effet – Conor O'Brien faisait ça depuis un petit bout de temps aussi, de son côté. Et ensuite je t'ai rencontré. On skatait avec toutes sortes de gens, mais on avait d'autres centres d'intérêt en dehors de ça. Ça aussi, ça m'a beaucoup influencé.

Tu fais un peu plus gaffe à ce que tu fais maintenant qu'aujourd'hui tout le monde skate et prend des photos ?
Ouais, mais c'est très bien comme ça. Quand tu grandis tu cherches un peu ta place, et l'appareil photo est un super moyen de la trouver.

Ton approche de la photographie a-t-elle évolué avec l'âge ?
En ce moment je m'applique plus à constituer des séries. Je prends des photos tout le temps, mais je recherche désormais des choses spécifiques. À l'époque, je prenais simplement des photos de tout, et je voyais.

Qu'as-tu fait ces dernières années ?
Ces deux dernières années, mon travail était axé autour du IHPP – Indigenous Hip-Hop Projects. C'étaient des projets d'une semaine, souvent. On allait à la rencontre de communautés aborigènes isolées et on travaillait avec les gosses issus desdites communautés sur des sujets de sensibilisation sanitaire – via le breakdance et quelques ateliers d'écriture. Le lundi on écrivait une chanson avec les enfants, le mardi on l'enregistrait, les mercredis et jeudis on sortait tourner le clip et le lendemain on le montait pour le passer à la grande soirée du vendredi soir. Tout était fait pour que les enfants soient fiers d'eux – le suicide chez les jeunes étant un énorme problème dans ces communautés.

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Cette expérience a-t-elle changé ton regard sur ta vie en Australie et ce que tu y fais ?
Tu sais,tout ça est tellement loin du reste de l'Australie… Surtout dans ces communautés isolées où les gosses n'ont qu'un short à se mettre. Là-bas, il s'agit d'être heureux avec ce que tu as. Tu parles avec des enfants qui vivent dans des conditions dignes du tiers-monde, tu leur demandes ce qu'ils aimeraient changer dans leur vie et eux te répondent qu'ils ne changeraient rien du tout. Ils adorent l'endroit où ils vivent.

Les photos que tu m'as données pour illustrer l'article sont toutes des portraits. C'est marrant, on parlait justement de portraits un peu plus tôt, de la manière dont le travail de fond pouvait transparaître plus visiblement via les portraits.
L'enjeu se situe au niveau du degré d'engagement que le photographe entretient avec le sujet – et cela nous amène sur l'étude des différentes techniques de travail employées par les photographes. Nous parlions de Terry Richardson, d'à quel point il y avait de son excentricité dans ses portraits et de comment les gens réagissaient à sa présence. Mais tu vois, James Nachtwey a une approche complètement différente et ça marche aussi bien. Il est plus calme, réfléchi et sympathique.

Et ils sont tous deux très prolifiques.
Ouais. J'ai l'impression que les grands portraitistes montrent autant d'eux-mêmes que du sujet dans leurs photos. Comme les enfants dans mes portraits ; ce sont des gosses que j'ai côtoyés pendant plusieurs semaines. Si j'avais juste fait l'aller-retour en une journée, je n'aurais jamais pu prendre ces portraits. C'est parce que j'ai joué au basket et au baseball avec eux, parce que j'ai chanté et tourné des clips avec eux. Les jeunes indigènes sont en général très timides devant un appareil photo.

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Qu'en est-il des autres photos de la série ?
Ce sont mes amis proches. Darren venait juste de se prendre une boîte en skatant à Prahran. Il était sonné et a dû être transporté à l'hôpital ; mais avant, j'ai eu le temps de prendre cette photo. Si je ne le connaissais pas, je ne me serais pas permis évidemment.

Tu n'as jamais l'impression que les gens se figent un peu quand tu leur tires le portrait ?
C'est peut-être une question de génération. Étant confrontés en permanence à la photo, les jeunes d'aujourd'hui savent comment poser pour avoir une bonne tronche – alors que mes amis plus âgés ne savent toujours pas comment réagir devant un appareil.

Max est écrivain, photographe, spécialiste des jeans et à ses heures perdues, skateur. Suivez-le sur Instagram : @maxolijnyk